Nutrition

Manger et bouger ?

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« La malbouffe n’existe pas ! » C’est à peu près ce que décla­rait le Dr Steven N Blair, vice-président du Global Energy Balance Network (GEBN, lien cassé) et profes­seur au dépar­te­ment de Sciences de l’exer­cice, d’épi­dé­mio­lo­gie et de statis­tiques biolo­giques, School of Public Health (Université de Caroline du Sud aux USA), dans une vidéo (elle aussi suppri­mée) diffu­sée par le GEBN.

Son message est simple à résu­mer : arrê­tons de fusti­ger la consom­ma­tion de fast food et bois­sons sucrées à bulles, le secret pour éviter l’obé­sité est de trou­ver le juste équi­libre (global balance) entre la consom­ma­tion d’ali­ments et l’exer­cice physique. L’obésité, selon lui, est donc un problème de surali­men­ta­tion (quan­tité d’ali­ments) mais pas de nutri­tion (qualité d’aliments).

Quant aux effets respec­tifs de l’ac­ti­vité physique et de la nutri­tion sur le contrôle du poids, ils font l’ob­jet d’une « bataille rangée ». Les défen­seurs incon­di­tion­nels d’une atten­tion à l’ac­ti­vité physique appuient leur argu­men­ta­tion sur la critique (très perti­nente) de la collec­tion et du trai­te­ment de données en épidé­mio­lo­gie de la nutri­tion — voir mon article Faut-il jeter les enquêtes nutritionnelles ?

Des esprits malin­ten­tion­nés font remar­quer que le Professeur Blair n’ap­plique pas ce qu’il enseigne, ou pour le moins que cela ne s’ap­plique pas à son cas person­nel (voir photoN1). Quant au jour­nal The Guardian, il s’est fendu d’un article : Nutrition experts alar­med by nonpro­fit down­playing role of junk food in obesityN2 qui révèle que le GEBN avait été lancé par une dona­tion de 1.5 millions de dollars de Coca Cola® !

StevenBlair
Steven N. Blair

Ces turpi­tudes ont aussi été dénon­cées dans un article du New York Times titré Coca-Cola Funds Scientists Who Shift Blame for Obesity Away From Bad DietsN3, suivi d’une lettre adres­sée aux éditeurs du New York TimesN4 par le Center for Science in the Public Interest et le dépar­te­ment de nutri­tion de Harvard TH Chan School of Public Health, signée par 36 person­na­li­tés de la recherche et des cadres de la santé publique, dénon­çant que Coca-Cola et ses soutiens acadé­miques n’ac­ceptent pas les preuves bien docu­men­tées que les bois­sons sucrées sont une contri­bu­tion majeure à l’obé­sité, aux mala­dies du cœur, et au diabète.

Après cette levée de boucliers, l’au­teur de la vidéo a demandé (le 19 août 2015) qu’elle soit reti­rée du site du GEBN… Il a exprimé son regret qu’elle ait été utili­sée par certains pour lais­ser croire que le GEBN faisait unique­ment la promo­tion de l’ac­ti­vité physique (sic). En réalité, le GEBN ressem­blait plutôt à un espace publi­ci­taire pour la junk food !

Sur une autre vidéo (lien cassé), Steven Blair se plai­gnait que toute l’ac­ti­vité scien­ti­fique se foca­lise sur l’obé­sité, alors qu’on ne trouve pas un seul finan­ce­ment — du moins, de ses travaux ! — sur l’exer­cice physique… A‑t-il jamais utilisé un moteur de recherche ?

Sommaire

Mise en perspective

Source : lien:en6q
Source : N5

Le discours du GEBN, dans sa dimen­sion cari­ca­tu­rale, appa­raît comme le recy­clage d’une théo­rie érigée en dogme depuis plusieurs décen­nies, selon laquelle pour préve­nir une prise de poids progres­sive il suffi­rait de dimi­nuer l’ap­port calo­rique des aliments et/ou d’aug­men­ter la dépense éner­gé­tique en faisant de l’exer­cice physique. Calories posi­tives versus calo­ries néga­tives, ou le modèle calories-in, calories-out (CICO) pour les anglo­phones. La qualité serait sans impor­tance… Manger-bouger, vous connaissez ?

Cette équa­tion sonne juste à première vue, bien qu’elle ait été mise en défaut par des travaux en expé­ri­men­ta­tion animale. Dans son ouvrage FAT — Pourquoi on gros­sit (2012A2, p. 111 et suivantes), Garry TaubesN6 raconte une expé­rience de George Wade à l’Université du Massachussets en 1970. Wade étudiait les rela­tions entre les hormones sexuelles, le poids et l’ap­pé­tit chez des rates ayant subi une abla­tion des ovaires.

Les effets de l’opé­ra­tion furent assez spec­ta­cu­laires : les rates se mirent à manger et devinrent rapi­de­ment obèses. […] nous étions confor­tés dans notre opinion selon laquelle, chez la rate comme chez l’être humain, la surali­men­ta­tion est respon­sable de l’obé­sité.
Mais Wade procéda à une seconde expé­rience de contrôle dont le résul­tat s’avéra très révé­la­teur : après leur ovariec­to­mie [abla­tion des ovaires], il soumit certaines rates à un régime post-opératoire strict, ne leur donnant pas plus à manger, malgré leur appé­tit dévo­rant, que si elles n’avaient subi aucune inter­ven­tion. Ce qui se produi­sit alors n’est pas ce que vous pensez sans doute : les rates en ques­tion gros­sirent autant et aussi vite que les autres. […]
Selon ce que Wade m’a lui-même expli­qué, l’ani­mal ne gros­sit pas parce qu’il mange trop : il mange trop parce qu’il gros­sit. Nous sommes ici en présence d’une inver­sion de la cause et de l’ef­fet. Autrement dit, la glou­ton­ne­rie et la paresse sont les effets, les consé­quences de la prise de graisse : elles sont fonda­men­ta­le­ment causées par une anoma­lie de la régu­la­tion du tissu adipeux de l’animal.

Cette cita­tion est suivie d’une expli­ca­tion détaillée du méca­nisme de régu­la­tion du tissu adipeux dans le contexte de l’in­ter­ven­tion sur ces malheu­reux animaux. Taubes décrit ensuite ces méca­nismes chez des animaux ou des humains qui n’ont pas subi d’in­ter­ven­tion mais s’adaptent à leur envi­ron­ne­ment en fonc­tion de leur capi­tal géné­tique. Il écrit (page 127) :

Dans les années 1950, Jean Mayer étudia dans son labo­ra­toire une de ces lignées de souris obèses. Il rapporta qu’en les affa­mant suffi­sam­ment, il parve­nait à faire descendre leur poids au-dessous de celui de souris normales, mais que même ainsi elles « conti­nuaient à présen­ter plus de graisse que les souris normales alors que leurs muscles avaient fondu ». Ici encore, le problème n’était pas la surali­men­ta­tion ; comme l’écri­vait Mayer, ces souris « trans­forment en graisse la nour­ri­ture qu’elles ingèrent, même dans les condi­tions les plus défa­vo­rables, y compris lors­qu’on les affame à moitié. » […]
Lorsqu’un animal est affamé — et cela vaut égale­ment pour l’être humain —, il consomme donc ses muscles pour dispo­ser de carbu­rant, et cela vaut notam­ment, à terme, pour son muscle cardiaque.

