Nutrition

Pour les végan·e·s

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Le véga­nismeN1 est un sujet complexe et contro­versé dépas­sant le cadre d’une « veille scien­ti­fique » sur nos choix en matière de nutri­tion et habi­tudes de vie… Sa dimen­sion éthique — que certains n’hé­sitent pas à quali­fier de « reli­gieuse » — voue à l’échec toute ratio­na­li­sa­tion du débat. Je cède donc volon­tiers la parole à des personnes qui en ont fait l’ex­pé­rience avec un regard rendu critique par leur culture scientifique.

C’est le cas de Denise Minger, auteure d’un article “For Vegans” qui a suscité de nombreux commen­taires (Minger D, 2012N2). Elle aborde ce sujet sur un ton bien­veillant, s’adres­sant à des lecteurs et lectrices qui auraient opté pour le végé­ta­lismeN3 (le côté nutri­tion­nel du véga­nisme) pour des motifs de respect de la vie animale et de préser­va­tion de l’en­vi­ron­ne­ment. Elle étaye son propos par des données scien­ti­fiques, indi­quant ce qu’un·e adepte devrait inclure à son régime pour préser­ver sa santé sur le long terme. Les anglo­phones peuvent aussi lire un entre­tien (Minger D, 2010N4) où elle revient sur son analyse critique de The China Study de Thomas Colin Campbell (2006N5).

D’un point de vue stric­te­ment nutri­tion­nel, le végé­ta­lisme n’est qu’une forme de végé­ta­risme avec des restric­tions supplé­men­taires. Si cette inclu­sion du végétalisme dans le végétarisme n’est pas mise en doute, toutes les données sur le végé­ta­risme, dans ce qui suit, s’ap­pliquent a fortiori au végétalisme.

La plupart des points abor­dés ont été docu­men­tés ailleurs sur mon site — voir mes articles Protéines, Glucides ou lipides ? etc. — mais j’in­siste sur le fait que la solu­tion opti­male n’est pas iden­tique pour tous les indi­vi­dus ➡ voir ma page Nutrition, qui écouter ?

Mon expé­rience insa­tis­fai­sante du végé­ta­risme pendant une tren­taine d’an­nées, pous­sée jusqu’au végé­ta­lisme sur une courte période — voir l’ar­ticle Chrononutrition - mon expérience — ne prouve en rien que ce régime serait délé­tère dans l’ab­solu. Les études nutri­tion­nelles peuvent appor­ter des réponses plus convain­cantes, sous condi­tion qu’elles soient menées avec la rigueur néces­saire et que les situa­tions soient compa­rables. De nombreux travaux s’ap­puient sur un mode de vie nord-américain trop éloi­gné de celui de la France et de ses pays limi­trophes… Par ailleurs, l’ap­proche obser­va­tion­nelle n’a rien de scien­ti­fique puis­qu’elle ne permet pas d’éta­blir un lien causal entre des données seule­ment corré­lées (voir ALEPH 2020N6). Enfin, les ques­tion­naires nutri­tion­nels sont la source de biais, comme expli­qué dans mon article Faut-il jeter les enquêtes nutritionnelles ?

Je crois utile de vision­ner un entre­tien avec le méde­cin natu­ro­pathe Robert Masson (1931–2019N7) qui dres­sait le bilan de ses cinquante années de pratique auprès d’une patien­tèle adepte de méthodes « natu­relles » et forte­ment influen­cée par la mode « végé ».

Il faut écou­ter en entier les deux entre­tiens (Masson R, 2016N8·N9) pour avoir un exposé clair du problème et des risques de tout extré­misme. À ce sujet, Masson nous aver­tis­sait : « En nutri­tion, toute pratique systé­ma­tique est erro­née. » Même si de nombreux points deman­de­raient à être sour­cés — voire corri­gés par une lecture critique — et malgré le ton à peine suppor­table de ce « vieil homme en colère », l’ex­posé de son expé­rience clinique ne fait que confir­mer des données scien­ti­fiques plus récentes.

Dans un style beau­coup plus conci­liant, lire un entre­tien avec Chris Masterjohn : Végétarisme et véga­nisme (2017N10).

Les anglo­phones pour­ront consul­ter l’ou­vrage de Jayne Buxton : The Great Plant-Based Con : Why eating a plants-only diet won’t improve your health or save the planet (2023N11) ou écou­ter son entre­tien avec Chris Kresser (14 décembre 2023N12).

Sommaire

Les sections de cet article sont assez indé­pen­dantes pour être lues dans un ordre arbi­traire. Un lien au début de chaque sous-titre permet de reve­nir au sommaire.

Biais du survivant

Le choix du végé­ta­lismeN3 est plus diffi­cile à défendre que celui du végé­ta­risme… Certaines options, en matière de nutri­tion ou de style de vie, convergent statis­ti­que­ment vers une meilleure longé­vité ou un désastre avant l’heure. Taty Lauwers, elle aussi ancienne végétarienne/végétalienne, survi­vante du cancer et auteure de nombreux ouvragesN13, commente avec vigueur l’ar­ticle de Minger, n’hé­si­tant pas à décla­rerN14 :

Je reviens à mon antienne : en Occident actuel, une personne sur dix est construite pour manger végé­ta­rien pur au long cours (eh oui, il faut bien préci­ser « actuel » car nous sommes en voie de dégé­né­ra­tion accé­lé­rée, ce qui est vrai aujourd’­hui ne l’était pas il y a soixante ans) ; une personne sur cent peut tester végane au long cours. Si cent mille Américains sont véganes « de croi­sière », on pour­rait imagi­ner mille personnes souriantes. C’est bien léger : on oublie que 99 000 personnes sont en souffrance !

