La cuisine italienne est renommée pour sa diversité et la richesse de ses saveurs. C’est aussi une qualité de l’ouvrage La dieta della longevità — en français, Le Régime de longévité (2018N1) — publié par Valter D LongoN2, chercheur à l’université du sud de Californie. La lecture en est pleine d’agrément, et l’auteur, émigré aux USA, a très bien su mettre en valeur sa culture d’origine.
Pour la diversité, je retiendrais plutôt l’image d’un restaurant italien expatrié : on y sert des nourritures saines et revigorantes — exercice d’endurance, entraînement fractionné de haute intensité, jeûne intermittent, régime simulant le jeûne… — mais la plupart de ces « antipasti » ont été depuis longtemps plébiscités par les avocats d’une vie saine. Le Régime de longévité ne révèle pas les secrets des supercentenairesN3 italiennes dont nous aurions besoin pour figurer un jour au palmarès du Gerontology Research GroupN4…
Par contre, le « régime » en question, véritable plat de résistance de cet ouvrage, appelle une lecture critique en raison de son caractère iconoclaste. L’auteur se fait l’avocat d’une pratique en décalage avec les régimes en vogue et les recommandations d’équipes de recherche en nutrition. Dans les grandes lignes, le Régime de longévité défend la cause d’un régime pesco-végétarienN5 — sans viande, sans œufs ni produits laitiers — et le remplacement quasi intégral des protéines animales par des protéines végétales.
Valter Longo appuie son propos sur des travaux scientifiques, dont ceux qu’il a dirigés ou cosignés. Mais sa démarche est-elle vraiment scientifique ?
Sommaire
⇪ Vive la « juventologie » !
Les pages 41 à 48 sont un brillant plaidoyer pour un changement paradigmatique ambitieux : plutôt que de s’acharner à faire le tri entre diverses théories du vieillissement, en contestant par exemple les théories évolutionnistes les plus répandues, il conviendrait d’étudier les conditions d’une longue vie en bonne santé. Valter Longo écrit (2018N1 page 46) :
C’est là que ma théorie de la longévité programmée devient centrale en affirmant que comprendre comment et pourquoi nous vieillissons est moins important que de comprendre comment rester jeunes. Aussi ai-je formé le terme de “juventologie” (du latin juventa, jeunesse) à dessein, pour désigner l’étude de la jeunesse.
L’auteur décrit les résistances qu’il a rencontrées en défendant cette approche, exposé au cloisonnement de la recherche académique. Pourtant, sa proposition n’est pas nouvelle. « Comment vivre longtemps en bonne santé » est la question fondamentale que se posent de nombreux chercheurs, praticiens de santé, entraîneurs sportifs, thérapeutes non conventionnels et adeptes de l’hygiénisme depuis le début du 20e siècle en Occident. Certains y ont apporté des solutions proches de celle de Valter Longo, d’autres franchement à l’opposé comme par exemple les pratiques « végane » et « paléo »…
La chance de Valter Longo a été d’être admis en 1992 dans une équipe de recherche sur la longévité à l’université de Californie – Los Angeles (UCLA), où il a pu se former jusqu’au doctorat, renonçant à la carrière musicale pour laquelle il avait émigré aux États-Unis (page 48). Au vu des piètres résultats de l’expérimentation sur des souris, organismes à son avis « trop complexes », il est passé au département de biochimie pour étudier le vieillissement des levures. Entouré à UCLA d’une équipe exceptionnelle — dont « trois Prix Nobel et de nombreux membres de l’Académie nationale des sciences » — il a fait des découvertes importantes sur le vieillissement des cellules (de levure), notamment que « le sucre était le nutriment qui les faisait vieillir plus rapidement et mourir plus tôt, en modifiant l’expression des gènes Ras et PKA et en désactivant les facteurs et les enzymes qui les protégeaient de l’oxydation ». Découverte qu’il a consignée dans sa thèse de doctorat et deux publications — voir sur ce sujet Longo VD (2003N7). Il ajoute (2018N1 pages 53–54) :
Il fallut encore six autres années avant que je puisse publier dans la revue Science mes données sur les gènes activés par les sucres, avec la découverte, par mon laboratoire à l’USC [Université de Californie du Sud], des gènes du vieillissement (Tor et S6K) activés par des acides aminés et des protéines [Fabrizio P et al., 2001N8]. Il en fallut huit autres encore avant que plusieurs laboratoires ne confirment expérimentalement ces données sur la souris, et dix de plus pour que mon laboratoire fournisse la première preuve que les mêmes gènes et les mêmes voies métaboliques protègent aussi les êtres humains des maladies liées au vieillissement, en étudiant un groupe d’Équatoriens de petite taille, porteurs d’un récepteur défectueux de l’hormone de croissance [syndrome de LaronN6].
La suite de l’histoire est captivante (pages 54, 56) :
C’est en 2011 que nous avons publié l’étude la plus importante, dans Translational Medicine [Guevara-Aguirre J et al., 2011N9] : nous y avons démontré que ces personnes ne souffraient quasiment pas de cancer ni de diabète, en dépit d’une alimentation et d’un mode de vie déplorable. […] Cette étude a été la première vraie démonstration de ma théorie sur le vieillissement, où je postule que des gènes semblables ou identiques contrôlent le vieillissement aussi bien dans les organismes simples (comme les levures) que complexes (y compris chez l’homme).
Il annonce ensuite des travaux sur les liens entre nutriments, gènes, vieillissement et maladies, que l’on peut résumer ainsi (page 57) :
L’âge étant le principal facteur de risque de développement des maladies les plus graves, mieux vaut intervenir sur le vieillissement plutôt que de chercher à prévenir et soigner les principales maladies une par une. […] Nous avons désormais les moyens d’intervenir sur le risque de maladies en agissant sur le “programme de longévité” : en orchestrant les principaux régulateurs de ce programme grâce à l’alimentation.