Ce ne sont là que de courts extraits d’un ouvrage de Gary Taubes dont l’ar­gu­men­ta­tion s’ap­puie sur plusieurs décen­nies d’ex­pé­ri­men­ta­tion animale et humaine (voir vidéoN7) mais qui a fait l’ob­jet de critiques véhé­mentes : voir par exemple le blog The Science of NutritionN8 et la page Big Fat LiesN9. Cela dit, ses contra­dic­teurs, en 2002, agitaient surtout leur chif­fon rouge contre la consom­ma­tion de graisses satu­rées — voir mon article Pourquoi diminuer le cholestérol ?

➡ L’exposé de Taubes ne résout pas les contra­dic­tions d’une surin­ter­pré­ta­tion des résul­tats : par exemple, après avoir déclaré que tous les régimes amin­cis­sants étaient inef­fi­caces, il fait l’éloge du régime Atkins !

200-cals
200 kilo­ca­lo­ries
Source : N10

Plus récem­ment, Zoë Harcombe, dans son ouvrage The Obesity Epidemic : What caused it ? How can we stop it ? (2015N11) a dénoncé la falla­cité d’un calcul basé sur les calo­ries, en raison de la varia­bi­lité de l’ap­port éner­gé­tique des nutri­ments. Elle a fondé sa démons­tra­tion sur le deuxième prin­cipe de la ther­mo­dy­na­miqueN12 — ce qui me laisse froid, n’ayant pas mis le nez dans un cours de physique théo­rique depuis une éter­nité. 😉 Par contre, sur son blog, elle expose, non sans humour, sa tenta­tive d’ob­te­nir des insti­tu­tions de santé publique au Royaume-Uni une justi­fi­ca­tion scien­ti­fique de leur recom­man­da­tion suivant laquelle un défi­cit calo­rique quoti­dien de 500 Kcal permet­trait de « brûler » une livre (454 g) de graisse en une semaineN13. Les articles qui lui ont été signa­lés en réponse contre­disent cette esti­ma­tion… (Lire aussi les commen­taires en bas de page.)

Jane Plain (2014N14) écrit :

S’il s’agis­sait simple­ment de calo­ries, on pour­rait faire engrais­ser des gens maigres en les surali­men­tant. Or on sait bien que les expé­riences de gavage ratent la plupart du temps. Les maigres ne peuvent pas deve­nir obèses juste en consom­mant plus de calo­ries. Cela demande une énorme quan­tité de nour­ri­ture et tout le monde ne profite pas autant, certains résistent totalement.

Bill Lagakos, auteur de The poor, misun­ders­tood calo­rie (2012A1), résume de manière imagée :

Compter les calo­ries pour perdre du poids ne fonc­tionne pas pour la majo­rité des personnes au régime. Cela est dû en partie au fait que les calo­ries conte­nues dans les aliments ne sont pas les mêmes que celles dépen­sées par le corps.

Dans une étude publiée en 2015, Fildes et collègues ont suivi jusqu’à 9 années 76 704 hommes et 99 791 femmes obèses (IMC > 30 kg/m2) soignés autre­ment que par la chirur­gie baria­triqueN15. Leur résul­tat (voir articleN16) :

1283 hommes et 2245 femmes ont atteint leur poids normal. Dans les cas de simple obésité (IMC = 30 à 35 kg/m2), la proba­bi­lité chaque année d’at­teindre un poids normal était de 1 pour 210 chez les hommes et 1 pour 124 chez les femmes. Elle attei­gnait 1 pour 1290 pour les hommes et 1 pour 677 chez les femmes à obésité morbide (IMC = 40 à 45 kg/m2). La proba­bi­lité chaque année d’une réduc­tion de 5% du poids était de 1 pour 8 chez les hommes et 1 pour 7 chez les femmes à obésité morbide.

Leur conclu­sion : Les plans de trai­te­ment de l’obé­sité basés sur des programmes commu­nau­taires de gestion du poids sont peut-être inef­fi­caces.

Hélas, les géants de la malbouffe (comme autre­fois le lobby du tabac) peuvent conti­nuer à igno­rer ces évidences, tant leur discours reste ancré dans la croyance popu­laire… Il est encore plus regret­table qu’en 2019 des experts fran­çais en nutri­tion humaine (affi­liés à l’INRA et l’ANSES) martèlent dans une émis­sion scien­ti­fiqueN17 que, pour élimi­ner le surpoids ou le diabète de type 2N18, il suffi­rait d’aug­men­ter la dépense éner­gé­tique et de réduire l’ap­port calo­rique de l’ali­men­ta­tion… Ils ne font que répé­ter, sans examen critique, une leçon apprise il y a 50 ans ! 😣 Cela dit, cette émis­sion conte­nait aussi de nombreux messages clairs, impor­tants et prou­vés scientifiquement.

Tendance dominante

Évitons les juge­ments à l’emporte-pièce induits par une lecture enthou­siaste de Taubes (2012A2) et propa­gés par celles ou ceux qui « n’ar­rivent pas à mincir » : dimi­nuer sa ration calo­rique peut effec­ti­ve­ment se traduire dans un premier temps par une perte de poids, perte qui peut être conso­li­dée grâce à une surveillance systé­ma­tique, par exemple les appli­ca­tions d’éva­lua­tion de contenu calo­rique de tous les repas (Giuily L, 2019N19). Trois problèmes sont liés à cette manière de procéder :

  1. Cette surveillance fait appel à des algo­rithmes qui peuvent conduire à un compor­te­ment anorexique compensé par de la bouli­mie chaque fois qu’on « se lâche ».
  2. Les données trai­tées par ces algo­rithmes ne repré­sentent pas la réalité : 100 kilo­ca­lo­ries de crème glacée ne produisent pas le même effet à long terme que 100 kcal de hari­cots ou de viande rouge…
    ➡ J’utilise l’unité correcte « kilo­ca­lo­ries » alors que l’on entend souvent « calo­ries » dans la conver­sa­tion courante.
  3. Les programmes d’amin­cis­se­ment se soucient unique­ment de la perte de poids et non de la santé de l’in­di­vidu, qui dépend autant de la nature et qualité des aliments que de leur quan­tité, tout en étant forte­ment liée à l’ac­ti­vité physique, la réduc­tion du stress, la gestion du sommeil, et — moins connu — les déséqui­libres de micro­biotes, voir l’ar­ticle La bouche, miroir de votre santé
The-Biggest-Loser

L’efficacité du programme réside donc moins dans le comp­tage des calo­ries que dans la contrainte qu’il exerce : s’obli­ger à une surveillance perma­nente des quan­ti­tés ingé­rées. Cette surveillance peut être une planche de salut provi­soire chez une personne souf­frant de résis­tance à la leptineN20, l’hor­mone qui procure la sensa­tion de satiété.

Toutefois, l’échec de cette stra­té­gie sur le long terme (voir le point 3 ci-dessus) s’ex­plique en partie par le fait que la priva­tion de nour­ri­ture ne restaure pas « par magie » la sensi­bi­lité à la leptine. Il serait plus logique de cher­cher à retrou­ver la sensa­tion de satiété, autre­ment dit manger moins, non par contrainte, mais parce qu’on a moins faim — voir discus­sion ci-dessous.

Au sujet des pres­sions exer­cées par l’in­dus­trie agro-alimentaire sur American Society for Nutrition et Academy of Nutrition and Dietetics (aux USA), on lira avec inté­rêt le rapport de Michele Simon (2015N21) : Nutrition Scientists on the Take from Big Food – Has the American Society for Nutrition lost all credi­bi­lity ? ainsi qu’un entre­tien avec l’au­teureN22.