Les 10 % et 1 % cités sont des esti­ma­tions « à la louche » pour illus­trer ce biais : chacun se croit légi­time d’éri­ger son cas indi­vi­duel en loi univer­selle : « ce qui est bon pour moi est certai­ne­ment bon pour tous les autres… » En cas d’échec, soup­çon­ner la personne de ne pas avoir suivi correc­te­ment les instructions…

Il a suffi de quelques milliers de survi­vants du cancer (ou du sida) pour créer un mouve­ment de défiance envers tout trai­te­ment médi­cal, alors que le taux de rémis­sions spon­ta­nées n’est pas négli­geable même pour des mala­dies aussi graves. De sorte que la guéri­son d’un indi­vidu, ni même d’un petit groupe, ne prouve pas l’ef­fi­ca­cité de la méthode. De nombreuses variables confon­dantesN15 rendent incer­taines les conclu­sions. Or, celles et ceux qui ont échoué dans leur suivi de la méthode « alter­na­tive » promue par un de ces survi­vants ne sont plus là pour en témoi­gner… Le biais du survi­vantN16 est une variante de ce qu’on désigne par « biais de sélec­tion » — voir la défi­ni­tion précise dans l’ou­vrage Enquêtes médicales et évaluation des médicaments : De l’erreur involontaire à l’art de la fraude (Clapin, 2018N17).

Image de progagande associant le régime végane à la santé artérielle
Image de proga­gande asso­ciant le régime végane à une meilleure santé cardio­vas­cu­laire (source : N18). Doublement mani­pu­la­toire : voir les raisons dans mon article Pourquoi diminuer le cholestérol ?

Même chose pour les amateurs de régimes extrêmes qui s’ex­ta­sient sur une amélio­ra­tion perçue à court terme, simple effet de l’adap­ta­tion de leur orga­nisme à un nouveau modèle nutri­tion­nel. Pour ne pas harce­ler exclu­si­ve­ment les végé­ta­liens, j’in­clus dans ma critique certains affi­cio­na­dos de régime « céto­gène carni­vore » (100 % de viande) qui semblent n’exis­ter que pour horri­fier les premiers, à en juger par les gesti­cu­la­tions narcis­siques d’un Frank Tufano… Cela dit, une approche — et une pratique — scien­ti­fi­que­ment fondées du carni­vo­risme sont un puis­sant outil de réflexion : voir mon article Carnivore Code au sujet de l’ou­vrage de Paul Saladino.

Sur le long terme, la plupart des extré­mistes n’en meurent pas, du moins pas direc­te­ment, si l’on excepte quelques jeunes enfants victimes de parents fanatiques.

Dans un premier temps, l’adop­tion d’un régime hypo­ca­lo­rique et faible en protéines induit un méca­nisme béné­fique d’auto­pha­gieN19 : la destruc­tion des cellules endom­ma­gées. Ce proces­sus simi­laire à celui du jeûne — ou de la diète cétogène — peut être repro­duit sans danger de manière cyclique (quoti­dienne) par une nutri­tion restreinte dans le temps — voir mon article Jeûne et restriction calorique. La prolon­ga­tion au delà de plusieurs jours du régime hypo­ca­lo­rique faible en protéines abou­tit toute­fois à un effon­dre­ment de la masse muscu­laire et osseuse qui s’ap­pa­rente à un auto-cannibalisme des ressources de l’or­ga­nisme. C’est ce qui explique à la fois le bien-être ressenti par des végé­ta­liens fraî­che­ment conver­tis, et l’as­pect cada­vé­rique de celles et ceux qui n’ont pas compensé la perte muscu­laire par une accu­mu­la­tion de graisse. Soumis au stress, le corps stocke de l’éner­gie par tout moyen à sa dispo­si­tion. Chez beau­coup, l’or­ga­nisme carencé conver­tit en graisse les glucides en excès dans la diète végé­tale, ce qui para­doxa­le­ment se traduit par de l’obésité.

Militant avec joue transpercée d'un hameçon
Militant de l’as­so­cia­tion 269 Life France, 30 mars 2019 à Strasbourg (AFP)

Les 90 à 99 % mention­nés par Taty Lauwers vont plutôt mal, mais s’ils s’avisent de renier leurs croyances ils se voient souvent agres­sés par leurs anciens « corré­li­gion­naires ». S’ils osent témoi­gner en public, ce rejet peut déra­per en violence verbale ou physique : Lierre Keith, auteure de Le Mythe végé­ta­rienN20, s’est déjà fait tabas­ser. De plus, elle se présente comme anti­ca­pi­ta­liste et lesbienne, ce qui n’ar­range pas son cas. 🙁

Fake science

Denise Minger était une surdouée ving­te­naire incon­nue — « Mon blog avait seule­ment 6 lectrices dont 5 étaient ma mère sur 5 connexions diffé­rentes ! » — deve­nue célèbre, entre adora­tion et détes­ta­tion, le jour où elle a révélé (2012N21), après un examen appro­fondi des données brutes, les inco­hé­rences et erreurs métho­do­lo­giques de la China Study du Dr T Colin Campbell (2006N5). Le bouquin de Campbell fait malgré cela office de bible des végé­ta­liens sur de nombreux forums…

Végétarienne elle aussi pendant 20 ans, Zoë Harcombe, docteure en nutrition/santé publique, a publié un article très docu­menté (2019N22) sur les risques encou­rus par les enfants soumis à un régime végétalien.

Les fake news fleu­rissent autour du slogan « manger moins de viande », certains décla­rant entre autres qu’un régime 100 % végé­tal permet­trait d’évi­ter la plupart des mala­dies méta­bo­liques et des acci­dents cardio­vas­cu­laires, voire même de « sauver la planète ». Cette affir­ma­tion est contre­dite par la litté­ra­ture scien­ti­fique, par exemple Vanacore et al. (2018N23) qui ont comparé trois groupes d’hommes en bonne santé d’à peu près les mêmes âges, poids et indices de masse corpo­relle : végé­ta­liens, végé­ta­riens et omni­vores. L’indice de masse muscu­laire et la masse maigre étaient infé­rieurs dans le groupe végé­ta­lien. D’autre part, les omni­vores étaient moins soumis au stress oxyda­tif et avaient un taux moins élevé d’homo­cys­téineN24 — voir mon article Soigner ses artères.

Dans le cadre d’un suivi en cohorte, sur 20 ans, de 1139 personnes initia­le­ment âgées de 75 ans en moyenne, dont 56 % de femmes — étude InCHIANTI —, la compa­rai­son des quan­ti­tés de protéines végé­tales et animales a montré que « les [quan­ti­tés de] protéines animales étaient inver­se­ment asso­ciées à la morta­lité toutes causes confon­dues et à la morta­lité cardio­vas­cu­laire » (Meroño T et al., 2022N25).

