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Nutrition : qui écouter ?

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Objet de contro­verses, enjeu médi­cal, cultu­rel, éthique et poli­tique, la nutri­tion est le rapport le plus intime et le plus vital de notre corps au monde exté­rieur. Elle occupe aussi nos pensées en raison des nombreuses options ouvertes dans une société de (rela­tive) abondance.

Imposées ou choi­sies, les pratiques nutri­tion­nelles exercent une influence sur notre santé et notre bien-être. Un corps bien nourri fonc­tionne mieux, c’est du simple bon sens.

Toutefois, la dispa­rité des recom­man­da­tions en matière de nutri­tion, et la pléthore de régimes suppo­sés restau­rer notre santé, quand ce n’est pas sauver la planète, conduit à un certain désar­roi. Au final, ce matra­quage de recettes engendre un scep­ti­cisme à l’égard d’in­jonc­tions contra­dic­toires — à défaut simplistes, du style « cinq fruits et légumes par jour », voir le commen­taire de Roland Cash (2008N1)…

Une des raisons de la vacuité des recom­man­da­tions nutri­tion­nelles offi­cielles pour­rait être attri­buée aux biais métho­do­lo­giques des enquêtes sur lesquelles elles s’ap­puient. Ces travaux exploitent des corpus de données collec­tées par des méthodes « basées sur la mémoire » dont la perti­nence est mise en doute par certains cher­cheurs — voir mon article Faut-il jeter les enquêtes nutritionnelles ?

Consommation d’ali­ments aux USA.
Source : Roussel R (2018N2)

Bien que la profes­sion de diété­ti­cien nutri­tion­nisteN3 soit régu­lée en France, je suis atterré par la médio­crité de recom­man­da­tions formu­lées en public par certains profes­sion­nels de santé. Voir par exemple : Le mythe du pH (sanguin) lié à « l’aci­dité » des aliments, une légende urbaine propa­gée par de nombreux « natu­ro­pathes »… Les patients adhèrent volon­tiers à un récit simpliste qui peut se traduire, sur des caté­go­ries d’ali­ments, par un étique­tage « bon » ou « mauvais » ! À l’image du Nutri-scoreN4, voir mon article Vivre bien et longtemps.

Ce constat d’échec des recom­man­da­tions nutri­tion­nelles ne se limite bien entendu pas à la France : les médias en parlent dans tous les pays à « haut niveau de déve­lop­pe­ment », par exemple les USA où le patron de la Food and Drug Administration de 1990 à 1997, décla­rait en 2018 : « Nous avons échoué dans nos recom­man­da­tions diété­tiques à l’égard de la popu­la­tion. » Malgré cela, les « experts en nutri­tion » s’obs­tinent à répé­ter un discours formaté depuis des décen­nies par les indus­triels de l’agro-alimentaire (Roussel R, 2018N2). Car les citoyens améri­cains ont bien suivi ces recom­man­da­tions (voir graphe ci-contre) mais cela n’a pas pour autant empê­ché l’obé­sité, le diabète, les mala­dies cardio­vas­cu­laires et les mala­dies neuro-dégénératives de conti­nuer à grim­per en flèche !

Il serait toute­fois hasar­deux de prétendre que les humains se nour­ris­saient mieux dans « l’an­cien temps »… Grâce à la traduc­tion de centaines de manus­crits (Mc Dowell AG, 2011N5), on dispose aujourd’­hui de données précises sur la pratique nutri­tion­nelle des anciens Égyptiens. Dans The Arrow #155, Michael Eades écrit :

Pourquoi le régime alimen­taire des premiers Égyptiens est-il impor­tant ? Parce qu’ils ont laissé un million de momies de cette époque. La plupart des docu­ments archéo­lo­giques anciens sont unique­ment des sque­lettes. Les données rela­tives aux momies égyp­tiennes comprennent des tissus mous.

Les anciens Égyptiens suivaient un régime alimen­taire qui serait aujourd’­hui le nirvana de tout nutri­tion­niste. Beaucoup de pain complet, pas de sucre (le sucre n’est apparu que vers 1025 après J.-C.), une quan­tité minus­cule de viande rouge, voire aucune, des légumes et un peu de pois­son.