Sur la TV améri­caine, The Biggest Loser est un jeu qui met en compé­ti­tion des personnes obèses soumises à un régime dras­tique — Eat Less and Move More — pour perdre du poids. Ils ne reçoivent que 70% de leurs besoins calo­riques et pratiquent chaque jour 90 minutes d’exer­cice inten­sif plus de l’en­traî­ne­ment aéro­bie. Le résul­tat était spec­ta­cu­laire : après 30 semaines de ce régime, le poids moyen des candi­dats en 2015 avait dimi­nué de 149.2 kg à 91.6 kg, ce qui corres­pon­dait à une réduc­tion de la masse grais­seuse de 49% à 28%, sans dimi­nu­tion notable de la masse maigre grâce à l’exer­cice. Cela paraît mira­cu­leux, sauf qu’après six mois tous les concur­rents avaient retrouvé leur poids initial ! Le méca­nisme de compen­sa­tion est expli­qué par Jason Fung sur cette pageN23.

La chirur­gie baria­triqueN15 présente le même incon­vé­nient, avec un taux d’échec sur le long terme (une dizaine d’an­nées) qui peut avoi­si­ner 40%. Faute de suivi nutri­tion­nel, les patients risquent de retrou­ver leurs anciennes habi­tudes et de s’adon­ner au grigno­tage pour absor­ber plus de nour­ri­ture malgré l’obs­tacle créé par la chirur­gie ; et la reprise de poids génère un stress consi­dé­rable lié au senti­ment d’échec.

Le modèle glucides-insuline (CIM)

Le modèle défendu par Gary Taubes et ses collègues, en concur­rence avec celui de calories-in, calories-out (CICO), s’ap­pelle « glucides-insuline », en anglais Carbohydrate-Insulin Model (CIMN24). Il est asso­cié à un phéno­mène appelé résis­tance à l’in­su­lineN25 — voir mon article Insulinorésistance — phase initiale du diabète de type 2N18.

Michael Eades le présente ainsi (The Arrow #111) :

Le modèle glucides-insuline [CIM] postule que les calo­ries entrantes ne sont pas simple­ment de l’éner­gie neutre, mais qu’elles provoquent des réponses hormo­nales méta­bo­liques qui, à leur tour, donnent envie de manger et de stocker des calo­ries. Selon le CIM, les gens ont des degrés variables de tolé­rance aux glucides, et chez ceux qui y sont into­lé­rants, les glucides provoquent une réponse insu­li­nique plus impor­tante et plus durable. Les niveaux d’in­su­line conti­nuel­le­ment élevés chez ces personnes finissent par entraî­ner une résis­tance à l’in­su­line et une hyper­in­su­li­né­mie. L’insuline étant l’hor­mone méta­bo­lique qui fait entrer les graisses dans les cellules adipeuses et les y main­tient, les personnes qui ont trop d’in­su­line ont tendance à augmen­ter leur masse de tissu adipeux.

Lorsque ces personnes mangent, les aliments digé­rés passent dans le sang, et les centres de l’ap­pé­tit du cerveau leur signalent qu’elles sont rassa­siées. Mais, comme leur taux d’in­su­line est élevé, les graisses présentes dans le sang sont entraî­nées rapi­de­ment dans les cellules adipeuses, ce qui laisse moins de nutri­ments dans le sang pour déclen­cher le signal « assez » dans le cerveau. Au lieu de cela, le cerveau reçoit le signal que les nutri­ments sont épui­sés, et envoie donc le signal de la faim qui donne envie de manger. Ce qui déclenche une sorte de cercle vicieux. Plus de faim = plus d’ap­port en glucides = plus d’in­su­line = plus de stockage des graisses = moins d’ap­port en nutri­ments dans le sang..

Compétition entre les modèles

En simpli­fiant à l’ex­trême, l’en­sei­gne­ment du modèle CICO serait que, pour perdre du poids, il suffit de dimi­nuer la quan­tité de calo­ries appor­tées par l’ali­men­ta­tion et d’aug­men­ter leur utili­sa­tion dans l’ac­ti­vité physique. Pour cela, préfé­rer des aliments « moins caloriques ».

Chambre méta­bo­lique pour la mesure des échanges gazeux et calo­riques d’un sujet humain. Source : WISDEM Centre, University of Warwick, UK

Des données physio­lo­giques anciennes — selon Wilber Olin Atwater, qu’on ne discu­tera pas ici — suggèrent que chaque gramme de glucides four­nit en moyenne 4 kcal, contre 4 kcal pour les protéines et 9 kcal pour les graisses. Il s’en­suit qu’un régime « hypo­ca­lo­rique » se doit d’éli­mi­ner les graisses au profit des glucides — en anglais low-fat high-carb (LFHC).

À l’in­verse, selon le même mode simpliste de raison­ne­ment, le modèle CIM préco­ni­se­rait de dimi­nuer l’ap­port en glucides qui ont pour effet d’aug­men­ter le tax d’in­su­line et d’in­duire une résis­tance à l’in­su­lineN25. D’où la préfé­rence pour un régime faible en glucides, en anglais low-carb high-fat (LCHF).

Schéma d’une chambre méta­bo­lique. Source : ResearchGate

La bataille entre ces deux écoles est féroce. Elle a donné lieu à de nombreux essais cliniques rando­mi­sés, diffi­ciles à conduire car il faudrait pour cela compa­rer les deux régimes avec le même apport calo­rique alimen­taire et la même dépense énergétique.

La défi­ni­tion de chaque régime est elle-même un facteur de confu­sion : par exemple, la notion de « faible en glucides » peut s’étendre à une diète céto­gèneN26 — voir mon article Diète cétogène – expérience — ou à un régime carni­vore — voir mon article Carnivore Code.

Une « troisième voie »

La compé­ti­tion entre les modèles CICO et CIM est résu­mée dans une confé­rence de Dr Michael Eades (2023N27), qui suggère une troi­sième alter­na­tive. Il constate, en effet, que la formule « CICO » (calo­ries in moins calo­ries out) exprime une diffé­rence d’éner­gie, alors que ce qu’at­ten­drait une personne obèse est une diffé­rence de poids (ou de masses). Il serait donc préfé­rable de cher­cher à dimi­nuer la quan­tité masse en entrée moins masse en sortie.

Source : Ruben Meerman (2014N28)

La masse en entrée est celle des aliments ingé­rés. La masse en sortie est ce que nous élimi­nons. Or l’oxy­da­tion des graisses produit du gaz carbo­nique et de l’eau.

Exemple pour un trigly­cé­ride adipeux humain :

C55H10406 + 78 O2 –> 55 CO2 + 52 H2O

Les croyances de profes­sion­nels de santé sur la desti­na­tion des graisses évacuées. Source : Ruben Meerman (2014N28)

Dans son article Quand quel­qu’un perd du poids, où va la graisse ?, Ruben Meerman montre que — contrai­re­ment aux croyances d’une majo­rité de profes­sion­nels de santé — « les poumons sont le prin­ci­pal organe excré­teur de la perte de poids [84 % en masse], [les 16 %] d’eau formée pouvant être excré­tés dans l’urine, les fèces, la sueur, l’ha­leine, les larmes ou d’autres fluides corpo­rels » (Meerman R, 2014N28).

Eades cite un passage en vidéo (2023N27 24:06) où Meerman souf­flait dans un ballon qu’il refroi­dis­sait ensuite avec de l’azote liquide, ce qui avait pour effet de liqué­fier l’oxy­gène restant et de soli­di­fier le gaz carbo­nique, les rendant visibles :

Vidéo de Michael Eades posi­tion­née à la démons­tra­tion de Ruben Meerman : Quand quel­qu’un perd du poids, où va la graisse ?
Source : Eades M (2023N27 29:48)

Pour perdre du poids, il faudrait donc logi­que­ment dimi­nuer la masse en entrée plutôt que la quan­tité d’éner­gie. C’est une équa­tion de conser­va­tion de la masse qui est en jeu, et non de conser­va­tion d’éner­gie. Sachant que les indi­vi­dus ont tendance natu­rel­le­ment à ajus­ter leur consom­ma­tion d’éner­gie — leurs « calo­ries » — à leur acti­vité, il convient donc, pour perdre du poids, d’ac­cor­der la préfé­rence aux « calo­ries légères » — celles des graisses — plutôt qu’aux « calo­ries lourdes », celles des glucides.