Denis Zeraatkar et al. (2019N26) ont revu les données statis­tiques des essais rando­mi­sés publiés dans EMBASE, CENTRAL, CINAHL, le Web of Science, ProQuest et MEDLINE jusqu’en 2018 et 2019. Leur méta-analyse basée sur une sélec­tion de 12 essais a conclu que « les régimes restreints en viande rouge peuvent avoir peu ou pas d’ef­fet sur les prin­ci­paux résul­tats cardio­mé­ta­bo­liques, la morta­lité et l’in­ci­dence du cancer. »

Une analyse critique du film docu­men­taire The Game Changers (2018N27) — apolo­gie d’une alimen­ta­tion végé­tale pour les spor­tifs — a été réali­sée par Julien Venesson (2019N28) :

Le contenu « fake science » de The Game Changers a été “debun­ked” (en anglais) par Food LiesN29 et même par une youtu­beuse végane (2019N30)… Je suis néan­moins très déçu par ces vidéos qui prétendent démon­ter le discours mani­pu­la­teur d’autres vidéos. Elles utilisent le même biais de sélec­tion — dési­gné comme cherry pickingN31 (cueillette de cerises) — qui consiste à affi­cher une seule étude pour en contre­dire une seule. De plus, il faut dépen­ser beau­coup de temps et d’éner­gie pour déni­cher et télé­char­ger l’étude entre-aperçue à l’écran car la liste de publi­ca­tions donnée par Food Lies sur ce sujetN32 ne mentionne pas tous les titres. On en est donc réduit aux argu­ments d’au­to­rité : les « experts » ! Mais “talking big” ne suffit pas plus à me convaincre que les gesti­cu­la­tions d’un Donald Trump…

Taty Lauwers aborde d’autres points dans son article de blog Merci, James Cameron !N33, révé­lant notam­ment : « Cameron vient d’in­ves­tir 140 millions de dollars dans une entre­prise de protéines végé­tales [Garcia T, 2018N34]. Il a bien manœu­vré pour s’of­frir une pub gigan­tesque et voilà et bon. »

Dépression

Source : N35

Joane Matta et al. (2018N36) ont mesuré l’ap­pa­ri­tion de symp­tômes dépres­sifs qui augmentent avec le nombre de groupes d’ali­ments exclus de n’im­porte quel régime alimen­taire. Leur étude couvrait une sélec­tion de 90 380 sujets d’âge moyen dans 21 dépar­te­ments fran­çais : omni­vores, pesco-végétariens, lacto-ovo-végétariens et végé­ta­liens. Leur mesure des symp­tômes était basée sur l’échelle de dépres­sion du Centre of Epidemiologic Studies (CES‑DN37) évaluant 20 critères sur un score d’in­ten­sité de 0 à 3.

Les carences en micro­nu­tri­ments sont des facteurs de risque de mala­dies mentales ainsi que, sur le long terme, de mala­dies neuro­dé­gé­né­ra­tivesN38. Le risque est forte­ment accru chez les végé­ta­liens, en raison de l’ab­sence ou de la faible biodis­po­ni­bi­lité de certains micro­nu­tri­ments dans les végé­taux — voir à ce sujet la traduc­tion d’un article de la psychiatre Georgia Ede (2018N39). Les carences en iode chez les véganes, aggra­vées par des carences en sélé­nium, sont redou­tables pour leurs effets sur le déve­lop­pe­ment du fœtus : macro­cé­pha­lie, défi­cit intel­lec­tuel (Yeliosof O & LA Silverman, 2018N40)… Les isofla­vonesN41 conte­nus dans les aliments à base de soja engendrent une hypothyroïdie.

Toxicité d’aliments « naturels »

Un argu­ment souvent avancé en faveur d’une nutri­tion exclu­si­ve­ment végé­tale serait la toxi­cité des produits d’ori­gine animale en contraste avec l’in­no­cuité des aliments végé­taux (issus de l’agri­cul­ture biologique).

Les pratiques d’éle­vage inten­sif de l’in­dus­trie agro-alimentaire sont à l’ori­gine d’in­toxi­ca­tions par la consom­ma­tion de viandes, œufs et produits laitiers. Le risque de propa­ga­tion de virus ou de bacté­ries est réel. L’usage à grande échelle d’an­ti­bio­tiques protec­teurs des épidé­mies contri­bue à la noci­vité de ces produits et à l’ap­pa­ri­tion de bacté­ries multi­ré­sis­tantes. Les épidé­mies de grippe aviaire, SRAS, etc., ont vu le jour dans des élevages indus­triels en Asie.

Il faut toute­fois mettre en balance que la plupart des intoxi­ca­tions bacté­riennes graves, parfois mortelles, proviennent de végé­taux, notam­ment de bacté­ries à Gram néga­tifN42 comme par exemple des souches patho­gènes d’Escherichia coliN43. La germi­na­tion de céréales ou de légu­mi­neuses multi­plie spec­ta­cu­lai­re­ment la popu­la­tion bacté­rienne — E.coli, salmo­nelles etc. — « en sommeil » sur la graine sèche ; des précau­tions sont donc à prendre pour éviter toute contamination.

La plupart des végé­taux produisent par ailleurs des substances toxiques pour se proté­ger des préda­teurs : des lectinesN44 dont l’ex­cès peut causer des irri­ta­tions et excès d’ex­cré­tion de la muqueuse intes­ti­nale — à long terme des aller­gies, défi­ciences nutri­tion­nelles ou immu­no­lo­giques — de l’acide phytiqueN45 qui inhibe l’ab­sorp­tion de certains miné­raux, enfin des oxalatesN46 qui contri­buent à la forma­tion de calculs rénaux, d’un syndrome de poro­sité de l’in­tes­tinN47 ou à des douleurs arti­cu­laires (Bowthorpe JA, 2019N48). Ces substances se trouvent dans les légu­mi­neuses (parti­cu­liè­re­ment le soja), les céréales et les noix — abusi­ve­ment appe­lées « fruits en coque » alors que ce sont des graines — qui sont les prin­ci­pales sources de protéines végé­tales. S’ajoutent à cela les myco­toxinesN49 agres­sives et abra­sives (notam­ment pour le système arté­riel), poten­tiel­le­ment cancé­ri­gènes (Adam M et al., 2017N50), qui conta­minent les farines, céréales, légu­mi­neuses, fruits secs, laits végé­taux, huiles végé­tales poly­in­sa­tu­rées, etc. (Roussel R, 2022N51 ; Malvandi AM et al., 2022N52 ; Donatini B, 2023N53 page 157). Elles sont synthé­ti­sées par des moisis­sures qui proli­fèrent parti­cu­liè­re­ment sur les produits « bio » : le « natu­rel » n’est pas garant de santé !