Pourtant, les momies de ces anciens habi­tants montrent qu’ils étaient atteints de toutes les mala­dies que les « experts » nutri­tion­nels d’au­jourd’­hui vous diraient que le régime alimen­taire de l’Égypte ancienne permet d’évi­ter. Ils souf­fraient de caries dentaires horribles, d’obé­sité, d’in­flam­ma­tion et d’athé­ro­sclé­rose, même à un âge précoce. Il est donc clair que leur régime alimen­taire ne leur a pas été d’un grand secours.

Une mise à jour de la forma­tion au regard des données récentes de la science me paraît urgente. Leur confu­sion s’ajoute à celle de théra­peutes « alter­na­tifs » qui persistent à culti­ver (et trans­mettre) des croyances dont l’inep­tie a été démon­trée depuis longtemps.

Taty LauwersN6 l’ex­prime en ces termes (2018N7 page 107) :

Les conseils diété­tiques offi­ciels, tels qu’ils sont relayés par les media ou les asso­cia­tions d’éducation nutri­tion­nelle, ne sont que de néces­saires recom­man­da­tions de trou­peau, loin d’être suffi­sants, assu­ré­ment pas univer­sels.

Les injonc­tions nutri­men­taires parfois très strictes de l’une ou l’autre école nutri­tion­niste ne sont souvent que la part visible d’un iceberg… celui de la soif de recon­nais­sance de leur gourou. Il se peut que, juste­ment, ces normes-là corres­pondent à votre profil. Tant mieux pour vous, car vous venez de trou­ver tout de suite votre voie idéale.

Que faire si, par hasard, votre person­na­lité biolo­gique ne corres­pond à aucun de ces sché­mas ? Ou si vous ne souhai­tez pas inves­tir votre éner­gie et votre temps en essais longs et multiples ?

Son ouvrage Au-delà des régimes (Lauwers T, 2018N8) remet les pendules à l’heure sur de nombreux sujets dans le domaine de la nutri­tion, en accord avec les récentes données de la science… L’auteure insiste à longueur de pages sur la diver­sité des besoins, des compor­te­ments, et au final des croyances qui conduisent les humains au même résul­tat — ce que des cher­cheurs en neuros­ciences quali­fient de vica­rianceN9.

Il est fréquent — et, pour beau­coup, agréable — d’en­tendre dire que la méde­cine est un art plutôt qu’une science, version défor­mée d’af­fir­ma­tions de philo­sophes du siècle dernier — entre autres Henri Bergson — qui la voyaient comme un art ET une science. Mais, dans la pensée New AgeN10 domi­nante, celle qui commande de « vider la tête », la dimen­sion scien­ti­fique est évacuée et rempla­cée par l’in­tui­tion, donc la mise en veilleuse de toute pensée analy­tique, géné­ra­li­sante, critique. Cette même manière de (ne pas) penser vaut pour la nutri­tion : la seule vérité est mon expé­rience person­nelle, celle que de méchants scien­ti­fiques écartent comme une donnée « anec­do­tique »… Pourquoi pas, mais, dans ce cas, puis-je émettre des recom­man­da­tions appli­cables à d’autres que moi-même ?

Ce qui nour­rit cette vision popu­liste est la faus­seté d’études nutri­tion­nelles dont les conclu­sions servent de prétexte à des conseils ou aver­tis­se­ments diffu­sés par les auto­ri­tés sani­taires (et les indus­triels de l’agro-alimentaire). Voir mon article Faut-il jeter les enquêtes nutritionnelles ? Mais l’exis­tence de mauvaises pratiques scien­ti­fiques suffit-elle à condam­ner toute la science ?

Dans deux articles sur ce sujet, j’ai fait part de mon expé­rience person­nelle (en 2009) de la chrono-nutrition®N11 propo­sée par Dr Alain Delabos et collègues (2013N12). Aucun témoi­gnage person­nel ne peut prétendre à une portée scien­ti­fique. Il reste donc anec­do­tique mais peut ouvrir des pistes de réflexion. Cette pratique alimen­taire que j’ai adop­tée en 2009 parais­sait répondre aux besoins de mon orga­nisme, que ce soit l’éli­mi­na­tion du surpoids (ma moti­va­tion initiale) ou le bon état géné­ral confirmé par des bilans sanguins — voir mon article Chrononutrition - expérience. Je ne prétends pas qu’elle convienne à tout le monde, ni qu’elle me convienne à tout moment, bien qu’elle s’ap­puie sur l’hy­po­thèse de la chro­no­nu­tri­tion, un terme géné­rique apparu dans des publications récentes en chro­no­bio­lo­gieN13.