⇪ Travaux en cancérologie
La deuxième passion de Valter Longo a été d’utiliser la biochimie pour résoudre des problèmes médicaux (2018N1 page 59) :
J’ai toujours pensé qu’en appliquant nos connaissances biochimiques à la médecine, nous pourrions faire beaucoup pour les patients, mais aussi plus vite et à un faible coût.
Les résultats de cette orientation (page 60) :
Ces efforts aboutirent à nos découvertes sur la résistance et la sensibilisation différentielle au stress, qui utilisent le jeûne prolongé pour pousser les cellules saines à entrer dans un état de haute protection tout en rendant les cellules cancéreuses hautement vulnérables à la chimiothérapie et aux autres traitements antitumoraux.
Ces travaux l’ont amené à préconiser le jeûne et le régime simulant le jeûne (FMD, Fasting Mimicking DietN10) en prévention et en complément du traitement des cancers (2018N1 pages 100–153) — voir mon article Cancer - approche métabolique.
⇪ Cinq piliers de la recherche
La stratégie de Valter Longo pour la recherche sur la longévité en bonne santé repose sur cinq « piliers » (2018N1 pages 70–75) :
- La recherche fondamentale en biogérontologie/“juventologie”
- La recherche épidémiologique
- Les essais cliniques
- L’étude des centenaires
- La compréhension des systèmes complexes
Nous verrons que certains piliers sont fragiles, voire chancelants dès qu’il s’agit de nutrition… Pour illustrer le cinquième pilier (page 74), Longo s’empresse par exemple à condamner le régime hyperprotéiné, hyperlipidique et à faible valeur en glucides que beaucoup adoptent actuellement, y compris en Italie (beaucoup de viande, peu de pain, de pâtes, etc.). Ce dont il parle, en réalité, est un des régimes amincissants destinés à n’être observés que jusqu’à l’élimination du surpoids. Effectivement, tout régime hyperprotéiné, même efficace pour la perte de poids, n’est pas sans danger dans la duré. On peut citer le régime DukanN11 qui fait des émules en France et présente de nombreux effets secondaires outre une reprise de poids au bout de 4 ans chez 80% des adeptes. Longo confond ce régime — ou celui d’AtkinsN12 plus connu aux USA — avec une diète « pauvre en glucides et riche en graisses » (LCHF – Low Carb High Fat) qui peut être pratiquée indéfiniment si elle n’est pas associée à une surconsommation de protéines — voir mes articles Glucides ou lipides et Protéines,
Le premier pilier « recherche fondamentale » est exposé dans l’ouvrage (2018N1 pages 97–100), le deuxième « épidémiologie » dans les pages 100 à 103 et le troisième « études cliniques » de 103 à 105. La recherche fondamentale est illustrée principalement par son expérimentation sur les souris, l’épidémiologie par l’analyse des données nutritionnelles du NHAES (voir ci-dessous) et les études cliniques par une sélection d’études cliniques qui paraissent confirmer certaines des hypothèses. Il est intéressant de noter (page 103) qu’il mentionne avec conviction l’étude d’Estruch R et al. (2013N13) rétractée en 2018N14 puis republiée, annonçant une réduction de 30% du risque cardiovasculaire chez les adeptes de régime méditerranéenN15. Dans mon article Soigner ses artères, j’ai signalé que les sujets des deux groupes « régime méditerranéen » y avaient consommé plus de viande rouge ou transformée que ceux du groupe témoin.
⇪ Supercentenaires italien·ne·s
Venons-en au quatrième pilier… Jusqu’à plus ample information, je garde sous le coude l’hypothèse de facteurs socio-économiques — incomplétude des données d’état-civil, fraude à la retraite ou aux aides sociales etc. — ayant pu brouiller les statistiques de centenaires dans les régions de l’Italie où Valter Longo et ses collègues mènent des enquêtes : Molochio, la Calabre et la Ligurie. Cette hypothèse — voir mon article Supercentenaires : des statistiques dérangeantes —n’apporterait rien de neuf puisque toutes les enquêtes ont été menées dans les zones bleuesN17 sans s’attarder sur les statistiques : Californie, Andes du sud de l’Équateur, Japon (Okinawa), Russie, Pays-Bas et sud de l’Allemagne (Longo V, 2018, N1 page 16).
La passion de Valter Longo pour le sujet de la longévité en général — comment continuer à être parfaitement « fonctionnel » après quatre-vingt-dix ou cent ans — est un aboutissement du vécu de situations très diverses dans son parcours de vie : son émigration aux USA (Chicago) suivie d’un séjour dans un camp d’entraînement de l’armée américaine puis d’une formation à l’université du Texas du Nord, et enfin son affiliation à l’université de Californie de Los Angeles.
Bien avant de devenir chercheur, il avait acquis de cette expérience la conviction qu’un facteur déterminant de longévité (en bonne santé) devait être la nutrition. Son ouvrage est riche d’anecdotes émouvantes. Le problème est que ses observations personnelles sur les habitudes alimentaires qu’il avait lui-même empruntées, par choix ou par obligation, l’ont conduit à tenter de prouver que ce qu’il ressentait était vrai. Cette manière de procéder n’est pas compatible avec une démarche scientifique où toutes les hypothèses plausibles devraient rester ouvertes. Selon le critère de réfutabilitéN18 de Karl Poppert, l’expérimentation devrait plutôt viser à réfuter — « falsifier » — une hypothèse pour établir sa solidité. En sélectionnant des études dans le seul but de renforcer une hypothèse — ce que les chercheurs appellent du cherry pickingN19, la « cueillette de cerises » immédiatement à leur portée — la confusion est inévitable entre des corrélations et des liens de causalité.
L’idéal de bonne pratique (et d’éthique) scientifique formulé par Poppert est malheureusement souvent transgressé par les chercheurs sans qu’ils en aient bien conscience, surtout dans le domaine de la nutrition où les biais psychologiques et culturels sont légion. Il est regrettable, par exemple, que Valter Longo n’ait pas mentionné les douze années d’enquête du nutritionniste Weston PriceN20 sur tous les continents — voir mon article Nutrition et dégénérescence physique… Mais pas si surprenant, sachant que leurs conclusions divergent fortement !