Le trem­page des céréales, légu­mi­neuses et noix permet d’éli­mi­ner une partie de ces substances — comp­ter 72 heures de fermen­ta­tion à 42° C pour débar­ras­ser les lentilles de leurs lectinesN54. Toutefois, la germi­na­tion peut aggra­ver la situa­tion : l’enveloppe des graines de soja ou de blé contient des bacté­ries qui sécrètent l’acide phytiqueN45 indis­pen­sable à la germi­na­tion de la graine.

Par contre, les myco­toxines résistent même à une cuis­son à 260°… « Les farines sans gluten comme les farines de sarra­sin, de riz, de maïs, de châtaignes ou de pois chiches sont parti­cu­liè­re­ment riches en myco­toxines. » (Roussel R, 2022N51)

Les oxalates sont présents dans de nombreux végé­taux répu­tés sains dans l’uni­vers « bio » : blettes, épinards, patates douces, graines de sésame, cumin, curcuma, etc. Leur excès induit des dépôts de calcaire qui vont du tartre et des caries dentaires aux problèmes cardio­vas­cu­laires — aryth­mie cardiaque, inflam­ma­tion de l’endo­thé­lium vascu­laireN55 etc. — ou une acidose locale, source de problèmes neuro­lo­giques — signa­lés initia­le­ment par des hoquets. Voir à ce sujet le site de Sally K NortonN56 et l’ar­ticle d’Elisabeth C Lorenz et al. (2013N57). Un rapport de Mayo Clinic (2013N58) asso­cie direc­te­ment des insuf­fi­sances rénales dues au dépôt de cris­taux d’oxa­late de calcium à la consom­ma­tion exces­sive de jus de fruits et légumes. Cette forma­tion de calculs dans les reins peut être évitée si l’on consomme au même repas des produits laitiers riches en calcium. En effet, contrai­re­ment à la croyance popu­laire, un apport nutri­tion­nel de calcium dimi­nue le risque de forma­tion de calculs, tandis qu’une supplé­men­ta­tion en calcium l’aug­mente (Curan GC et al., 1997N59 ; Prezioso D et al., 2015N60).

Les effets délé­tères des oxalates sont accen­tués par un abus de vita­mine C, de vita­mine D (rare) ou une carence en vita­mine B6. Un apport correct de vita­mine K2 sous sa forme active MK‑7 (nattō) aide à les neutra­li­ser — voir mon article Compléments alimentaires.

La surcon­som­ma­tion de fibres irrite la paroi intes­ti­nale, ce qui peut être à l’ori­gine de consti­pa­tion (que l’on croyait soigner), syndrome de l’in­tes­tin irri­tableN61, patho­lo­gie hémor­roï­daireN62, diver­ti­cu­loseN63, mala­die de CrohnN64 et même cancer du colon. Lire à ce sujet Fiber Menace de Konstantin Monastyrsky (2005N65), exces­sif dans son inter­pré­ta­tion d’en­quêtes nutri­tion­nelles, mais clair sur les dysfonc­tion­ne­ments attri­bués à un excès de consom­ma­tion de fibres.

Plus géné­ra­le­ment, ces problèmes graves peuvent être asso­ciées à des dysbiosesN66 des micro­biotesN67 de l’in­tes­tin mais aussi de la bouche et de l’es­to­mac. Voir à ce sujet Zhihua Ren et collègues (2019N68), l’ar­ticle de Renaud Roussel (2022N51) sur les myco­toxinesN49, sans oublier l’ou­vrage de Bruno Donatini : La bouche, miroir de votre santé.

Quant aux sali­cy­latesN69, des anti-inflammatoires qu’on trouve dans des aliments répu­tés sains (fruits, miel, graines germées, noix, thés, agrumes, tomates etc.), ils pour­raient aussi agir en bloqueurs du méta­bo­lisme chez des personnes que la géné­tique prédis­pose à une sensi­bi­lité au sali­cy­lateN70, ou s’ils sont consom­més en trop grandes quan­ti­tés. Fatigue chro­nique, troubles diges­tifs et sautes d’hu­meur font partie des marqueurs de cette indisposition.

La ques­tion déli­cate de la prédis­po­si­tion aux into­lé­rances alimen­taires a été trai­tée dans Canaris de la moder­nité de Taty Lauwers (2019N71) et discu­tée sur son blogN72.

De manière géné­rale, l’évic­tion de certains aliments, qu’ils soient d’ori­gine animale ou végé­tale, n’est pas garante d’une meilleure santé. La mode du « sans gluten », « sans produits laitiers » ou « sans viande » profite surtout à l’in­dus­trie des produits de rempla­ce­ment. Leur suppres­sion ne devrait être envi­sa­gée qu’en situa­tion avérée d’al­ler­gie ou d’hyper-réactivité. Les exemples ci-dessus montrent que l’évic­tion radi­cale des aliments toxiques, même de source végé­tale, équi­vau­drait à se priver tota­le­ment de nourriture !

Carences

Une carence en vita­mine B12N73 a été obser­vée chez des ovo-lacto-végétariens, comme l’a montré l’étude pros­pec­tive CARDIVEG desti­née à mesu­rer l’ef­fet de ce régime sur le risque cardio­vas­cu­laire (Dinu M et al., 2018N74). Le taux de B12 circu­lant dans le sang, après 3 mois de ce régime, avait dimi­nué signi­fi­ca­ti­ve­ment, avec une plus forte préva­lence instan­ta­néeN75 chez les sujets jeunes, en surpoids, non-fumeurs et en hyper­cho­les­té­ro­lé­mie. Dans une autre étude (Koebnick C et al., 2004N76), chez 22 % de femmes enceintes ovo-lacto-végétariennes depuis plus de 3 ans, les taux de vita­mine B12 dimi­nuaient en même temps qu’aug­men­taient ceux d’homo­cys­téine (tYcy N24) contre 10 % de celles qui consom­maient peu de viande et 3 % du groupe témoin.

