Le véganisme (lien:y7u5) est un sujet complexe et controversé dépassant le cadre d’une « veille scientifique » sur nos choix en matière de nutrition et habitudes de vie… Sa dimension éthique — que certain·e·s n’hésitent pas à taxer de « religieuse » — voue à l’échec toute rationalisation du débat. Je laisse donc la parole à des personnes qui ont traversé cette expérience, la première avec sa famille pendant trois décennies, la seconde en solo moins longtemps, mais avec un regard rendu critique par sa culture scientifique.
J. a traduit et publié sur son blog Le mythe végétarien un article de Denise Minger intitulé “For Vegans” (source lien:c56i). Sa traduction est ici : lien:qm5j.
Denise Minger aborde le sujet sur un ton bienveillant, s’adressant à des lecteurs/trices qui auraient opté pour le végétalisme (lien:opzr, aspect nutritionnel du véganisme) pour des raisons de respect de la vie animale et de préservation de l’environnement. Elle construit son propos à partir de données scientifiques, indiquant tout ce qu’un·e adepte devrait inclure à son régime pour préserver sa santé sur le long terme.
La plupart des points abordés ont été documentés ailleurs sur mon site — voir mes articles — Protéines – Glucides ou lipides ? etc. — mais j’insiste sur le fait que la solution optimale n’est pas identique pour tous les individus.
➡ voir ma page Nutrition, qui écouter ?
Il reste que certains choix en matière de nutrition ou de style de vie convergent statistiquement vers une meilleure longévité ou un désastre avant l’heure. Taty Lauwers, elle aussi ancienne végétarienne, commente avec brio l’article de Minger, n’hésitant pas à déclarer (lien:bqsg) :
Je reviens à mon antienne : en Occident actuel, une personne sur dix est construite pour manger végétarien pur au long cours (eh oui, il faut bien préciser « actuel » car nous sommes en voie de dégénération accélérée, ce qui est vrai aujourd’hui ne l’était pas il y a soixante ans) ; une personne sur cent peut tester végane au long cours. Si cent mille Américains sont véganes « de croisière », on pourrait imaginer mille personnes souriantes. C’est bien léger : on oublie que 99 000 personnes sont en souffrance !
Car c’est bien ici que le bât blesse : chacun se croit légitime d’ériger son cas individuel en loi universelle : « Ce qui est bon pour moi est certainement bon pour tous les autres ». En cas d’échec, soupçonner la personne embarquée dans l’expérience de ne pas avoir fidèlement suivi les instructions…

Doublement manipulatoire : voir les raisons dans mon article Pourquoi diminuer le cholestérol ?
Il a suffi de quelques milliers de survivants du cancer (ou du SIDA) pour créer un mouvement de défiance envers tout traitement médical, alors que le taux de rémissions spontanées n’est jamais nul, même pour des maladies les plus graves. De sorte que la guérison d’un individu (ni même d’un petit groupe) ne prouve pas l’efficacité de la méthode ; de nombreuses variables confondantes (lien:7f6i) rendent incertaines les conclusions. Or, celles et ceux qui ont par malchance cru au miracle de la méthode « alternative » promue par un de ces « survivants » ne sont plus là pour en témoigner… C’est l’équivalent de ce qu’on appelle un « biais de sélection ».
Même chose pour les amateurs de régimes extrêmes qui s’extasient sur une amélioration perçue à court terme, simple effet de l’adaptation de leur organisme à un nouveau modèle nutritionnel. Pour ne pas harceler exclusivement les végétaliens, j’inclus à ma critique les afficionados de régime « cétogène carnivore » (100% de viande) qui ne semblent exister que pour défier les premiers. Sur le long terme, la plupart n’en meurent pas, du moins pas directement si l’on excepte quelques nourrissons maltraités par des parents fanatisés.
Les 90 à 99% mentionnés par Taty Lauwers vont plutôt mal, mais lorsqu’ils s’avisent de renier leurs croyances (convictions ?) c’est souvent pour subir l’ostracisme de leurs anciens corréligionnaires. S’ils osent même témoigner en public, ce rejet peut déraper en violence verbale ou physique : Lierre Keith, auteure de Le Mythe végétarien (lien:pxp8), s’est déjà fait tabasser ; de plus, elle se présente comme lesbienne, ce qui ne peut qu’aggraver son cas. 🙁
Denise Minger était une surdouée vingtenaire inconnue — « Mon blog avait seulement 6 lectrices dont 5 étaient ma mère sur 5 connexions différentes !» — devenue célèbre, entre adoration et diabolisation, le jour où elle a souligné (lien:v2x4) après examen approfondi des données brutes, les incohérences et erreurs méthodologiques de la China Study du Dr. T. Colin Campbell (lien:x2ep). Le bouquin de Campbell fait office de bible des végétaliens sur de nombreux forums…
Les fake news fleurissent autour du slogan « manger moins de viande », certains déclarant entre autres qu’un régime 100% végétal permettrait d’éviter la plupart des maladies métaboliques et les maladies cardiovasculaires. Cette affirmation est contredite par la littérature scientifique, par exemple Vanacore et al. (2018 lien:donl) qui ont comparé trois groupes d’hommes en bonne santé d’à peu près les mêmes âges, poids et indices de masse corporelle : végétaliens, végétariens et omnivores. L’indice de masse musculaire et la masse maigre étaient inférieurs dans le groupe végétalien. D’autre part, les omnivores étaient moins soumis au stress oxydatif et avaient un taux moins élevé d’homocystéine (voir mon article Soigner ses artères).