Les centenaires rencontrés par Valter Longo en Italie appartiennent à des populations pauvres qui, dans le passé, se nourrissaient essentiellement de produits de la pêche, de céréales, de légumineuses et légumes cultivés localement, agrémentés d’huile d’olive et de fruits frais ou « en coque » (en réalité des graines). C’est un régime pesco-végétarienN5 similaire à ceux qu’on regroupe aujourd’hui sous l’appellation régime méditerranéenN15. Les gens manquaient de ressources pour s’offrir de la viande et des produits laitiers. Les sucreries et les aliments transformés étaient rarissimes. Il apparaît toutefois, dans les entretiens avec ces centenaires, que leur modèle nutritionnel a évolué au cours de leur existence de par l’accès à des denrées autrefois réservées aux familles aisées. Longo écrit (2018N1 page 111) :
[…] ces centenaires vivent désormais avec les familles de leurs enfants qui ont adopté un style alimentaire plus moderne, riche en protéines et à base de produits d’origine animale. Aussi avons-nous émis l’hypothèse que cette transition, qui a généralement eu lieu quand ils avaient 80–90 ans, peut avoir contribué à leur extrême longévité.
Il s’appuie pour soutenir cette hypothèse sur des travaux — menés principalement en expérimentation animale —qui montreraient que (page 111) :
[…] l’IGF‑1 [N21] et autres hormones contribuant au vieillissement peuvent atteindre des taux très bas après 80 ans ; ce qui fait qu’un régime strictement moins riche en protéines est moins efficace contre le cancer et le diabète, et susceptible d’entraîner des dysfonctionnements immunitaires et des difficultés de cicatrisation.
Dans d’autres contextes (données du NHAES) il a été contraint de placer la barre à 65 ans plutôt que 80… La question du dosage des protéines et de son effet sur les hormones responsables du vieillissement est traitée plus bas.
Le régime de la doyenne de l’Italie Emma Morano (morte à 117 ansN22) était, aux dires de Valter Longo, « depuis plusieurs décennies pas particulièrement sain » (Longo V, 2018N1 page 65) puisqu’elle consommait chaque jour 3 œufs et 100 à 150 grammes de viande crue (voir la vidéo positionnéeN23). Il s’en explique ainsi (N1 page 114) :
Je voulus néanmoins comprendre, et il apparut lors de nos entrevues que l’alimentation d’Emma, des décennies durant, avait été plus riche en végétaux, avait comporté quantité de riz et de minestrones, et qu’à un âge avancé elle avait mangé davantage d’ingrédients d’origine animale. Mais j’eus surtout la confirmation qu’Emma possédait probablement les « bons gènes », qui multiplient la possibilité pour une personne d’atteindre 100 ans. […] J’ajouterai qu’Emma Morano était entre les mains d’un remarquable médecin, le docteur Carlo Bava, qui a contribué à sa longévité par de bonnes décisions médicales pendant trente ans.
Il oublie de dire que c’est dès 20 ans qu’elle a commencé à consommer ses œufs quotidiens sur recommandation de son remarquable médecinN22… Valter Longo ne fait rien d’autre, dans ce commentaire, que signaler des variables confondantesN24 que les enquêtes nutritionnelles ne prennent pas en compte et qui suffisent à les disqualifier.
Pour brouiller un peu l’esprit critique de son auditoire, l’auteur reconnaît (page 114) : « Parlez à cent centenaires, et vous aurez cent élixirs de longévité différents ». Puis il reprend la main en rappelant son credo (page 115) : « En tout état de cause, l’alimentation demeure notre meilleur outil pour prévenir et soigner les maladies ».
⇪ Les Adventistes… et les autres
L’étude de Gary Fraser et DJ Shavlik (2001N25) sur la longévité de 34 192 Adventistes de Californie âgés de plus de 30 ans et suivis pendant 12 ans est citée dans l’ouvrage (2018N1 pages 116–117). Valter Longo affirme que leur végétarisme expliquerait, dans le groupe le plus favorable, un accroissement jusqu’à 10 ans d’espérance de vie chez les hommes et 6 chez les femmes, en comparaison avec le reste de la population californienne. La différence moyenne, tous groupes confondus, n’est toutefois que de 7.3 ans pour les hommes et 4.4 ans pour les femmes (2001N25 page 1646).
Cette conclusion aurait appelé un examen parallèle de travaux sur une autre population de la même région observant presque les mêmes règles de vie. C’est le cas de la communauté mormone de Californie. L’étude d’Enstrom JE & Breslow L (2008N26) portant sur 25 647 personnes suivies pendant 24 ans, a mesuré une augmentation de 9.8 ans de l’espérance de vie chez les hommes et 5.6 chez les femmes de plus de 25 ans (N26 page 135).
Il en découle que les Mormons vivent plus longtemps que les Adventistes en Californie. Or, si les Adventistes sont majoritairement végétariens, les Mormons ne font que suivre la recommandation d’un régime « équilibré ». Cette comparaison suffit à prouver que la consommation de viande n’est pas le facteur garantissant la longévité accrue de ces populations. Celle-ci tiendrait plutôt à l’adhésion à des règles de sobriété (abstinence de tabac, d’alcool, de drogues etc.), un haut niveau d’éducation et une forte cohésion sociale associée à la pratique religieuse. Le léger avantage des Adventistes végétariens sur les non-végétariens — environ 2 ans d’espérance de vie (2001N25 page 1647) — est peut-être lié à des comportements influant sur d’autres paramètres non répertoriés. Contrairement à ce qu’en rapporte Longo, les auteurs de l’étude ont conclu (2001N25 page 1650) :
Les résultats discutés précédemment montrent que les Adventistes vivent plus longtemps, sans pouvoir identifier les facteurs qui contribuent à leur longévité accrue.