La bio-disponibilité de la vita­mine B12 est très variable selon les sources alimen­taires. Un article de F Watanabe (2007N77) en dresse le bilan :

Les sources alimen­taires habi­tuelles de vita­mine B12 sont les aliments d’ori­gine animale, la viande, le lait, les œufs, le pois­son et les crus­ta­cés. Comme on estime que le système d’ab­sorp­tion intes­ti­nale médié par le facteur intrin­sèque est saturé à envi­ron 1,5–2 µg par repas dans des condi­tions physio­lo­giques, la biodis­po­ni­bi­lité de la vita­mine B12 dimi­nue signi­fi­ca­ti­ve­ment avec l’aug­men­ta­tion de l’ap­port en vita­mine B12 par repas. Chez l’homme sain, la biodis­po­ni­bi­lité de la vita­mine B12 prove­nant de la viande de pois­son, de la viande de mouton et de la viande de poulet était en moyenne de 42 %, 56–89 % et 61–66 % respec­ti­ve­ment. La vita­mine B12 conte­nue dans les œufs semble être faible­ment absor­bée (< 9 %) par rapport aux autres produits alimen­taires d’ori­gine animale. Dans les apports nutri­tion­nels de réfé­rence aux États-Unis et au Japon, on suppose que 50 % de la vita­mine B12 alimen­taire est absor­bée par des adultes en bonne santé ayant une fonc­tion gastro-intestinale normale.

Certains aliments végé­taux, les algues vertes et violettes séchées (nori) contiennent des quan­ti­tés substan­tielles de vita­mine B12, alors que d’autres algues comes­tibles n’en contiennent aucune ou seule­ment des traces. La plupart des algues bleues comes­tibles (cyano­bac­té­ries) utili­sées pour les supplé­ments humains contiennent prin­ci­pa­le­ment de la pseu­do­vi­ta­mine B12, qui est inac­tive chez l’homme. Les cyano­bac­té­ries comes­tibles ne peuvent pas être utili­sées comme sources de vita­mine B12, notam­ment chez les végétaliens.

L’inutilité (et la noci­vité) des algues en tant que sources de vita­mine B12 est rappe­lée par une auteure qui se présente comme végane (Vukovic D, 2021N78).

Les céréales enri­chies pour le petit-déjeuner sont une source parti­cu­liè­re­ment précieuse de vita­mine B12 pour les végé­ta­liens et les personnes âgées. La produc­tion de certains légumes enri­chis en vita­mine B12 est égale­ment envisagée.

Le dosage sanguin de la vita­mine B12 n’est pas fiable. Préférer un dosage de l’acide méthyl­ma­lo­niqueN79 dans l’urine (voir N80). D’autre part, une carence en B12 peut être signa­lée par un excès d’homocystéine.

À un stade avancé, cette carence peut se traduire par de la fatigue chro­nique, de la dépres­sion et de l’an­xiété, une perte d’ap­pé­tit et de libido, la pâleur, la perte des cheveux, des engour­dis­se­ments ou des pico­te­ments dans les mains et les pieds, et une perte de mémoire. Des désordres neuro­lo­giques comme une myélo­pa­thieN81 peuvent s’en­suivre si la carence n’est pas corri­gée : les gaines de myélineN82 et les axonesN83 sont détruits dans la matière blanche de la moelle épinièreN84. La carence est géné­ra­le­ment plus marquée chez les personnes âgées, mais ses symp­tômes sont souvent confon­dus avec les signes suppo­sés natu­rels du « vieillis­se­ment », ou plus problé­ma­ti­que­ment avec une mala­die neuro­lo­gique grave — par exemple Altzheimer chez une femme de 85 ans (Brody JE, 2011N85). En Suède, on véri­fie systé­ma­ti­que­ment le taux d’ho­mo­cys­téine des personnes souf­frant de perte de mémoire — un test non-remboursé par la Sécurité sociale en France !

Une étude a été menée par des chirur­giens de la peau pour compa­rer la vitesse et la qualité de guéri­son des cica­trices après inter­ven­tion sur des patients omni­vores et végé­ta­liens (Fusano M et al., 2020N86). Les résul­tats sont les suivants :

Les végé­ta­liens présen­taient un taux moyen de fer sérique signi­fi­ca­ti­ve­ment plus faible (p < 0.001) ainsi que de vita­mine B12 (p < 0,001). Le dias­ta­sis [écart entre les muscles super­fi­ciels] de la plaie était plus fréquent chez les végé­ta­liens (p = 0.008). Après 6 mois, les patients végé­ta­liens avaient un score SCARN87 modi­fié plus élevé que les omni­vores (p < 0.001), présen­tant le plus mauvais étale­ment des cica­trices (p < 0.001), des cica­trices atro­phiques plus fréquentes (p < 0.001) et une plus mauvaise impres­sion géné­rale (p < 0.001).

La spiru­lineN88 ne contient pas de vita­mine B12, mais une molé­cule ressem­blante qui, selon certaines études, inhi­be­rait l’ab­sorp­tion de B12 et pour­rait donc accen­tuer la carence chez des végé­ta­liens tout en faus­sant le résul­tat du bilan sanguin. Ce sujet fait l’ob­jet de vives contro­verses entre les « adeptes » de spiru­line et les défen­seurs d’une supplé­men­ta­tion en B12 « arti­fi­cielle » (Team Dihé, 2020N89). On peut lire à ce sujet un article détaillé de Jérémy Anso (2020N90).