Source : Eades M (2023N27 37:01)

Michael Eades donne une idée de la diffé­rence de masses en entrée entre un régime low-carb high-fat (LCHF) et un low-fat high-carb (LFHC), tous deux cali­brés à 2500 kcal/jour (2023N27 36:35). Le premier serait plus « léger » de 157 grammes — ce qui reflète, selon lui, la moyenne de perte de poids quoti­dienne lorsque ce régime est effec­ti­ve­ment pratiqué.

Cette simple démons­tra­tion prêche donc en faveur des régimes LCHF sans besoin de s’ap­puyer sur le modèle CIM. C’est pour­quoi elle a été présen­tée par Michael Eades comme une « troi­sième voie » (The Arrow #111) :

[…] je pense que les personnes qui suivent un régime pauvre en glucides reçoivent une double dose de bien­faits. Limiter les glucides réduit la masse dont il faut se débar­ras­ser, ce qui est la première étape. Et limi­ter les glucides réduit égale­ment la quan­tité d’in­su­line produite, ce qui, à terme, permet de se débar­ras­ser de la résis­tance à l’in­su­line et de l’hy­per­in­su­li­né­mie.

Par consé­quent, la graisse peut faci­le­ment sortir des cellules adipeuses et four­nir de l’éner­gie, au lieu d’être piégée, ce qui signale au cerveau qu’il y a beau­coup de nour­ri­ture à bord. Le cerveau réduit la faim, de sorte qu’il n’y a pas de forte compul­sion à manger. C’est tout le contraire du cercle vicieux du « manger moins, bouger plus », c’est un cycle bénéfique.

Cette expli­ca­tion évoque en fili­grane d’autres phéno­mènes impli­qués dans la prise ou la réduc­tion du poids, notam­ment le rôle de la leptineN29 en tant qu’hor­mone de « signa­le­ment de la satiété », voir plus bas.

Exercice

Dans l’ex­pé­rience The Biggest Loser, l’ac­cent était mis sur la nutri­tion, qui n’est qu’un des deux termes de l’équa­tion nutrition/exercice. Or « faire de l’exer­cice » ne va pas de soi. La même dépense physique ne produit pas les mêmes effets sur la santé (et donc le poids) selon qu’on pratique un sport, du jardi­nage, de la randon­née etc.

Cette distinc­tion est expo­sée en détail dans les pages consa­crées à L'exercice sur ce site. Pour faci­li­ter l’éli­mi­na­tion du surpoids grâce à une amélio­ra­tion de sa forme physique, il est indis­pen­sable de mettre en place une pratique quoti­dienne (voire bi-quotidienne) d’exercice d'endurance (« cardio »). Mais il est surtout vital d’en « cali­brer » l’in­ten­sité, à n’im­porte quel âge et n’im­porte quel niveau d’en­traî­ne­ment, afin d’évi­ter un sous-entraînement inef­fi­cace, ou un suren­traî­ne­ment qui mettrait en danger le système cardiovasculaire.

Le meilleur cali­brage d’in­ten­sité, à ma connais­sance, sans recours à un appa­reillage coûteux et compli­qué, consiste à main­te­nir son rythme cardiaque à la valeur opti­male calcu­lée selon les recom­man­da­tionsN30 du Dr Philip Maffetone : la formule « 180 – votre âge » — soit par exemple 130 bpm pour une personne âgée de 50 ans. Formule à ajus­ter en fonc­tion de critères de santé et de pratique d’entraînement.

Sur un vélo d’ap­par­te­ment — ou une autre machine comme le vélo ellip­tique — on peut mesu­rer l’éner­gie dépen­sée et la rappor­ter à la durée de l’exer­cice : par exemple 300 Kcal en 27 minutes. Noter au passage que cette « perte éner­gé­tique » serait compen­sée par la consom­ma­tion de 75 grammes de glucides ou 38 grammes de graisse, disons une tartine beur­rée à la confi­ture ! Les varia­tions de ce rapport 300/27 — dans des circons­tances iden­tiques — nous renseignent sur l’aug­men­ta­tion de la forme physique, ou au contraire une dimi­nu­tion qui peut signa­ler, soit un entraî­ne­ment à un rythme cardiaque exces­sif, soit une dété­rio­ra­tion de la santé à prendre en charge médicalement.

Avec ce cali­brage, une personne en surpoids se mettra certai­ne­ment à trans­pi­rer avant la fin de chaque séance. Un bon indice pour en fixer la durée mini­male est de suer à grosses gouttes au moins pendant une dizaine de minutes. Cela peut corres­pondre (en ordre de gran­deur) à deux séances de 30 minutes chaque jour, nette­ment plus effi­caces que l’heure de prome­nade, de jardi­nage, ou toute autre acti­vité « spor­tive » pres­crite par des soignants qui n’ont jamais été confron­tés à l’obé­sité. Rien ne s’op­pose à ce qu’on meuble ce temps par l’écoute de podcasts, la radio ou la TV, l’ap­pren­tis­sage d’une langue étran­gère, etc., avec un œil sur le cardio­fré­quen­ce­mètre, et sous condi­tion que l’ac­ti­vité de diver­tis­se­ment ne perturbe pas la fréquence cardiaque — donc éviter certaines musiques ! La fiabi­lité de l’ins­tru­ment de mesure est vitale, voir mon article Exercice d'endurance.

La masse muscu­laire est le plus volu­mi­neux organe de notre corps. Cet organe est en charge de bien d’autres fonc­tions que l’équi­libre postu­ral et la mobi­lité. Sa réduc­tion peut être masquée par l’ac­cu­mu­la­tion de graisse (obésité sarco­pé­nique) — voir mon article Vivre bien et longtemps. L’exercice d’en­du­rance n’est pas suffi­sant pour son entre­tien. Il doit être complété par de l’exer­cice « contre résis­tance » — une forme de muscu­la­tion que l’on peut prati­quer sous la forme d’entraînement fractionné de haute intensité (HIIT) ou/et, plus simple­ment, d’entraînement musculaire MAF.

C’est en inté­grant à la vie quoti­dienne ces formes de pratique qu’on peut évaluer — pour soi — la véri­table inci­dence de l’ac­ti­vité physique sur le main­tien en bonne santé, la maîtrise du poids et l’en­tre­tien de la masse musculaire.

Dans une vidéo en appa­rence provo­ca­trice (2021N31), l’en­traî­neur spor­tif (et ancien athlète) Mark Sisson déclare que « faire de l’exer­cice est une mauvaise méthode pour perdre du poids »… Il expose les mêmes argu­ments qu’au début de cet article, notam­ment que toute dépense calo­rique supplé­men­taire en exer­cice sera compen­sée par un supplé­ment de prise alimen­taire, mais aussi par l’éco­no­mie d’adap­ta­tions méta­bo­liques vitales, comme la répa­ra­tion de tissus défec­tueux, la mens­trua­tion etc.

Il est impor­tant de faire une distinc­tion claire entre les objec­tifs « perdre du poids » et « augmen­ter la masse muscu­laire ». Les deux sont souvent contra­dic­toires. Georgi Dinkov a montré l’in­té­rêt d’aug­men­ter le rapport entre masse muscu­laire et masse grasse, pour limi­ter la produc­tion de corti­sol (voir plus bas) qui est une source d’in­flam­ma­tion systé­mique — voir le para­graphe Mise en garde sur le métabolisme des graisses.