Ici encore, le biais sélectif de l’auteur — citer exclusivement les Adventistes — met en péril la véracité de sa démonstration qui s’obstine, au fil des pages, à agiter la clochette du pesco-végétarisme…
Valter Longo fait brièvement allusion aux travaux de Nir Barzilai (Albert Einstein College of MedicineN27) qui étudie les centenaires juifs ashkénazes de New York « qui ne songent jamais à faire de sport mais vivent pourtant très âgés » (2018N1 page 121). Nir Barzilai dirige le Longevity Genes Project dans lequel 500 personnes en bonne santé âgées de 95 à 112 ans et leurs enfants ont fait l’objet d’une étude génétique. Stephen S. Hall écrit à ce sujet (2013N28) :
Le projet Einstein a depuis pris de l’ampleur pour inclure plus de 500 centenaires à New York et dans les environs, tous d’Europe centrale et tous des Juifs ashkénazes, une population historiquement et culturellement isolée. Dans ce groupe homogène, les recherches ont à nouveau révélé un ensemble de gènes liés à la longévité, dont certains ont également été découverts en Italie.
Alors qu’ils rassemblaient de plus en plus de données, les chercheurs d’Einstein ont remarqué que les centenaires ashkénazes avaient des taux exceptionnellement élevés de HDL, souvent appelé la bonne forme de cholestérol, et que les enfants de ces centenaires avaient des taux encore plus élevés. Cela les a incités à analyser l’ADN d’une centaine de gènes connus pour être impliqués dans le métabolisme du cholestérol. Ce qu’ils ont trouvé était une variante, un sous-type génétique distinct, d’un gène connu sous le nom de CETP (protéine de transfert des esters de cholestérol [N29]) qui était plus commun chez les centenaires que chez les autres.
L’explication génétique est ici dominante dans la mesure où ces personnes ont un style de vie qui ne permet en rien de prédire leur longévité. Stephen Hall précise toutefois (2013N28) :
Mais les gènes à eux seuls ne sont pas susceptibles d’expliquer tous les secrets de la longévité, et les experts voient un récit édifiant dans les résultats récents concernant la restriction calorique. Des expériences menées sur 41 modèles génétiques différents de souris, par exemple, ont montré que la restriction de la prise de nourriture produisait des résultats extrêmement contradictoires. Environ la moitié des espèces de souris vivaient plus longtemps, mais autant d’entre elles vivaient moins longtemps avec un régime alimentaire restreint qu’elles ne le feraient avec un régime normal. Et en août dernier, une expérience de longue date menée par le National Institute on Aging (NIA) a conclu que des singes soumis à un régime hypocalorique pendant 25 ans ne présentaient aucun avantage en termes de longévité [2012N30]. Passarino a fait le point alors qu’il rentrait dans son laboratoire après avoir rendu visite aux centenaires de Molochio. “Ce n’est pas qu’il existe de bons gènes et de mauvais gènes”, a‑t-il déclaré. “C’est certains gènes à certains moments. Et au final, les gènes ne représentent probablement que 25% de la longévité. C’est aussi l’environnement, mais cela n’explique pas tout. Et n’oubliez pas le hasard.”
⇪ Des souris et des hommes
La question des protéines est centrale dans l’extrapolation au genre humain des essais sur des animaux proposée par Valter Longo pour justifier son « régime de longévité ». Je l’ai abordée dans mon article Protéines, mais d’autres détails importants ont été rapportés sur le blog de Denise MingerN31 dont je vais présenter un aperçu. Minger est une ex-végane célèbre pour son analyse critique de la « bible » des végétaliens : The China Study de T. Colin Campbell (2006N32) — voir Minger DN33 et son entretien en 2010N34.
Le travail expérimental à partir duquel Valter Longo construit son raisonnement est l’étude de Levine LE et al. (2014N35) qu’il a cosignée. En résumé :
Les souris et les humains présentant des déficits en récepteurs de l’hormone de croissance/IGF‑1 présentent une réduction importante des maladies liées à l’âge. Étant donné que la restriction protéique réduit l’activité de GHR-IGF‑1 [récepteur de l’hormone de croissanceN36 et facteur de croissance analogue à l’insulineN21], nous avons examiné les liens entre l’apport en protéines et la mortalité. Les personnes enquêtées âgées de 50 à 65 ans ayant déclaré un apport élevé en protéines ont présenté une augmentation de la mortalité globale de 75% et un risque de décès par cancer multiplié par 4 au cours des 18 années suivantes. Ces associations étaient soit supprimées, soit atténuées si les protéines étaient dérivées de plantes. À l’inverse, un apport élevé de protéines était associé à une réduction du cancer et de la mortalité globale chez les personnes de plus de 65 ans, mais une multiplication par 5 de la mortalité par diabète à tous les âges. Des études sur la souris ont confirmé l’effet d’un apport élevé en protéines et de la signalisation de GHR-IGF‑1 sur l’incidence et la progression des tumeurs du sein et du mélanome, mais également les effets néfastes d’un régime alimentaire pauvre en protéines chez les personnes très âgées. Ces résultats suggèrent qu’un faible apport en protéines au cours de l’âge moyen suivi d’une consommation de protéines modérée à élevée chez les adultes âgés pourrait optimiser leur santé et leur longévité.
Première remarque pour ce qui concerne la partie « humaine » de l’étude : elle repose entièrement sur les données de l’enquête nutritionnelle NHANES IIIN37 construite à l’aide de rapports « basés sur la mémoire ». Comme indiqué dans mon article Faut-il jeter les enquêtes nutritionnelles ?, ces données manquent de fiabilité et ne font souvent que renforcer les biais des participants.