Les conclu­sions de certaines études obser­va­tion­nellesN91 qui avaient servi (et servent encore) à promou­voir le choix de nutri­ments d’ori­gine végé­tale en rempla­ce­ment de ceux d’ori­gine animale sont contre­dites par des essais contrô­lés rando­mi­sés (RCTN92) en double aveugle mesu­rant un lien causal entre cette consom­ma­tion et le risque de mala­dies. Par exemple, les RCT évaluant l’im­pact sur la morta­lité et le risque de cancer de la consom­ma­tion de béta-carotèneN93 — succé­dané végé­tal de la vita­mine A — ont montré que ce risque était augmenté (Druesne-Pecollo N et al., 2010N94, Bjelakovic et al., 2012N95) alors que les études obser­va­tion­nelles avaient conclu à un risque dimi­nué de 31 %. De même, un RCT couvrant 355 333 sujets sur 427 sites a montré qu’une supplé­men­ta­tion en vita­mine E (présente dans les huiles végé­tales) avait augmenté de 17 % le risque de cancer de la pros­tate (Klein EA et al., 2011N96) alors qu’on en atten­dait un effet protecteur.

La carence en vita­mine A est fréquem­ment évoquée comme un risque de l’ali­men­ta­tion végé­tale en raison de la conver­sion présu­mée insuf­fi­sante des caro­té­noïdesN97 en réti­nolN98 — une des trois formes de la vita­mine A. Mais une litté­ra­ture scien­ti­fique abon­dante montre que les taux de conver­sion varient consi­dé­ra­ble­ment selon les indi­vi­dus, de sorte que ce risque ne serait pas en soi une raison de renon­cer au végétalisme.

Les études nutri­tion­nelles ne suffisent pas à déci­der d’un mode de nutri­tion idéal. Elles montrent seule­ment qu’il faut faire preuve de discer­ne­ment — et d’un certain scep­ti­cisme — face aux « preuves » qui circulent dans les médias à l’ap­pui du « tout végé­tal » (ou contre). Chris Kresser a formulé en détail les condi­tions d’exer­cice de ce scep­ti­cisme (2018N99 ; 2018N100).

Tessa J Parsons et al. (2009N101) ont étudié les effets d’un régime végé­ta­lien macro­bio­tique sur une centaine d’en­fants hollan­dais de 9 à 15 ans et observé qu’il avait induit une réduc­tion signi­fi­ca­tive de densité miné­rale osseuseN102, jusqu’à 8 % pour la colonne verté­brale. Les cher­cheurs suggèrent que cette réduc­tion ne résulte pas unique­ment de carences en calcium et vita­mine D. Les quan­ti­tés de fibres et de protéines devant aussi être prises en consi­dé­ra­tion : « Des apports élevés en fibres alimen­taires pour­raient avoir un effet néga­tif sur le méta­bo­lisme osseux, en inter­fé­rant avec l’ab­sorp­tion du calcium, en provo­quant une réduc­tion des taux plas­ma­tiques, et en augmen­tant l’ex­cré­tion des hormones stéroïdes sexuelles. » Il faudrait aussi sans doute prendre en compte une carence en vita­mine K2 qui empêche le calcium de se fixer sur les os.

Une autre étude obser­va­tion­nelle ciblant 61 enfants, dans une popu­la­tion blanche à haut niveau de reve­nus en Idaho (USA), a révélé ceci (Wilk VC et al., 2022N103) :

Les enfants dont les parents ont déclaré des apports quoti­diens moyens de bœuf, de zinc et de choline plus élevés à l’âge de 6 à 12 mois ont obtenu de meilleurs résul­tats à un test de contrôle inhi­bi­teur et d’at­ten­tion à l’âge de 3 à 5 ans.

Les limites de cette étude — il n’agit que de corré­la­tions — ont été recon­nues par les auteurs :

Ces résul­tats doivent être confir­més chez des sujets issus de foyers socio-économiques défa­vo­ri­sés et de diffé­rentes origines raciales et ethniques afin de pouvoir les géné­ra­li­ser à une plus grande population.

La démi­né­ra­li­sa­tion est accen­tuée par une consom­ma­tion exces­sive de jus de fruits. Robert Masson (2017N8) insis­tait sur les dangers de ces jus, parti­cu­liè­re­ment les cures de citrons, qui conduisent à une démi­né­ra­li­sa­tion et à l’ap­pa­ri­tion de nombreuses caries dentaires cachéesN104 détec­tées tardi­ve­ment. Il n’est pas surpre­nant que deux « gourous » de l’ali­men­ta­tion végé­tale — Irène Grosjean et Thierry Casasnovas — y aient été expo­sés après quelques années de leurs pratiques. La première a dû rempla­cer sa denti­tion par des implants, dans la tren­taine, attri­buant leur perte à la consom­ma­tion de produits laitiers dans son enfance ! Le second, qui décla­rait dans une vidéo (2013N105) s’être fait poser des implants sur toute la mâchoire — suite à un acci­dent de la circu­la­tion en Indonésie — prétend aujourd’­hui n’avoir jamais promu la consom­ma­tion de jus de fruits, contrai­re­ment à ce qu’il affir­mait dans de multiples vidéos dix ans plus tôt (2020N106). Casasnovas — voir vidéo sati­rique (Max Est Là, 2022N107) — n’est pas à une contra­dic­tion près, entre pres­crip­tion et pratique, puis­qu’il racon­tait sur un forum “raw paleo”, en 2010, les ravages de ses dix années de régime crudi­vore végé­ta­lien, qu’il a répa­rés en prati­quant une mono­diète de viande de porc crue (sic). Il ajou­tait (2010N108) :

[…] depuis lors, chaque fois que je mets de la viande dans ma bouche (prin­ci­pa­le­ment sauvage de la région, et non ache­tée à une produc­tion indus­trielle horrible) je ressens telle­ment d’éner­gie et de paix.

Flexitarisme ?

Drapeau végane

Je vois aujourd’­hui beau­coup de végé­ta­riens — surtout des végé­ta­liensN3 ou des véganesN1 — affi­cher leur diffé­rence sur un ton mora­li­sa­teur. Ou encore, comme Michel Onfray se décla­rant « croyant, bien que non prati­quant » d’un végé­ta­lisme strict, présen­ter cette pratique nutri­tion­nelle comme rele­vant d’une « néces­sité morale ».