Les carences en micronutriments sont des facteurs de risque de maladies mentales et, sur le long terme, de maladies neurodégénératives (lien:l7nc). Ce risque est fortement accru chez les végétaliens en raison de l’absence ou de la faible biodisponibilité de ces substances dans les végétaux. Voir à ce sujet un article de la psychiatre Georgia Ede (lien:lwe8).
Parsons et al. (2009 lien:xi6y) ont étudié les effets d’un régime végétalien ‘macrobiotique’ sur une centaine d’enfants hollandais de 9 à 15 ans, et observé qu’il avait induit une réduction significative de densité minérale osseuse (lien:it01), jusqu’à 8% pour la colonne vertébrale. Les chercheurs suggèrent que cette réduction ne résulte pas uniquement de carences en calcium et vitamine D, les quantités de fibres et de protéines devant aussi être prises en considération : « Des apports élevés en fibres alimentaires pourraient avoir un effet négatif sur le métabolisme osseux, en interférant avec l’absorption du calcium, en provoquant une réduction des taux plasmatiques et en augmentant l’excrétion des hormones stéroïdes sexuelles. »
Je vois aujourd’hui beaucoup de végétariens — mais surtout les végétaliens (lien:opzr) et véganes (lien:y7u5) — afficher leur différence sur un ton moralisateur. Une consommation modérée de fromage et de viande (voir le calcul de nos besoins en protéines) est compatible avec une critique de l’élevage industriel dans ses aspects sanitaires, éthiques et économiques, ainsi que la dénonciation d’atrocités commises dans les abattoirs. Désigner le « carnisme » comme un problème de « santé publique » est une stratégie du lobby végétalien qui profite (à l’insu de son plein gré) à un nouveau pan de l’industrie agroalimentaire (voir article lien:ek1t). On peut lire en réponse la critique par Diana Rodgers du rapport de la commission EAT Lancet prônant un régime « flexitarien » (voir lien:e2q3 et sa traduction lien:n5bq) ainsi que celle, plus détaillée, du site OptimisingNutrition (lien:p05k).
J’ai assisté à des exposés alambiqués sur la manière de diversifier les ressources végétales pour bénéficier de tous les nutriments et acides aminés essentiels. Voir par exemple la conférence de Massimo Nespolo : Nutrition et santé, mythes et propagandes (17/5/2014 lien:ch8h). Son argumentaire brillant est sans intérêt pratique car la théorie de la combinaison de protéines a depuis longtemps été réfutée (voir Wikipedia lien:kp3b). Du reste, en 37 ans, je n’ai pas rencontré un seul végétarien/végétalien qui se pliait à de telles prescriptions, bien que la plupart — moi en premier — aient insisté sur leur importance. Même les combinaisons traditionnelles céréale‐légumineuse (riz/soja, blé/pois chiche, maïs/lentille etc.) sont rarement respectées par les céréaliens, y compris en Inde urbaine où j’ai vécu 14 ans ! Elles le sont, par contre, en Inde rurale, hors des périodes de pénurie.
Les croyances et le discours performatif (lien:emq7 souvent copié‐collé) ont remplacé le savoir empirique, comme on peut le constater sur les réseaux sociaux (voir mon article Cerises, brocoli, protéines, propagande). Il suffit de postuler que renoncer à tous les aliments d’origine animale n’induit pas de carences nutritionnelles pour le réduire à un choix éthique (à la portée de tout le monde) dans une perspective de « développement durable ». L’effet placebo (lien:3kr9) donne raison aux nouveaux adeptes, du moins sur le court terme. Les effets (parfois irréversibles) de leurs carences alimentaires peuvent se manifester après plusieurs décennies. Plus grave, imposer un régime privatif à des personnes en situation de dépendance ou de subordination (enfants, parents âgés…) n’est autre que de la maltraitance.
À propos du végétarisme — moins restrictif que le végétalisme, bien que la confusion entre les deux soit fréquente (lien:kytp) — Taty Lauwers souligne l’évolution délétère de cette pratique, causée selon elle par une dégradation de la qualité des produits et l’avènement d’une « alimentation saine » industrielle. Dans un aperçu introductif (lien:s8ls) de son ouvrage en cours d’édition Végétarisme et bon sens, elle cite le Dr. André Passebecq — dont je lisais pieusement le journal à la belle époque : « Jusqu’à l’introduction du lait de soja, les végétariens étaient des modèles de santé ». L’actualité scientifique lui donne raison, avec un soupçon grandissant de lien entre l’utilisation de préparations infantiles industrielles à base de soja à destination des nourrissons et la survenue de signes autistiques (lien:c9pz).