Denise Minger analyse la procédure de collection des données de la NHAES III qui repose sur un questionnaire renseignant, une seule fois et de manière très subjective, les aliments consommés dans les dernières 24 heures, cette quantification étant supposée invariante pendant les 18 années de suivi des participants. Elle rappelle au passage l’évaluation d’Archer E et al. (2013N38) qui ont signalé l’incohérence des données au niveau des estimations de calories (Minger D, 2014N31) :
De manière générale, les participants à la NHANES ont fait un travail remarquable en se trompant. Presque tout le monde a sous-déclaré le nombre de calories consommées — les obèses sous-estimant leur consommation de 716 calories en moyenne par jour pour les hommes et de 856 calories pour les femmes. C’est un peu beaucoup. Les chercheurs de l’étude [Archer E et al.] ont conclu que, tout au long des 40 années d’existence de la NHANES, « les données sur l’apport énergétique de la majorité des personnes enquêtées… n’étaient pas plausibles du point de vue physiologique ».
Si les données sur les calories sont fausses à ce point, comment se fier à celles sur les protéines ? Et qui plus est, raisonner sur des quantités de protéines exprimées par leur équivalent calorique ? Denise Minger commente : « Malgré toutes les choses magiques que peuvent faire les mathématiques, aucun tour de magie statistique ne peut corriger des données faussées dès le départ ». Il reste que la NHAES III est le corpus de référence de tout ce que les chercheurs actuels peuvent inférer des habitudes alimentaires des Nord-Américains, et de l’élaboration de recommandations officielles en matière de nutrition.
La partie de l’article traitant de l’expérimentation animale mérite aussi un examen critique. Minger résume (2014N31) :
Pour comprendre pourquoi les protéines pourraient être liées au cancer et à la mortalité globale, comme le suggérait leur étude sur les humains, les chercheurs ont mené une série d’expériences sur des souris, leur fournissant une gamme de niveaux de protéines reflétant ceux des participants à la NHANES III : 4 à 18% de calories. L’objectif premier était de déterminer si l’affinement de ces niveaux de protéines aurait un impact sur les niveaux de facteur de croissance analogue à l’insuline (IGF‑1) [N21] circulant dans le corps de la souris, ainsi que sur l’incidence et la progression du cancer.
Longo et ses collègues (2014N35) annoncent :
Ces études chez la souris ont confirmé l’effet d’un apport élevé en protéines et de la signalisation du GHR-IGF‑1 sur l’incidence et la progression des tumeurs du sein et du mélanome, mais également les effets néfastes d’un régime alimentaire pauvre en protéines chez les personnes très âgées.
Toutefois, le seul effet néfaste d’une carence en protéines observé chez les souris âgées de 24 mois (en comparaison avec celles de 18 mois) a été une diminution de poids ; l’étude ne dit rien sur la protection contre le cancer constatée chez les humains.
⇪ Saga de la « restriction calorique »
Denise Minger (2014N31) a fait le point sur l’incidence, reconnue de longue date, de la restriction calorique sur la longévité, dont je vais reproduire les grandes lignes.
Une découverte initiale était que la restriction calorique diminuait la production d’hormone de croissanceN36 et d’IGF‑1N21, augmentant les chances de survie de l’organisme au-delà de sa période de reproduction. Toutefois, des études ultérieures (exemple Liao CY et al., 2012N39) ont montré un effet inverse chez différentes souches de souris. Harper JM et al. (2006N40) ont observé que la restriction calorique n’avait aucun effet mesurable sur la longévité chez des souris issues de source sauvage. Même chez les humains, la restriction calorique ne modifierait pas significativement les taux d’IGF‑1 (Fontana L et al., 2008N41). On s’est alors aperçu que la restriction calorique ne faisait effet que si elle était accompagnée de restriction en protéines, puis que la restriction en protéines pouvait à elle seule produire l’effet souhaité…
L’histoire continue avec la découverte que, chez les souris, la seule restriction en méthionineN42, un acide aminé abondant dans la viande et les œufs, était suffisante pour augmenter la durée de vie et induire des avantages pour la santé, comme ralentir le vieillissement immunitaire, améliorer la glycémie, réduire les niveaux d’IGF‑1 et d’insuline et protéger les cellules des organes contre les dommages oxydatifs (Miller RA et al., 2005N43 ; Sanz A et al., 2006N44).
L’étape ultime, à ce jour, a été de découvrir que la seule consommation de glycineN45 permettait au foie d’éliminer l’excès de méthionine (Brind J et al., 2011N46). C’est pour cette raison qu’il est important de consommer des aliments riches en collagèneN47 : gélatine, peau, abats, cartilages, bouillons d’os, et pas seulement de la viande « maigre » qui augmente le taux de méthionine — voir l’article Un acide animé de mauvaises intentionsN48.
Denise Minger écrit :
Sans réduire les calories ni d’autres acides aminés, la supplémentation en glycine augmentait la durée de vie des rongeurs, réduisait le taux de glucose et d’insuline à jeun, diminuait les taux d’IGF‑1 et réduisait de moitié les quantités de triglycérides — soit les mêmes avantages qui avaient été attribués à la restriction en calories, à la restriction en protéines, et à la restriction en méthionine.
➡ J’ai abordé ces points dans mes articles Protéines et Compléments alimentaires.
Denise Minger commente :
Si la découverte sur la glycine est applicable à l’homme (ce que je soupçonne fortement), les candidats à la prolongation de la vie aboient peut-être devant le mauvais arbre — ou du moins un qui est inutilement compliqué — en essayant de réduire sélectivement les protéines animales afin de vivre plus longtemps, comme Longo semble l’affirmer.
Mais la critique de l’étude de Longo et al. sur l’étude animale ne s’arrête pas là. Denise Minger écrit (2014N31) :
Il y a une raison majeure pour laquelle je suis réticente à tirer des conclusions de tout cela (hormis le fait que nous ne sommes pas des souris). Cette raison s’appelle “chow standard AIN-93G” [N49]. C’est le nom de la mixture de laboratoire utilisée pour les souris nourries richement en protéines. En voici les six principaux ingrédients :
Amidon de maïs (397 g)
Caséine (200 g)
Maltodextrine (132 g)
Saccharose (100 g)
Huile de soja (70 g)
Cellulose (50 g)
[…] par souci de brièveté, je vais me concentrer sur ce deuxième ingrédient : la caséine [N50]. C’est l’une des principales protéines présentes dans le lait et elle possède un bilan effroyable en termes de promotion de la croissance tumorale, plus que d’autres types de protéines, y compris son lactosérum [whey] cousin dérivé de produits laitiers.