Des travaux expé­ri­men­taux convergent vers le constat que les effets des aliments sont variables selon le moment de leur inges­tion dans le rythme nycthé­mé­ralN14 (nuit/jour) qui gouverne notre système hormo­nal. Une mise en pers­pec­tive scien­ti­fique de cette pratique me paraît donc souhai­table, qu’on la fasse sienne ou non. Le point commun entre les diverses obser­va­tions de méca­nismes nutri­tion­nels est leur carac­tère oscil­la­toire sur une période de 24 heures. Ce domaine de recherche pour­rait donc se limi­ter à la biolo­gie circa­dienneN15 plutôt qu’à la chro­no­bio­lo­gie au sens large.

Il est vrai­sem­blable que plusieurs méca­nismes oscil­la­toires fonc­tionnent en concur­rence dans notre orga­nisme, indui­sant une forte varia­bi­lité indi­vi­duelle, d’où l’échec d’une approche norma­tive. La déter­mi­na­tion géné­tique des effets de régimes fait l’ob­jet d’ex­pé­ri­men­ta­tion animale (Barrington WT et al., 2016N16).

C’est dans cette varia­bi­lité que s’ins­crivent les expé­riences d’(ovo-lacto-)végé­ta­rismeN17 qui peuvent être posi­tives ou fran­che­ment néga­tives sur le long terme pour les un·e·s et les autres — voir mon article. Ma mise en garde à ce sujet est que tout régime priva­tif comporte des risques de carences en nutri­ments, y compris de ceux dont on ne mesure pas encore plei­ne­ment l’im­por­tance. Le cas de la vita­mine D (voir mon article sur ce sujet) est emblé­ma­tique de la décou­verte récente de désordres méta­bo­liques attri­bués à une défi­cience, mais les médias restent silen­cieux sur d’autres nutri­ments impor­tants comme la cholineN18voir mon article.

Le terme « régime » possède une ambi­guïté déran­geante qui n’est pas signa­lée dans les diction­naires. De manière indif­fé­ren­ciée, il s’agit d’une pratique alimen­taire moti­vée par des préoc­cu­pa­tions en matière de santéN19. Or certaines pratiques sont suppo­sées préser­ver la santé sur le long terme, tandis que d’autres ne servent qu’à résoudre un problème parti­cu­lier. C’est le cas des régimes priva­tifs amin­cis­sants : une fois l’ob­jec­tif atteint, le retour à une diète équi­li­brée est inévi­table ; celle-ci est en géné­ral diffé­rente de celle qui a précédé le régime.

On ne peut pas suggé­rer une restric­tion calo­rique impor­tante — voir mon article Jeûne et restriction calorique — tout en affir­mant que « ce n’est pas un régime » si elle ne satis­fait pas les besoins de l’or­ga­nisme dictés par son mode de vie. Les auteurs qui font la promo­tion de méthodes pour la perte de poids ont tendance à écrire que leur pratique « n’est pas un régime ». En réalité, ils cherchent plutôt à la démar­quer d’autres régimes que leurs lecteurs ont essayé sans succès. Dans mon article Manger et bouger ?, j’ai cité par exemple Gary TaubesN20 dénon­çant l’inu­ti­lité de tous les régimes amin­cis­sants pour finir par un éloge du régime AtkinsN21 !

Les vita­mines B12 et K2 et leurs carences suppo­sées font l’ob­jet de nombreux articles. D’autres limites du végétarisme/végétalisme sont présen­tées par Denise Minger dans un article bien docu­menté (2016N22). Sur le même sujet, on peut lire son commen­taire critique (2017N23) de l’ou­vrage How Not To Die de Michael Greger et Gene Stone (2017N24). Ces discus­sions se retrouvent dans mes articles Pour les végan·e·s et Carnivore Code.

Les risques de carences sont éludés par des jeunes gens qui font la promo­tion enthou­siaste sur d’in­nom­brables vidéos de leur dernière trou­vaille nutri­tion­nelle ou d’une pratique de « détox ». Elles/ils sont à un âge où l’on peut faire n’im­porte quelle conne­rie — je ne m’en suis pas privé ! Il faut attendre la quaran­taine (parfois plus) pour commen­cer à « payer la note »… 😣 Mais rares sont les auteurs qui publient un recti­fi­ca­tif après avoir pris conscience qu’ils s’étaient fourvoyés.