Une des solu­tions propo­sées par Mark Sisson est la construc­tion d’un style de vie (qu’il appelle « primal ») plus proche de celui de nos ancêtres, carac­té­risé par une moindre consom­ma­tion de glucides, et des périodes de restric­tion calo­rique alter­nant avec celles d’abon­dance — le prin­cipe du demi-jeûne frac­tionné présenté sur mon article Jeûne et restriction calorique.

Le méca­nisme de l’adap­ta­tion méta­bo­lique à la perte de poids est exposé plus en détail dans un autre exposé en fran­çais (Thai J, 2021N32). Cet auteur y constate qu’a­près une période d’amin­cis­se­ment liée à un régime et une forte dépense calo­rique, l’aug­men­ta­tion progres­sive de l’ap­port calo­rique — pour resti­tuer la balance éner­gé­tique — peut induire une reprise plus rapide du poids perdu si les aliments sont trop savou­reux. Toutefois, à l’in­verse de « vieux routards » comme Mark Sisson et Philip Maffetone, cet entraî­neur appuie son exposé sur des travaux de portée scien­ti­fique limi­tée : expé­ri­men­ta­tion sur de très petits groupes de (jeunes) sujets, et sur des durées dépas­sant rare­ment quelques semaines. Les résul­tats visent donc les perfor­mances spor­tives plutôt que l’état de santé sur le long terme.

Thermogenèse

Un autre méca­nisme de régu­la­tion du poids pour­rait être la ther­mo­ge­nèse due à l’ac­ti­vité autre que l’exer­cice (NEAT, nonexer­cise acti­vity ther­mo­ge­ne­sis), autre­ment dit tous les mouve­ments que nous exécu­tons spon­ta­né­ment durant la jour­née sans les avoir program­més en tant qu’exer­cice. Cette acti­vité augmente avec la quan­tité de masse grais­seuse (Villablanca PA et al., 2015N33). Mais plus on s’agite volon­tai­re­ment, plus on a tendance invo­lon­tai­re­ment à réduire l’ac­ti­vité NEAT, ce qui expli­que­rait en partie le manque d’ef­fi­ca­cité de l’exercice.

La ther­mo­ge­nèse est une des fonc­tions spéci­fiques de la graisse brune (tissu adipeux brunN34) qui inter­vient aussi dans la régu­la­tion du poids par l’éli­mi­na­tion de trigly­cé­ridesN35 entraî­nant une dimi­nu­tion de la graisse blanche. Contrairement aux adipo­cytes blancs qui contiennent une gout­te­lette lipi­dique unique, les adipo­cytes bruns contiennent de nombreuses gout­te­lettes plus petites et un nombre beau­coup plus élevé de mito­chon­dries qui contiennent du fer, donnant au tissu sa couleur bruneN34. Des travaux récents (Cypess AM et al., 2009N36) ont montré que cette graisse brune n’était pas fonc­tion­nelle que sur les sujets jeunes, mais poten­tiel­le­ment aussi chez les adultes, surtout les femmes, ainsi que les personnes âgées. La graisse brune est aussi produc­trice de leptineN29 qui a pour effet de dimi­nuer l’ap­pé­tit (voir plus bas).

Certains auteurs affirment que l’on peut relan­cer ou entre­te­nir l’ac­ti­vité de la graisse brune par l’ex­po­si­tion régu­lière à des douches froides, voire l’ap­pli­ca­tion répé­tée de glace ou l’in­ges­tion de 500 ml d’eau glacée le matin (Ice therapy de Tim Ferriss). Il n’est pas certain que ces recettes conviennent à tous les indi­vi­dus et tous les âges, mais on peut toujours essayer…

Microbiotes

Le micro­biote intes­ti­nalN37 joue certai­ne­ment un rôle essen­tiel dans la régu­la­tion du poids, bien qu’il soit très diffi­cile à carac­té­ri­ser, car très variable selon les indi­vi­dus, leurs âges et condi­tions de vie. L’étude de cette flore bacté­rienne est complexe en raison de sa diver­sité que l’on commence à carac­té­ri­ser à l’aide de tech­niques nouvelles, comme le séquen­çage ADN à haut débit.

L’analyse des gaz respi­ra­toires permet toute­fois de détec­ter des dysbiosesN38 et de corri­ger en consé­quence le régime alimen­taire. Les micro­biotes du côlon et des diffé­rentes parties de l’in­tes­tin grêle, très diffé­rents, sont à prendre en compte, ainsi que ceux de l’es­to­mac et de la bouche. L’examen buccal permet de rendre visibles, par lumi­nes­cence, les bacté­ries colo­ni­sa­trices (Holef C, 2021N39). Voir à ce sujet les travaux du Dr Bruno Donatini, présen­tés sur mon article La bouche, miroir de notre santé.

Les probio­tiquesN40 et prébio­tiquesN41 agissent sur cette flore, mais ce n’est pas sans consé­quence, car certains probio­tiques peuvent aussi contri­buer à une prise de poidsN42. L’abstinence de yaourt pendant la période d’amin­cis­se­ment — telle que pres­crite en chrono-nutrition®N43 — serait donc une saine précau­tion à étendre à d’autres probio­tiques.

Renaud RousselN44, prépa­ra­teur physique et nutri­tion­niste, parta­geait sur Facebook (28 octobre 2022) :

L’activité physique a de multiples vertus, mais pas celle de faire perdre du poids.
Je connais des mara­tho­niens qui prennent du poids inexo­ra­ble­ment !
Peu importe l’apport calo­rique, c’est la nature de l’aliment qui compte.
Les sucres fermen­tes­cibles stimulent la flore [bacté­rienne] qui produit une graisse (céra­midesN45 circu­lants) presque indes­truc­tible par nos lyso­somes, inuti­li­sable par nos mito­chon­dries, et intou­chable par notre auto­pha­gie.
Couper la source de cette produc­tion de graisse : les sucres fermen­tes­cibles, permet de réduire la flore de fermen­ta­tion coupable de la prise de poids.
Réintroduire une bonne flore, concur­rente de la flore de fermen­ta­tion, permet de stimu­ler les gènes de l’autophagie, et la destruc­tion des graisses problé­ma­tiques et inflam­ma­toires.
A cette condi­tion, l’activité physique aidera à utili­ser les graisses stockées et accu­mu­lées.
La perte de poids pérenne est une histoire de méta­bo­lisme, pas de balance calorique.

Stress

L’influence du stress sur le stockage de la masse grais­seuse est aussi un des facteurs bien connus à prendre en considération :

Quand l’or­ga­nisme est contraint de produire adré­na­line et corti­sol jour après jour, le corps doit renou­ve­ler constam­ment ses réserves d’éner­gie. Il en emma­ga­sine donc, sous forme de tissus adipeux, autour de la taille. C’est une solu­tion pratique, car le corti­sol sécrété par les glandes surré­nales, situées au-dessus des reins, y a ainsi faci­le­ment accès. Au besoin, il puisera dans ces graisses pour les trans­for­mer en sucre.

(Le rôle du corti­sol dans l’ex­cès de poids et l’embonpointN46)

Un excès de corti­sol chro­nique peut se traduire par une mala­die endo­cri­nienne appe­lée syndrome de Cushing. Selon WikipediaN47 : La mani­fes­ta­tion la plus visible chez l’homme est l’apparition d’une obésité chro­nique de la partie supé­rieure du corps, un aspect bouffi du visage, des mani­fes­ta­tions cuta­nées et un hirsu­tisme, ainsi que des troubles psycho­lo­giques variés.