[…] L’essentiel, c’est que lorsque nous examinons les études sur les souris et les protéines décrites dans l’article de Longo, nous avons affaire à un cocktail d’ingrédients purifiés, le composant protéique étant un promoteur bien connu du cancer chez les rongeurs. Il n’est pas du tout surprenant que les tumeurs des souris qui en mangent le plus grandissent follement. Mais il est impossible de dire à quel point cela est dû aux protéines en tant que telles ou à la caséine — en particulier la caséine qui a été dépouillée de tous les autres produits laitiers et jetée dans un paquet cadeau contenant des ordures raffinées.
⇪ Protéines animales versus végétales
Valter Longo a cosigné une étude (Song M et al., 2016N51) préconisant le remplacement des protéines animales par des protéines végétales, étude épinglée sur PubPeer pour ses failles méthodologiquesN52. Elle repose elle aussi sur les données contestables du NHAES III (voir ci-dessus) et la même approche que Budhathoki S et al. (2019N53) qui ont exploité les données de questionnaires nutritionnels au Japon. Ces auteurs japonais ont reconnu en conclusion qu’ils n’avaient détecté aucune association entre la consommation de protéines animales et la mortalité. Ce qui ne les empêchait pas de conclure : « Le remplacement de protéines de viande rouges ou de protéines de viande transformées par des protéines végétales était associé à une mortalité totale moins élevée, liée au cancer et aux maladies cadiovasculaires ». Les commentaires soulèvent les mêmes problèmes que pour Song M et al. (2016N51). Un intervenant écritN53 ;
Les résultats de cette étude observationnelle prospective pourraient être résumés différemment : les protéines animales ne sont associées à aucune augmentation ni diminution de la mortalité, ni totale ni par cancer ni par maladie cardiovasculaire. L’hypothèse nulle [N54] n’est pas rejetée. Les auteurs soutiennent que les protéines végétales pourraient être associées à une mortalité moindre. Outre la validité du test de cette hypothèse partielle en tant que résultat secondaire, il faut reconnaître que les résultats sont mitigés et surprenants. Étant donné que la consommation de protéines totales et animales n’est pas associée à un changement de mortalité, il est improbable que les taux de mortalité totale et de maladie cardiovasculaire associés aux protéines végétales diminuent. Les protéines végétales sont associées de manière significative à une diminution de 13% de la mortalité toutes causes confondues. Aucune différence de mortalité par cancer. Une association avec une diminution de 24% de la mortalité cardiovasculaire, 25% pour les maladies coronariennes et 28% pour les accidents vasculaires cérébraux. Mais les facteurs de confusion [N24] sont si nombreux que, dans un tel modèle, cette affirmation est étayée par des preuves très faibles.
[…]
En utilisant une approche bayésienne, comment réconcilier les différents résultats de cette étude ?
Ma réponse est l’ethnie, le régime alimentaire japonais et le mode de vie. Les Japonais ont une faible prévalence de maladie cardiovasculaire. Ils mangent moins de viande et beaucoup plus de poisson et de fruits de mer que les Occidentaux. C’est le cas dans l’étude. Au Japon comme en Occident, les personnes qui ne consomment pas de plantes ont un mode de vie moins sain, car manger des plantes est un indicateur de la moindre proportion d’aliments transformés. Enfin, la substitution statistique de la protéine conduit aux mêmes résultats (et à de meilleurs résultats pour le cancer) lorsque le poisson remplace la protéine végétale.
Cette dernière remarque nous renvoie à l’importance du ratio oméga 6 sur oméga 3 qui doit être le plus faible possible pour réduire le stress oxydatifN55 et l’inflammation systémique chroniqueN56 — voir mon article Glucides ou lipides ?
Autre problème : l’incidence du choix de protéines sur la mortalité par diabète de type 2N57 n’a pas été prise en compte car elle aurait nécessité un suivi bien plus long. Or les végétaux sources de protéines végétales sont aussi riches en glucides : 6.6% dans le brocoli, 21.3% dans le quinoa et 36% dans le soja, par exemple. Environ 7.6% des adultes âgés de 20 à 79 ans sont diabétiques et on estime que le Japon pourrait avoir plus de 3 millions de cas non diagnostiquésN58.
Principales sources de protéines végétales, les légumineuses sont chargées en lectinesN59 dont l’excès peut causer des irritations et excès d’excrétion de la muqueuse intestinale — à long terme des allergies, déficiences nutritionnelles ou immunologiques — ainsi qu’en acide phytiqueN60 qui inhibe l’absorption de certains minéraux, et enfin en oxalatesN61 qui contribuent à la formation de calculs rénaux, au syndrome de porosité de l’intestinN62 ou à des douleurs articulaires (voir pageN63).
Pour en revenir à Longo et collègues (Song M et al., 2016N51), il ne fait aucun doute que la consommation de poissons et autres produits de la mer exerce une influence bénéfique sur la santé et longévité. Ce qui reste douteux est leur injonction à diminuer les quantités de protéines en général et supprimer toutes celles en provenance de produits laitiers ou de viande. Sans distinction de qualité puisque, dans les enquêtes nutritionnelles, est classé comme « viande » tout aliment contenant de la viande. Les viandes transformées contenant des nitrites et autres additifs de mauvaise qualité (potentiellement cancérigènes) sont omniprésentes dans la Standard American Diet (SADN64). Il s’ensuit que leur remplacement par des végétaux a toutes les chances d’être bénéfique.
La SAD sert de régime témoin dans de nombreuses études nutritionnelles, mais elle est un tel concentré d’aberrations que presque tout régime s’écartant de la SAD apparît bénéfique — du moins pendant la « lune de miel » qui peut durer quelques mois…
⇪ Que veut dire « moins de protéines » ?