Dans l’étude Women’s Cohort Study (Dunneram Y et al., 2018N25), le suivi pendant 4 ans de 14 172 femmes âgées de 35 à 69 ans, en Grande Bretagne, a affi­ché des corré­la­tions entre l’âge de surve­nue de la méno­pause (chez 914 d’entre elles) et leurs habi­tudes nutri­tion­nelles : une ration quoti­dienne supplé­men­taire de légumes était asso­ciée à une année de plus, une ration de pois­son gras à trois années. La vita­mine B6 et le zinc étaient aussi dans une asso­cia­tion favo­rable. Par contre, le fait de consom­mer fréquem­ment du riz ou des pâtes était asso­cié à une année et demi de moins. Le végé­ta­risme (déclaré par certaines parti­ci­pantes) était lui aussi asso­cié à une dimi­nu­tion de l’âge de la ménopause.

Yashvee Dunneram et ses collègues ont reconnu qu’il ne s’agis­sait que de corré­la­tions statis­tiques — après stra­ti­fi­ca­tion par âges et neutra­li­sa­tion de facteurs comme le poids et la consom­ma­tion de tabac — sans valeur probante de liens de causa­lité. Dans la discus­sion (Dunneram Y et al., 2018N25), ils soumettent des hypo­thèses expli­ca­tives en s’ap­puyant sur d’autres études. La préco­cité de la méno­pause est asso­ciée posi­ti­ve­ment à des risques d’os­téo­po­rose, de dépres­sion ou de mala­dies cardio­vas­cu­laires, mais néga­ti­ve­ment à ceux de cancers du sein, de l’uté­rus ou des ovaires.

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Personnaliser la nutri­tion grâce à une prédic­tion des réponses glycé­miques (à divers aliments)…
Source : N26

Au registre de la varia­bi­lité, les travaux sur le micro­biote intes­ti­nal (N27 ; N28) mettent en évidence une dispa­rité de réponse, selon les indi­vi­dus, à l’ab­sorp­tion d’un même type d’ali­ment. L’étude Personalized Nutrition by Prediction of Glycemic Responses (Zeevi D. et al., 2015N26) montre par exemple que l’élé­va­tion du taux de glycé­mie suite à la consom­ma­tion d’un même aliment varie consi­dé­ra­ble­ment d’un indi­vidu à un autre, avec des effets parfois inver­sés, mais que cette réponse est liée de manière prédic­tive à la compo­si­tion de son micro­biote intes­ti­nal.

Les auteurs en déduisent qu’il est souhai­table (et possible) de person­na­li­ser les régimes visant à combattre l’obé­sité ou le diabète de type 2N29. Les conclu­sions de leur étude sont résu­mées sur une anima­tion (2015N30) et expo­sées de manière très claire sur une vidéo de l’au­teur prin­ci­pal Eran Segal (2015N31).

Bill Lagakos, spécia­liste de biochi­mie nutri­tion­nelle, commente ainsi ces travaux (Lagakos B, 2017N32) :

Cette étude corro­bore un grand nombre de mes croyances au sujet de l’in­di­vi­dua­lité en biolo­gie humaine. Nous ne connais­sons pas tous les méca­nismes, mais nous savons que certaines personnes réagissent mieux à certaines inter­ven­tions que d’autres. Nous appre­nons beau­coup des études sur l’ali­men­ta­tion, la lumière, le sommeil, l’ac­ti­vité physique etc., mais il est très rare, voire impos­sible, que les résul­tats s’ap­pliquent égale­ment à tout le monde — et certaines personnes font l’ex­pé­rience d’ef­fets complè­te­ment oppo­sés ; par exemple, voir les travaux pour lesquels les données indi­vi­duelles ont été four­nies. L’exposition à la lumière peut amélio­rer la qualité du sommeil chez certains mais causer de l’agi­ta­tion chez d’autres. Les régimes pauvres en glucides peuvent aider à la perte de poids chez certaines personnes, mais dimi­nuer le gras sera meilleur pour d’autres. Les produits laitiers, le blé, les protéines, les probio­tiquesN33 et les fibres ou l’amidon résis­tantN34 tombent tous dans cette caté­go­rie. Les besoins de sommeil varient selon la personne, la saison, la géogra­phie etc. Il n’y a pas de réponse systé­ma­tique dans beau­coup de ces contextes.