Carences diverses

La correc­tion d’un déséqui­libre nutri­tion­nel exige d’amé­lio­rer à la fois le choix des aliments et leur qualité. En effet, les fruits et légumes, viandes et laitages issus de l’in­dus­trie agroa­li­men­taire sont issus de sols appau­vris par les engrais ou d’ani­maux en déséqui­libre nutri­tion­nel. Une supplé­men­ta­tion en vita­mines synthé­tiques est sans effet si d’autres micro­nu­tri­ments sont en quan­tité insuf­fi­sante : magné­sium, potas­sium, vita­mines E et K, anti­oxy­dants, etc. (voir articleN48).

Dans un édito­rial du 16 janvier 2016N49, le jour­nal The Lancet conclut :

Bien que les stra­té­gies natio­nales de lutte contre l’obé­sité soient bien­ve­nues et très deman­dées, il faut qu’elles soient bien orches­trées en impli­quant toutes les instances gouver­ne­men­tales concer­nées et en couvrant à la fois la préven­tion et le trai­te­ment. En plus du secteur de la santé, celui de l’édu­ca­tion joue un rôle vital en permet­tant l’au­to­no­mi­sa­tion des enfants et des adoles­cents, grâce à des connais­sances perti­nentes sur les aliments et la nutri­tion, ainsi que la possi­bi­lité de faire de l’exer­cice au-delà de la compé­ti­tion spor­tive. Les minis­tères du trans­port et de l’ur­ba­nisme doivent veiller à ce que les villes et les envi­ron­ne­ments faci­litent et privi­lé­gient l’ac­cès à une alimen­ta­tion saine et à l’ac­ti­vité physique.

Les minis­tères de l’éco­no­mie et les entre­prises ont besoin d’être tenus pour respon­sables des effets sur la santé de leurs poli­tiques. Lutter contre l’obé­sité chez les enfants et les adultes est diffi­cile. Les stra­té­gies de trai­te­ment sont multiples, et commencent par la néces­sité de recon­naître le surpoids et l’obé­sité et leurs consé­quences, allant de l’in­for­ma­tion et des conseils nutri­tion­nels à la chirur­gie baria­triqueN15. Les inter­ven­tions face à l’obé­sité infan­tile ne fonc­tionnent que si toute la famille est impli­quée. Toute stra­té­gie natio­nale devrait avoir des indi­ca­tions claires sur le trai­te­ment de l’obé­sité et du surpoids quali­fiés.

L’obésité est une forme de malnu­tri­tion grave. Le rapport scien­ti­fique du Comité consul­ta­tif des 2015 Dietary GuidelinesN50 indique que la popu­la­tion des États-Unis a un défi­cit de nutri­ments essen­tiels, tels que les vita­mines A, D, E et C, d’acide folique, de calcium, de magné­sium, de fibres, de potas­sium et de fer. Si les deux tiers de la popu­la­tion avaient de graves dénu­tri­tions ou de l’ano­rexie mentale, il y aurait une urgence natio­nale recon­nue.

L’obésité néces­site une atten­tion beau­coup plus forte que celle que lui accordent actuel­le­ment les pays et orga­ni­sa­tions mondiales de santé. L’objectif de réduc­tion de sucre par l’in­tro­duc­tion d’une taxe sur le sucre est un petit pas dans la bonne direc­tion. Néanmoins, il ne doit pas nous détour­ner de la néces­sité de mesures bien plus profondes à plus large échelle.

Nouvelles pistes

Une étude publiée dans Nature par Andrew J Whittle et al. (2015N51) révèle un méca­nisme d’ac­cu­mu­la­tion qui confirme l’inef­fi­ca­cité de la seule pratique de réduc­tion calo­rique pour contrer l’obé­sité (voir article en anglaisN52). Les cellules adipeuses fabriquent une protéine (sLR11) qui inhibe la dissi­pa­tion d’éner­gie accu­mu­lée sous forme de chaleur (ther­mo­ge­nèseN53). Les indi­vi­dus chez qui la produc­tion de sLR11 est faible peuvent régu­ler leur poids, alors que ceux qui ont une forte produc­tion tendent à main­te­nir l’éner­gie stockée sous forme de graisse.

La chirur­gie baria­triqueN15, en rédui­sant la masse grais­seuse, peut contri­buer à dimi­nuer la quan­tité de sLR11, ce qui se tradui­rait par une meilleure régu­la­tion du poids. Des effets secon­daires doivent toute­fois être pris en consi­dé­ra­tion (Mandal A, 2019N54 ; article en fran­çais, 2020N55). Son indi­ca­tion actuelle est un indice de masse corpo­relle supé­rieur à 40 kg/m2, ou 35 kg/m2 avec des comor­bi­di­tés associées.

L’équipe de Thoams Thomou et al. (2017N56) a observé sur un modèle animal que les cellules adipeuses envoyaient des « messa­gers » (miRNAs) modi­fiant l’ex­pres­sion de gènes et la produc­tion de protéines dans l’or­ga­nisme. Certains s’as­semblent en paquets (exomesN57) dans le sang. Un taux sanguin élevé de miRNAs serait asso­cié à l’obé­sité, au diabète et à des mala­dies cardio­vas­cu­laires. En injec­tant de la graisse brune à des souris géné­ti­que­ment modi­fiées pour produire un faible taux de miRNAs, ils ont observé que le méca­nisme du glucose reve­nait à la normaleN58. Dans une autre expé­rience, ils ont montré que le miRNA commu­nique avec le foie et régule l’ex­pres­sion de gènes (comme Fgf21). Pour résu­mer, les cellules adipeuses peuvent « commu­ni­quer » avec les organes pour modi­fier la tolé­rance au glucose.

Ces décou­vertes permettent d’en­tre­voir une approche nouvelle de la lutte médi­ca­men­teuse contre l’obé­sité, mais aussi, par la maîtrise du méca­nisme inverse, de moyens d’aug­men­ter le stockage de graisse chez ceux qui souffrent d’anorexie nerveuseN59.

Sur la page The Carbohydrate Hypothesis of Obesity : a Critical ExaminationN60, Stephan Guyenet remet en cause l’hy­po­thèse — popu­la­ri­sée par Gary Taubes et une majo­rité de cher­cheurs — que l’élé­va­tion du taux d’in­su­line serait la cause première de l’obé­sité. Il affirme que cette hypo­thèse n’est pas vali­dée expé­ri­men­ta­le­ment, et que, entre autres, l’aug­men­ta­tion de poids chez des patients diabé­tiques trai­tés à l’in­su­line pour­rait avoir d’autres causes que l’in­su­line elle-même.

Les obèses n’ont pas une inca­pa­cité à libé­rer de la graisse de leurs cellules adipeuses et à la brûler, au contraire. Ils libèrent plus de graisse de leurs cellules adipeuses que les gens minces, et en brûlent plus. Mais ce ce proces­sus est compensé par une plus grande absorp­tion d’éner­gie, et un taux plus élevé d’ab­sorp­tion de la graisse dans les cellules adipeuses qui contre­ba­lance la dépense accrue… Pour comprendre l’obé­sité, il nous faut comprendre ce qui cause l’aug­men­ta­tion de prise de nour­ri­ture, et ce n’est pas l’insuline.

Les études font appa­raître notam­ment des facteurs géné­tiques qui prédis­posent le système nerveux central à consom­mer plus de nour­ri­ture. Toujours selon Guyenet,

Parmi les nombreux types de gènes iden­ti­fiés comme asso­ciés à une varia­bi­lité de l’in­dice de masse corpo­relle, et dont la fonc­tion est connue, la grande majo­rité s’ex­priment dans le cerveau, parti­cu­liè­re­ment l’hy­po­tha­la­mus, et certains concernent le méca­nisme de signa­le­ment de la leptineN29 (41N61, 42N62).