Dans Le Régime de longévité, l’évaluation des quantités de protéines souffre d’incohérences : page 119 (Longo V, 2018N1) l’auteur indique : « Jusqu’à l’âge de 65–70 ans, limitez la consommation de protéines (0.7–0.8 gramme par kilo de poids corporel, soit 35–40 grammes de protéines par jour pour une personne de 50 kg…) ». Ces quantités correspondent à ce qui est proposé en moyenne par la plupart des sociétés savantes — voir mon article Protéines. C’est souhaitable pour éviter la survenue de sarcopénieN66, d’ostéoporoseN67 et de diminution de l’activité intellectuelle induite par une interprétation extrémiste de l’injonction « moins de protéines ». La consommation que préconise Longo n’est donc pas « réduite » mais conforme aux standards internationaux ; seuls la trouveront réduite les rednecks qui s’enfilent quotidiennement des entrecôtes de 500 grammes…
Par contre, dans les menus pour 2 semaines proposés par Valter Longo (2018N1 pages 285–316), les doses de protéines sont nettement inférieures aux 35–40 grammes quotidiens, particulièrement si l’on tient compte de la faible biodisponibilitéN68 des protéines végétales et de la moindre richesse protéinique du poisson.
Longo se dit choqué par l’ignorance d’étudiants et de journalistes spécialisés dans leur évaluation de quantité de protéines (N1 page 67) mais il fait preuve ici de la même inconstance.
⇪ Lasagnes frelatées
Jusqu’ici, on ne pouvait reprocher à Valter Longo qu’un manque de rigueur scientifique — et de neutralité — sous la pression de convictions issues de son expérience personnelle. Son désir d’œuvrer pour la longévité de ses semblables est sincère et mérite considération.
En étudiant plus en détail l’ouvrage Le Régime de longévité (2018N1), j’ai pourtant découvert que son auteur avait franchi la ligne rouge de l’éthique scientifique en s’autorisant des falsifications de données. Les tableaux de la section « Aliments sources de vitamines, minéraux et autres micronutriments » (pages 318 à 329) m’ont paru bizarres. Je les ai donc comparés aux sources mentionnées au bas de ces pages qui pointent vers un site des National Institutes of Health aux USA. Voici le résultat pour les tableaux « Sources de calcium » et « Sources de fer » (N1 pages 320 à 323) — j’ai inscrit les « oublis » au stylo bleu :
Ces tableaux ne reproduisent pas les données auxquelles l’auteur dit se référerN69 et N70). Les modifications (que l’on retrouve à l’identique sur la version anglaise) sont représentatives des biais de Longo : dans les sources de calcium il a exclu le yaourt, les fromages et le lait ; dans celles de fer il a supprimé le foie de bœuf et les viandes de bœuf, de poulet et de dinde, qui sont des sources de fer héminique mieux assimilé par l’organisme… Par contre, il a ajouté des « céréales de petit-déjeuner » enrichies en calcium ou fer et vitamines, des boissons au lait d’amande ou de coco — elles aussi « enrichies » — qui ne figuraient pas dans les données prétendument reproduites.
Soyons clair : s’il voulait caresser dans le sens du poil son lectorat anti-viande et anti-produits laitiers, rien n’interdisait de publier des tables excluant ces sources de calcium et de fer, mais en indiquant clairement (et en justifiant) ces modifications. Inscrire au bas de la page “Source : https://ods.od.nih.gov/factsheets/Calcium-HealthProfessional/” sans indication complémentaire est aussi grave que — restons en Italie — fourguer des lasagnes « pur bœuf » farcies de viande de cheval. 🙁
⇪ Okinawa
Dans ses pages consacrées à la zone bleue d’Okinawa (2018N1 pages 106–109), Valter Longo affiche des graphes sans mentionner la source des données nutritionnelles. Or ce ne sont pas celles de la publication de BJ Willcox et al. (2007N71) dont il emprunte les conclusions.
Cette falsification a été mentionnée dans mon article Okinawa, îles de rêve(s).
⇪ Traiter des maladies
Je n’ai jamais vu d’objection aux travaux de Valter Longo concernant la pratique de jeûnes de courte durée à l’appui de chimiothérapies, ni sa proposition de régime simulant le jeûne (FMD, Fasting Mimicking DietN10) comme cure réjuvénatrice — voir mon article Jeûne et restriction calorique.
Les pages qu’il consacre à sa description (2008N1 pages 100–153) et à l’utilisation du jeûne et de la FMD en prévention et traitement du cancer et du diabète de type 2 (pages 155–204) sont indubitablement les plus convaincantes de l’ouvrage.
Pour ce qui concerne la prévention et le traitement des maladies cardiovasculaires (pages 205–224) j’éviterais de me prononcer, vu le nombre d’études citées que je n’ai pas lues en détail. Sachant qu’aucune étude clinique n’a validé le « régime de longévité », la rhétorique de Longo est la suivante : 1) Le régime méditerranéenN15 ressemble au régime de longévité ; 2) Par conséquent, toute étude validant le régime méditerranéen renforce la validité du régime de longévité. Armé de ce sophisme, il reprend entre autres l’étude d’Estruch R et al. (2013N13) dont j’ai déjà cité les failles.
La similarité entre les régimes méditerranéens étudiés par cette équipe et le « régime de longévité » est loin d’être démontrée. Dans un ouvrage iconoclaste (2016N73), le microbiologiste Didier Raoult écrit que le seul avantage scientifiquement prouvé des diètes méditerranéennes pourrait être la consommation de vin rouge. 🙂 Les régimes miraculeux sont avant tout des marqueurs culturels — ou politiques, voir mon article Nutrition, qui écouter ?
Le mythe du cholestérol — voir mon article Pourquoi diminuer le cholestérol ? — est convié à la fanfare… Le raisonnement classique sur les graisses saturées est repris sans examen critique ni intérêt pour les données nouvelles que pourrait apporter la chronobiologie de la nutrition, restreinte à des considérations sur le jeûne cyclique (Longo VD et Panda S, 2016N74) — voir mon article Chrononutrition - publications.