Je recom­mande, pour appro­fon­dis­se­ment, la lecture du dossier théma­tique Régimes alimen­taires et micro­biote intes­ti­nal dans le numéro 9 (octobre 2017) de La Revue des MicrobiotesN35 éditée en France par une équipe multidisciplinaire.

La dispa­rité de réponse aux apports nutri­tion­nels est illus­trée par des travaux visant à évaluer l’ef­fi­ca­cité d’une supplé­men­ta­tion en probio­tiquesN33. Voir par exemple le cas de Lactobacillus gasseri pour le trai­te­ment de l’obé­sité dans mon article Compléments alimentaires.

On fran­chit un nouveau seuil de complexité en tenant compte du fait que l’in­te­rac­tion entre le micro­biote intes­ti­nal humainN27 et la nature des aliments est réci­proque : la « flore intes­ti­nale » (le micro­biote) évolue rapi­de­ment en réponse à nos habi­tudes nutri­tion­nelles, outre qu’elle est influen­cée par d’autres facteurs de qualité de vie comme l’exer­cice et le sommeil — voir les nombreuses réfé­rences sur un article d’Éric CazinN36. Le micro­biote intes­ti­nal (radi­ca­le­ment diffé­rent dans les diverses parties de l’in­tes­tin) n’est par ailleurs qu’une pièce d’un puzzle auquel il faudrait ajou­ter les flores bacté­riennes buccales et stoma­cales… Il semble que l’ana­lyse des gaz respi­ra­toires permet de diag­nos­ti­quer avec fiabi­lité (et de corri­ger) les surpo­pu­la­tions bacté­riennes à l’ori­gine de dysbiosesN37 — j’au­rai dans quelques mois des retours d’ex­pé­rience à ce sujet.

Les auteurs de l’étude Personalized Nutrition by Prediction of Glycemic Responses (Zeevi D. et al., 2015N26) n’ont pas encore inclus d’autres facteurs comme l’ex­po­si­tion à la lumière, le sommeil, la saison etc. Quant à la chro­no­bio­lo­gieN13, elle n’a pas dit son dernier mot, sachant que les bacté­ries de nos micro­biotes vivent aussi en symbiose avec le rythme nycthé­mé­ralN14 — voir La Nouvelle Microbiologie : des micro­biotes aux CRISPR de Pascale Cossart (2016N38).

Les « bons » et « mauvais » aliments ne sont donc pas obli­ga­toi­re­ment les mêmes pour toute personne à tout âge, en tous lieux et à toute heure… L’équilibrage contro­versé entre glucides et lipides (voir mon article sur ce sujet) et le cas de l’insulinorésistanceN39 doivent être abor­dés sous l’angle de cette varia­bi­lité, en évitant toute géné­ra­li­sa­tion hâtive.

La tenta­tion est grande de prétendre avoir engrangé la synthèse de ces connais­sances dans une approche théra­peu­tique univer­selle. On peut citer, parmi de nombreux cas, Jean-Marc RobinN40, « expert reconnu de nutri­thé­ra­pie » — bien qu’ab­sent de Google Scholar — invi­tant les obèses à un “reset total” (sic) de leur flore intes­ti­nale (lu dans la Lettre du Dr Rueff, 12 mai 2018)…

Ceci n’empêche pas de s’in­té­res­ser aux micro­biotes du système diges­tif, à commen­cer par le micro­biote buccal qui est la première barrière des bacté­ries indé­si­rables — voir les articles La bouche, miroir de votre santé et Exercice et santé intestinale.

Autre facteur de complexité récem­ment décou­vert : notre système nerveux enté­riqueN41 contient cinq fois plus de neurones que la moelle épinière, ce qui se traduit par la méta­phore (un peu idiote) : « L’intestin est notre deuxième cerveau ». Ce réseau neuro­nal commu­nique avec le cœur et le cerveau dans les deux sens par l’in­ter­mé­diaire du nerf vagueN42, mais on commence à remar­quer qu’il inter­agit avec d’autres organes (voir Rakhilin N et al., 2016N43 et un article de Duke UniversityN44).