La leptine est une hormone qui induit dans le cerveau une sensa­tion de satiété — voir Hic & Nunc (2015N63) et Gabriella Tamas (2020N20). Elle est elle-même produite par les cellules adipeuses en réponse au stockage de graisse. Elle inter­vient dans les proces­sus de l’absorption intes­ti­nale, de la signa­li­sa­tion de la satiété, de la lipo­lyse, de l’angiogenèse, de la repro­duc­tion et des réponses inflam­ma­toiresN20. Un excès de produc­tion peut entraî­ner une insen­si­bi­lité à la leptine, une cause d’obé­sité que l’on ne peut régler qu’en modi­fiant son alimentation.

Sur la même page (2011N60), Guyenet montre que l’index insu­li­no­gé­nique (prédi­sant l’élé­va­tion du taux d’in­su­line asso­ciée à la prise d’un aliment) ne suffit pas à expli­quer que les sucres raffi­nés provoquent plus d’obé­sité que les sucres natu­rels, alors que leurs index peuvent être iden­tiques, et encore moins que certains régimes riches en protéines favo­risent la perte de poids.

Des aliments riches en protéines, comme la viande de bœuf, peuvent accroître la sécré­tion d’in­su­line autant que certains aliments amidon­nés comme les pâtes, et même plus. Les régimes riches en protéines, comme beau­coup d’entre vous le savent, aident à perdre du poids. Certains auteurs ont suggéré que c’était en raison de la sécré­ta­tion de gluca­gonN64 par le pancréas en réponse aux protéines. Cela peut très bien jouer un rôle, mais si nous parlons de gluca­gon, alors pour­quoi ne pas recon­naître l’in­fluence d’autres signaux, mise à part l’in­su­line, dans ce proces­sus ? C’est le point de vue plus vaste que je cherche à promou­voir ici : on ne peut pas regar­der unique­ment l’in­su­line, il faut aussi prendre en compte l’amylineN65, le gluca­gonN64, le GLP‑1N66, la ghré­lineN67, la leptineN29, la dila­ta­tion de l’es­to­mac, et tous les autres signaux à court et long terme acti­vés en réponse à l’in­ges­tion de nutri­ments et aux chan­ge­ments de masse grasse corpo­relle. Ces signaux règlent collec­ti­ve­ment la prise de nour­ri­ture et la corpu­lence à long terme via le cerveau.

L’auteur cite enfin de nombreux cas de popu­la­tions dont la nour­ri­ture était propor­tion­nel­le­ment riche en glucides alors que l’obé­sité leur était incon­nue. Il conclut :

La consom­ma­tion de glucides, en soi, n’est pas la cause de l’épi­dé­mie d’obé­sité. Toutefois, lorsque l’obé­sité ou l’ex­cès de poids sont établis, la restric­tion des glucides peut aider la perte de poids chez certaines personnes. Le méca­nisme impli­qué n’est pas très clair, mais il n’y a pas de preuve que l’in­su­line joue un rôle prin­ci­pal dans ce proces­sus. La restric­tion des glucides dimi­nue auto­ma­ti­que­ment l’ab­sorp­tion de calo­ries (de même que, à moindre effet, la restric­tion des graisses), ce qui suggère qu’elle modi­fie­rait l’homéo­sta­sieN68 de la graisse corpo­relle, mais il n’y a pas de preuve convain­cante que cela arrive en raison d’une influence hormo­nale directe sur les tissus adipeux. Le cerveau est le prin­ci­pal régu­la­teur homéo­sta­tique de la masse grais­seuse, de même qu’il régule homéo­sta­ti­que­ment la pres­sion sanguine, le rythme respi­ra­toire et la tempé­ra­ture corporelle.

Une discus­sion appro­fon­die de cette propo­si­tion — régu­la­tion de la masse grais­seuse par le cerveau — est présen­tée sur cette page : Testing the Insulin Model : A Response to Dr Ludwig (2016N69). Le méca­nisme décrit par Guyenet et Schwartz (2012N70) est illus­tré ci-dessous. La leptineN29 appa­raî­trait comme un impor­tant agent régu­la­teur dans ce processus.

Le modèle
Le modèle « leptine » selon Stephan GuyenetN69

Les modèles de Guyenet et de Taubes sont moins anta­go­nistes que le laissent paraître les échanges d’ar­gu­ments (exempleN71). Robert Lustig a en effet montré (AHS11, 2011N72) que l’hyper­in­su­li­nismeN73 provo­que­rait de la résis­tance à la leptineN29, ce qui entraîne une combi­nai­son des facteurs de prise de poids. D’autre part, bien que l’in­su­line produise à court terme une sensa­tion de satiété, l’hy­per­in­su­li­nisme est marqué sur le long terme par une augmen­ta­tion de l’ap­pé­tit (Eenfeldt A, 2011N74).

Le rôle majeur de l’in­su­line dans la prise de poids a été réaf­firmé par Nicole M Templeman et al. (2017N75), appor­tant de nouvelles preuves démon­trant que des réduc­tions modé­rées de l’in­su­line circu­lante empêchent le gain de poids, avec des effets soute­nus qui peuvent persis­ter après norma­li­sa­tion des niveaux d’in­su­line.

Toutefois, l’ac­tion directe de l’in­su­line indui­sant le stockage de graisses dans les cellules adipeuses ne suffit pas, à elle seule, à expli­quer la prise de poids (Speakman JR & KD Hall, 2021N76) :

La cause première de l’obé­sité humaine courante reste incer­taine. Il existe plusieurs expli­ca­tions plau­sibles, dont le modèle popu­laire « glucides-insuline » (CIM), qui suggère que la prise de graisse corpo­relle résulte de la consom­ma­tion de glucides qui stimulent l’in­su­line post­pran­diale, ce qui favo­rise le stockage d’éner­gie et la pour­suite de l’in­ges­tion dans un cercle vicieux. La base théo­rique de la CIM a été réfu­tée par plusieurs expé­riences récentes. Nous suggé­rons que, bien que l’in­su­line joue un rôle impor­tant dans la régu­la­tion de la graisse corpo­relle, la CIM échoue parce qu’elle se concentre sur l’ac­tion directe de l’in­su­line sur le tissu adipeux après la consom­ma­tion d’un repas conte­nant des glucides. Nous propo­sons plutôt de mieux comprendre le rôle de l’in­su­line dans l’obé­sité en tenant compte de son action pléio­tro­piqueN77 sur de multiples organes, qui est déter­mi­née par des facteurs essen­tiel­le­ment indé­pen­dants de la consom­ma­tion de glucides. Reconsidérer le rôle de l’in­su­line peut amélio­rer notre compré­hen­sion des causes de l’obé­sité et de son traitement.

Jane Plain écrit à ce sujet (voir N14) :

Si vous suivez un régime alimen­taire pour réduire votre tissu adipeux et le diamètre des cellules adipo­cytes en utili­sant plus de matières grasses en tant qu’éner­gie… autre­ment dit, vous privez votre tissu gras d’un signal correct d’in­su­line… ce qui se passe est que vos adipo­cytes rétré­cissent. En réponse à cet écou­le­ment de graisse des adipo­cytes, sans que l’in­su­line puisse y mettre fin en indui­sant du stockage, la synthèse de la leptine [N29] s’ar­rête, et elle s’ar­rête de manière bien plus spec­ta­cu­laire que votre niveau absolu de de masse grasse. En outre, les [protéines] récep­trices de la leptine augmentent, empri­son­nant la leptine dans le sang et la rendant inac­tive [voirN78]. Dans le fonc­tion­ne­ment normal de 100% des régimes amin­cis­sants basés sur la nour­ri­ture ou un chan­ge­ment de compor­te­ment, la leptine dimi­nue et les récep­teurs qui empri­sonnent la leptine augmentent. Cela fait partie inté­grante DE TOUTES LES PERTES DE POIDS PROVOQUÉES PAR DES RÉGIMES OU DE L’EXERCICE.