Sur les maladies neurodégénératives et auto-immunes (pages 247 à 268) la lecture est intéressante de par les nombreuses études citées, bien qu’aucune de celles sur les humains ne semble indiquer que le « régime de longévité » et la pratique régulière de la FMD contribueraient significativement à la diminution des risques, encore moins aux traitements. Dans ces domaines comme dans celui du cancer, les récits de rémissions spectaculaires sont nombreux, mais ils ne sont que des anecdotes malgré l’illusion de généralité que peut produire leur prolifération sur des sites de « survivants » — voir Wikipedia : biais du survivantN75.
⇪ Exercice
Le chapitre « Activité physique et longévité » (2018N1 pages 121–130) est bien argumenté et illustré par des références scientifiques tout en restant lacunaire pour ce qui est de la mise en pratique des recommandations. Le problème du dosage de l’exercice est à peine mentionné. Aucune solution n’est proposée, ce qui est malvenu dans un ouvrage destiné à promouvoir de bonnes pratiques.
Pour l’exercice d’endurance — marche rapide et « pédalez, courez ou nagez pendant trente à quarante minutes un jour sur deux… » — des indications de durée sont fournies, et très vaguement d’intensité : « Après dix minutes à un rythme soutenu, vous devriez être en nage ». Sans autre indication, le surentraînement est presque inévitable et le sous-entraînement inefficace — voir mon article Overdose d’exercice ➜ danger.
Si Valter Longo est encore trop jeune pour payer les pots cassés d’un entraînement inapproprié, il devrait pour le moins faire référence aux entraîneurs sportifs âgés qui ont su franchi ce cap — voir mon article Exercice d'endurance.
L’exercice contre résistance — voir mes articles Entraînement fractionné de haute intensité — n’est pas décrit dans sa singularité, sauf aux pages 125–129 et 129 : « l’haltérophilie et les pompes ». Il est confondu avec l’exercice d’endurance lorsqu’il est question d’intensité (pages 126–128).
L’auteur reproduit les résultats de travaux scientifiques qui mesurent l’intensité en équivalent métabolique (METN76) : le rapport du nombre de calories brûlées à celui nécessaire à se maintenir au repos (métabolisme de baseN77). Les études ont montré l’intérêt, en termes de mortalité toutes causes confondues, d’une pratique intense (supérieure à 6 MET). Mais comment la réaliser concrètement ? Comment choisir des haltères, un mouvement et sa vitesse d’exécution, le nombre de répétitions, les temps de repos etc. sans prendre le risque d’abimer ses articulations ou de provoquer des tendinites ? Ou de s’agiter inutilement ? Ici aussi, les pratiques ont été depuis longtemps évaluées et décrites par des entraîneurs et spécialistes de médecine sportive, mais le lecteur du Régime de longévité restera sur sa faim.
⇪ Conflit d’intérêts
À la fin du repas — même en Italie — il est coutume de demander l’addition… On peut en étudier les détails et même visiter l’arrière-cuisine.
La cure FMD de 5 jours est un mélange d’aliments végétaux, d’électrolytes et de compléments vitaminés : le kit ProLonN10 commercialisé (en 2019) aux USA pour 249 dollars par L‑Nutra. Neville Wilson fronce les sourcilsN78 :
Le fait que Valter Longo soit le fondateur de L‑Nutra, une société qui promeut les compléments nutritionnels à base de plantes, représente un conflit d’intérêts important dans le contexte de la dénégation de la valeur nutritionnelle d’une source alimentaire non végétale telle que les protéines animales.
Longo affirme (2018N1 page 21) que les dividendes qu’il perçoit de L‑Nutra sont intégralement reversés à sa fondation Create Cures dont la mission est de « venir en aide » à des équipes de recherche menant des études cliniques ou de l’expérimentation animale « pour se convaincre du bien-fondé et de l’efficacité d’une thérapie alternative ou intégrative par rapport aux théories conventionnelles » (page 18). L’intention paraît louable mais le dispositif ne brille pas par sa neutralité : Create Cures finance des chercheurs susceptibles d’apporter de nouvelles preuves de l’efficacité des produits de L‑Nutra… précisément ce qu’on reproche aux industriels de la pharmacie.
⇪ Pour conclure
Le « régime de longévité » préconisé par Valter Longo dans l’ouvrage du même nom (2018N1 ; 2019N79) est la pièce maîtresse des huit recommandations pour vivre « bien et longtemps » qu’il résume dans les pages 272 à 275 de la version française. Parmi ces recommandations, nous l’avons vu, certaines sont basées sur des croyances personnelles qu’il a tenté d’étayer par les témoignages de supercentenairesN3 et des données scientifiques, dont certaines de qualité discutable. Soucieux en priorité de valider ses hypothèses, il sélectionne les études qui paraissent les confirmer en laissant de côté une vaste littérature scientifique qui les contredit.
Quand les études épidémiologiques manquent, Longo n’hésite pas à mettre en avant son expérience clinique (argument d’autorité). Par exemple (2018N1 page 68) :
Je suis confiant au vu des résultats positifs obtenus sur des milliers de patients que j’ai suivis, personnellement ou à travers des recherches génétiques, cliniques et épidémiologiques. Je suis confiant aussi parce que la majorité de mes recommandations quotidiennes correspond aux habitudes alimentaires de populations de centenaires.
Les recommandations qui méritent une analyse critique approfondie sont celles de l’adoption ad vitam d’un régime pesco-végétarienN5 et le remplacement quasi-exclusif des protéines animales par des protéines végétales.
Les autres recommandations me paraissent pour l’essentiel en accord avec la littérature scientifique — sous réserve d’une lecture approfondie des articles, qui n’est pas terminée. Le sujet est loin d’être épuisé…
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- N2 · ovb1 · Valter D. Longo – Academic profile
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Article créé le 12/09/2019 - modifié le 17/03/2023 à 09h59
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