Une consom­ma­tion modé­rée de fromage et de viande (voir le calcul de nos besoins en protéines) est compa­tible avec une critique de l’éle­vage indus­triel dans ses aspects sani­taires, éthiques et écono­miques, ainsi que la dénon­cia­tion d’actes cruels commis dans les abat­toirs. Désigner le « carnisme » comme un problème de « santé publique » est une stra­té­gie qui profite à un nouveau pan de l’in­dus­trie agroalimentaire.

On peut lire à ce sujet la critique par Diana Rodgers du rapport de la commis­sion EAT-Lancet prônant un régime « flexi­ta­rien » (voir N109 et sa traduc­tionN110) ainsi que celles, plus détaillées, du site OptimisingNutritionN111 et de Frédéric Leroy (2020N112). En mars 2019, l’OMS a retiré tout finan­ce­ment à EAT-Lancet après que son repré­sen­tant en Italie Gian Lorenzo Cornado ait signalé son absence de base scien­ti­fique ainsi que ses dispo­si­tions condui­sant à la perte de millions d’emplois liés à l’éle­vage au béné­fice de la produc­tion indus­trielle de “unheal­thy foods” (Torjesen I, 2019N113).

Brice Gloux dénonce dans un article (2019N114) la douce dérive tota­li­taire des annon­ceurs liés aux indus­triels de l’ali­men­ta­tion qui appuient leur argu­men­ta­tion sur un amal­game entre « danger de la viande pour la santé », « défense de la cause animale » et « lutte contre le réchauf­fe­ment climatique » :

Déjà depuis l’an dernier, en plus d’évoquer la néces­sité vitale des glucides dans l’alimentation, les recom­man­da­tions nutri­tion­nelles offi­cielles « conseillent d’aller vers des fruits et légumes de saison, des aliments de produc­teurs locaux, et, si possible, des aliments bio ».

Et pire encore depuis deux mois : confor­mé­ment à la loi EGalim, toute la restau­ra­tion scolaire — de la mater­nelle au lycée — doit propo­ser au moins un menu végé­ta­rien par semaine depuis le 1er novembre 2019.

C’est-à-dire qu’en plus de gérer de fort belle manière l’éducation des enfants, l’État gère aussi la qualité nutri­tion­nelle de leur repas. Aujourd’hui donc l’école. Et demain ? Les hôpi­taux vegans et les EHPAD végétariens ?

J’ai assisté à des expo­sés alam­bi­qués sur la manière de diver­si­fier les ressources végé­tales pour béné­fi­cier de tous les nutri­ments et des 9 acides aminés essen­tielsN115. Voir par exemple la confé­rence de Massimo Nespolo : Nutrition et santé, mythes et propa­gandes (17/5/2014N116). Son argu­men­taire savant est sans inté­rêt pratique car la théo­rie de la combi­nai­son de protéines a depuis long­temps été réfu­tée (voir WikipediaN117). Du reste, en 37 ans, je n’ai pas rencon­tré un seul végétarien/végétalien qui se pliait à de telles pres­crip­tions, bien que la plupart — moi en premier — n’aient eu de cesse de clamer leur impor­tance. D’autres acides aminés dits « non essen­tiels » tels que l’argi­nineN118, la cystéineN119, la gluta­mineN120, la tyro­sineN121, la glycineN122, la prolineN123 et la sérineN124 sont par ailleurs indis­pen­sables en cas de mala­die ou d’ex­po­si­tion à un stress prolongé.

Le flexi­ta­rismeN125 est un terme inventé aux États-Unis dans les années 1990 qui suggère une ouver­ture d’es­prit face à l’in­jonc­tion d’op­ti­mi­ser sa santé et de mini­mi­ser sa charge sur l’en­vi­ron­ne­ment. Il se décline sous d’autres formes, toutes aussi cool mais qui peuvent se parer d’un vernis scien­ti­fique, comme par exemple « la règle des 3 V » : (1) végé­tal, (2) vrai et (3) varié (Fardet A & E Rock, 2020N126). Les points (2) et (3) traduisent un consen­sus : l’évi­te­ment des aliments ultra-transformés — pas plus de 15 % de l’ap­port calo­rique jour­na­lier — et la diver­sité alimen­taire, si possible bio, local et/ou de saison. Le point (1) concerne la « végé­ta­li­sa­tion » de l’ali­men­ta­tion, préco­ni­sant un opti­mum de 15 % de produits d’ori­gine animale sur la base de « données scien­ti­fiques ». Le problème est que le réfé­ren­tiel scien­ti­fique abou­tis­sant à ce résul­tat n’est pas diffé­rent de celui des études obser­va­tion­nelles — voir mon article Faut-il jeter les enquêtes nutritionnelles ? — car les auteurs se réclament d’une approche « holis­tique » (Fardet A & E Rock, 2020N126 page 2) :

  • Études de l’as­so­cia­tion entre les régimes protec­teurs tradi­tion­nels a priori (c’est-à-dire défi­nis avant l’étude) et a poste­riori et la santé : les régimes alimen­taires ont été sélec­tion­nés sur la base de méta-analyses, de revues et/ou d’études de cohorte pros­pec­tives (lorsque les méta-analyses ne sont pas dispo­nibles) de leurs asso­cia­tions avec les résul­tats de santé.
  • Rapports scien­ti­fiques défi­nis­sant les régimes alimen­taires durables à l’ho­ri­zon 2050 comme protec­teurs à la fois de la santé humaine et de diffé­rents résul­tats envi­ron­ne­men­taux […] Une recherche a été effec­tuée pour l’ex­per­tise collec­tive en matière de pros­pec­tive à partir des sites Web d’or­ga­ni­sa­tions inter­na­tio­nales, d’ins­ti­tu­tions gouver­ne­men­tales, d’ins­ti­tuts de recherche et de fonda­tions privées jusqu’en décembre 2019.

Il est clair que cette approche intègre tous les biais décrits dans cet article, voir notam­ment le para­graphe « Environnement » plus bas. Les auteurs utilisent ensuite le filtre de leurs conclu­sions pour préco­ni­ser des amélio­ra­tions des régimes alimen­taires dans les collec­ti­vi­tés, entre autres les EHPAD, sachant que les personnes âgées de plus de 65 ans en France consomment en moyenne 35.7 % de calo­ries animales ; quan­tité qui, selon les auteurs, devrait donc être réduite à 15 % (Fardet A et al., 2021N127).