Voir plus loin…

couple-eating
Source : N45

La nutri­gé­no­miqueN46 nous apprend que certains nutri­ments pour­raient modi­fier l’ex­pres­sion des gènesN47, avec pour effet de favo­ri­ser ou inhi­ber le déclen­che­ment de mala­dies graves « program­mées » dans notre génome. Si tel est le cas, notre desti­née s’ins­crit en partie au quoti­dien dans notre assiette.

Il faut veiller toute­fois à ne pas sombrer dans l’ortho­rexieN48, un compor­te­ment carac­té­risé par une réac­tion obses­sion­nelle contre la malbouffe. Il reste vrai que le lobby agro-industriel utilise ce quali­fi­ca­tif pour discré­di­ter les lanceurs d’alertes qui dénoncent la qualité douteuse ou la traça­bi­lité négli­gée de ses produits.

Pour ce qui relève du choix person­nel, mon senti­ment est que toute pres­crip­tion nutri­tion­nelle est basée sur 20 % de science et 80 % de croyance ! Ces chiffres sont pure­ment illus­tra­tifs, mais une approche critique systé­ma­tique a été accom­plie par John Ioannidis et collègues (2018N49) affir­mant que 95 % des études en nutri­tion seraient biaisées.

S’il est indé­niable que la croyance produit des effets, il est raison­nable de ne pas négli­ger les 20 % de science. Un écueil à éviter est une prise de posi­tion sans nuance en faveur de certaines pratiques ou aliments… La contro­verse pour/contre la cuis­son des légumes est emblé­ma­tique de cette simpli­fi­ca­tion abusive (voir N50).

Par ailleurs, il faut garder en mémoire qu’une meilleure pratique nutri­tion­nelle est néces­saire mais pas suffi­sante à nous main­te­nir en bonne santé. L’entraîneur Jack LaLanneN51 disait : « L’exercice est roi et la nutri­tion est reine : avec les deux, vous avez un royaume. » Je recom­mande donc la lecture atten­tive des articles clas­sés dans le chapitre Exercice, sans pour autant verser dans l’ex­cès de ne raison­ner qu’en termes de calo­ries — voir mon article Manger et bouger.

Pour celles et ceux qui souffrent de surpoids ou d’obésité — j’ai long­temps, et plusieurs fois, connu ce désa­gré­ment — bien garder présent à l’es­prit que si un théra­peute affirme régler dura­ble­ment ce problème par le seul biais de la nutri­tion, cela veut dire qu’il est vendeur d’une méthode miracle, de produits, de livres ou de coaching… Mises à part de rares excep­tions, l’obé­sité ne s’éli­mine pas dura­ble­ment par la seule nutri­tion ; l’exercice prati­qué avec discer­ne­ment est indis­pen­sable. De même, aucune pratique spor­tive n’écarte dura­ble­ment le risque de surpoids sans être asso­ciée à une nutri­tion plus saine. J’insiste sur « dura­ble­ment » pour souli­gner qu’on ne peut se fier à une évolu­tion favo­rable sur quelques semaines ou quelques mois.

Une assi­mi­la­tion béné­fique des aliments implique une moti­litéN52 correcte des organes diges­tifs. On peut lire à ce sujet l’ar­ticle : Que faire face à la constipation ? par Chris Masterjohn, ainsi que la page Le duodé­num (2021N53) par Renaud Roussel.

Le grigno­tage entre les repas est parti­cu­liè­re­ment délé­tère car il bloque un « balayage muscu­laire » du système diges­tif, toutes les deux heures — phase III du complexe moteur migrantN54 — qui ne se produit que lorsque l’es­to­mac est vide.

Et n'oubliez pas le sel !

C’est la combi­nai­son judi­cieuse du choix de nos aliments et de l’exercice avec l’hydratation, des compléments alimentaires éven­tuels et un sommeil adap­tés à nos besoins, qui assure notre plein épanouis­se­ment et nous protège contre la dégra­da­tion du vieillis­se­ment — voir mon article Vivre bien et longtemps. Tout ce que j’ai publié s’adresse en premier aux jeunes de 7 à 77 ans, et bien au-delà depuis que l’es­pé­rance de vie a augmenté… 😉

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Article créé le 21/08/2015 - modifié le 21/02/2024 à 06h50

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