[…] Le résul­tat est que les hommes perdent leur libido, les femmes cessent d’ovu­ler ou sautent des cycles, vous avez froid, vous vous sentez fati­gué, vous deve­nez obsédé par la nour­ri­ture et vous voulez manger tout le temps, et vous ne vous sentez jamais éner­gique. La consom­ma­tion de carbu­rant au niveau cellu­laire est alté­rée.

[…] Tous ces « trucs » ne fonc­tionnent que par un abais­se­ment supplé­men­taire du glucose et de l’in­su­line sur une période de 24 heures. Oui, la perte de poids se produit, mais non, elle ne corrige pas ou n’empêche pas un état de famine, elle l’ag­grave en réalité. Il n’y a aucun moyen de disso­cier la chaîne insuline/glucose/croissance de graisse/leptine. UNIQUEMENT DES INJECTIONS DE LEPTINE POURRAIENTREMÉDIER.

[…] Il est bien établi que la graisse du corps est sous le contrôle de la leptine par l’in­ter­mé­diaire des effets centraux et péri­phé­riques. Il n’y a pas de régime magique qui permette un contrôle du poids sans effort. Voilà pour­quoi la plupart des gourous “low carb” de l’ali­men­ta­tion sont en surpoids, obèses, ou n’ont jamais eu de graisse en premier lieu.

Le rôle de la leptineN29 est mis en avant dans une mala­die congé­ni­tale très rare appe­lée lipo­dy­stro­phieN79 (Huang-Doran I et al., 2010N80) dans laquelle les tissus adipeux ne stockent pas de graisse, de sorte que les personnes sont très minces alors que par ailleurs elles consomment beau­coup de nour­ri­ture et présentent les symp­tômes de personnes grave­ment obèses : hyper­in­su­li­nismeN73, stéa­tose hépa­tique non-alcooliqueN81, hyper­ten­sion, hyper­cho­les­té­ro­lé­mieN82 que l’on regroupe sous le quali­fi­ca­tif de syndrome méta­bo­liqueN83 (Kolata G, 2016N84). En expé­ri­men­ta­tion animale, un apport arti­fi­ciel de graisse fait dispa­raître ces symp­tômes, en restau­rant la fabri­ca­tion de leptine qui envoie au cerveau les signaux de satiété.

À l’op­posé, 10 à 20% de personnes obèses ne déve­loppent aucun signe de syndrome méta­bo­lique (Frabbrini E et al., 2015N85)… Indépendamment de ces cas, plusieurs études convergent vers ce qu’on appelle le para­doxe de l’obé­sité : selon la méta-analyse de Katherine M Flegal et al. (2013N86), les personnes faible­ment obèses (IMC de 30 à 35) n’au­raient pas un risque accru de morta­lité par diverses mala­dies, et celles en surpoids (IMC de 25 à 30) auraient même un risque dimi­nué par rapport aux personnes plus minces. Toutefois, ce para­doxe est contre­dit par une autre méta-analyse couvrant plus de 30 millions de sujets (Dagfinn A et al., 2016N87). Stephan Guyenet (2016N88) souligne qu’il a suffi pour cela d’éli­mi­ner deux facteurs confon­dants : (1) les personnes malades ont tendance à maigrir et (2) les fumeurs sont géné­ra­le­ment plus minces.

Dans un article qui résume bien les méca­nismes en jeu, Roger H Unger et Philipp E Scherer (2010N89) écrivent :

[…] l’obé­sité en soi ne peut pas et ne doit pas être asso­ciée au syndrome méta­bo­liqueN83. Il est reconnu depuis de nombreuses années qu’il existe une corré­la­tion posi­tive entre la taille des dépôts adipeux et la sensi­bi­lité à l’in­su­line, si l’emplacement de la matière grasse est pris en consi­dé­ra­tion.

[…] La plupart des cous­si­nets adipeux de protec­tion sont ceux qui subissent un proces­sus d’ex­pan­sion « sain ». Nous défi­nis­sons un cous­si­net de graisse saine comme celui qui a un plus grand nombre de cellules grais­seuses plus petites, est bien vascu­la­riséN90 et peu fibro­santN91, et qui par consé­quent affiche un niveau réduit de nécroseN92 locale des tissus adipeux, [celle-ci étant] souvent asso­ciée à un haut degré d’in­flam­ma­tion locale (et, fina­le­ment, systé­mique). La possi­bi­lité d’étendre le tissu adipeux de manière protec­trice est clai­re­ment déter­mi­née géné­ti­que­ment, et a aussi une forte compo­sante dimor­phique sexuelle.

Les femmes, quel que soit leur indice de masse corpo­relleN93, sont mieux proté­gés que les hommes contre la résis­tance à l’insuline.

Se serrer la ceinture…

Le lien (ou l’ab­sence de lien) entre obésité et syndrome méta­bo­liqueN83 appa­raît plus clai­re­ment avec la distinc­tion entre graisse sous-cutanée et graisse viscé­rale (prin­ci­pa­le­ment abdo­mi­nale). Autrement dit, c’est le tour de taille qui est à surveiller, plus que le poids ou l’in­dice de masse corporelle…

La graisse stockée en super­fi­cie sous la peau est une simple réserve d’éner­gie, de taille variable selon les indi­vi­dus. Par contre, une fois cette capa­cité de stockage satu­rée, la graisse s’ac­cu­mule dans l’ab­do­men — autour des viscères. Or ce lieu n’est pas conçu pour le stockage de graisse.

L’organisme réagit donc contre cette inva­sion de matières qui entravent le fonc­tion­ne­ment des organes. Comme à l’in­té­rieur d’une plaie infec­tée, cette réac­tion immu­ni­taire se traduit par la produc­tion de macro­phagesN94 qui stimulent la forma­tion de cyto­kinesN95 pour atta­quer ce corps étran­ger. La masse totale des macro­phages peut avoi­si­ner celle de la graisse viscé­rale. C’est ce milieu qui est favo­rable à l’ap­pa­ri­tion de mala­dies qu’on asso­cie au syndrome méta­bo­lique : résis­tance à l’in­su­line, diabète de type 2, mala­dies cardio­vas­cu­laires, cancers, etc.

Cette obésité (abdo­mi­nale) peut donc être dési­gnée comme une patho­lo­gie, malgré que ce discours soit en rupture avec l’in­jonc­tion de ne pas stig­ma­ti­ser une personne en surpoids — « obèse » étant aujourd’­hui perçu comme une insulte « gros­so­phobe ». Pour avoir vécu plusieurs décen­nies dans l’in­con­fort de l’obé­sité, j’ai gardé le souve­nir du regard apitoyé ou moqueur des personnes « bien portantes ». Mais le déni — syndrome d’Obélix — ne permet pas d’échap­per à la haine de soi…

La bonne nouvelle est qu’une révi­sion des habi­tudes nutri­tion­nelles, en accord avec la chronobiologie, asso­ciée à de l’exercice bien adapté et d’autres ajus­te­ments du style de vie, permet d’éli­mi­ner en premier les excès de graisse viscérale.

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Article créé le 2/09/2015 - modifié le 20/06/2023 à 10h15

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