Cette approche norma­tive est exem­plaire d’une prise de contrôle de la produc­tion alimen­taire, une « évolu­tion […] problé­ma­tique car l’ali­men­ta­tion n’est plus une ques­tion de culture, de diver­sité, de nutri­tion adéquate ou même de dura­bi­lité, mais de la manière dont les tech­no­crates et leurs alliés indus­triels mesurent et unifor­misent les besoins alimen­taires dans le cadre d’un discours norma­tif, en vue d’une gestion socié­tale » (Leroy F, 2020N128).

Cette gestion prend effet, notam­ment, avec le programme des “Good Food Cities” auquel ont déjà adhéré Milan, Paris, Londres, Toronto, New York, etc., avec pour objec­tif d’im­po­ser le régime EAT-Lancet à tous les citoyens… Lire à ce sujet un article de Taty Lauwers.

Inde

Dr Malhotra et sa mère

Les asso­cia­tions tradi­tion­nelles céréale-légumineuse (riz/soja, blé/pois chiche, maïs/lentille etc.) sont rare­ment respec­tées par les céréa­liens, y compris en Inde urbaine où j’ai vécu 14 ans ! Elles le sont par contre en Inde rurale hors des périodes de pénurie.

Le cardio­logue britan­nique d’ori­gine indienne Aseem Malhotra (voir inter­view en 2016N129) a témoi­gné sur le décès préma­turé de sa mère — méde­cin géné­ra­liste — qu’il attri­bue à son adhé­sion stricte au végé­ta­risme par convic­tion reli­gieuse, asso­cié à une surcon­som­ma­tion d’ali­ments trans­for­més riches en glucides, graisses de mauvaise qualité et pauvres en protéines (Malhotra 2019N130). Au delà de cette obser­va­tion tragique bien qu’a­nec­do­tique, il signale que l’Inde avait été clas­sée comme le pays du monde le plus atteint par « l’épi­dé­mie » de diabète de type 2N131.

Les statis­tiques en 2017N132 ne confirment pas ce clas­se­ment : l’Égypte, le Soudan, l’Arabie saou­dite, la Lybie, la Turquie, le Mexique et les USA figurent en tête, mais la préva­lence du diabète en Inde reste plus du double de celle en France.

L’Inde est surtout confron­tée à une vague récente d’obésitéN133 très visible dans les classes aisées, bien que masquée chez les plus dému­nis qui souffrent d’obésité sarco­pé­niqueN134 dans laquelle l’ac­cu­mu­la­tion de graisse est conco­mi­tante d’une fonte muscu­laire qui fait que la personne peut paraître mince et « bien-portante ». Le déclin cogni­tif des personnes âgées — notam­ment la démence et Alzheimer — atteint aussi des propor­tions inquiétantes.

Il faudrait en finir avec le mythe de l’Inde « aux trois quarts végé­ta­rienne » entre­tenu par les extré­mistes natio­na­listes reli­gieux. Lors du recen­se­ment de 2014N135, tableau 5.1, 71 % des Indiens de plus de 15 ans, toutes caté­go­ries sociales confon­dues, étaient non-végétariens. (Ils étaient 61 % dans un recen­se­ment du Pew Research Center en 2021.) La propor­tion est sensi­ble­ment iden­tique (tableau 5.3) entre hommes et femmes pour chaque groupe d’âge, et selon l’ha­bi­tat urbain ou rural. La répar­ti­tion des végé­ta­riens — qui consomment des laitages et le plus souvent des œufs — appa­raît (en vert) sur une carte dres­sée à partir du tableau 5.2 :

Map of India indicating proportions of vegetarians in 2014
Source : N136

Singes et cochons

Un argu­ment souvent posé en faveur du végé­ta­lisme est la compa­rai­son entre les humains et les primates non-humains, ces derniers étant présen­tés comme leurs cousins les plus proches… Le discours de la « papesse du crudi­vo­risme » Irène Grosjean est inté­gra­le­ment bâti sur cette affir­ma­tion (2019N137 ; 2017N138). Ce qui prouve qu’elle doit être vrai­ment âgée pour avoir étudié avant l’époque de Georges Cuvier (1769–1832) ! ?

Dans le monde réel, la morpho­lo­gie compa­rée des systèmes diges­tifs révèle des diffé­rences signi­fi­ca­tives de volumes qui se carac­té­risent, pour les humains, par un intes­tin grêle nette­ment plus déve­loppé que le côlon (Chivers DJ & Hladik CM, 2013N139 ; Billings T, 1999N140) :

Volumes des appareils digestifs de primates. Source : N141

Cette parti­cu­la­rité classe sans équi­voque les humains dans la caté­go­rie des animaux se nour­ris­sant préfé­ren­tiel­le­ment de protéines et graisses d’ori­gine animale. Sachant que l’hu­main est bien plus proche du porc que des autres primates au niveau des « tripes », se nour­rir « au natu­rel » pour­rait se résu­mer à « manger comme un cochon » ! ?

Je recom­mande vive­ment l’écoute des cours donnés au Collège de France (2017N142) par le paléo-anthropologue Jean-Jacques Hublin, plus parti­cu­liè­re­ment les épisodes 3, 4 et 5 où il explique par une redis­tri­bu­tion des besoins éner­gé­tiques la conco­mi­tance d’une évolu­tion vers la bipé­die, une morpho­lo­gie de grande taille et un cerveau volu­mi­neux, à l’époque où nos ancêtres se sont éloi­gnés des autres primates. Cette évolu­tion s’est foca­li­sée sur le déve­lop­pe­ment et le fonc­tion­ne­ment du cerveau qui repré­sente envi­ron 20 % de notre consom­ma­tion d’éner­gie au repos, mais plus de 40 % chez les enfants. Elle a été possible en rédui­sant la consom­ma­tion éner­gé­tique — par consé­quent la taille — d’autres organes, en premier lieu l’in­tes­tin. Ceci coin­cide avec le fait que les humains ont aban­donné la consom­ma­tion de végé­taux au béné­fice d’une nour­ri­ture riche en calo­ries issue de protéines et graisses animales. Paul Saladino ajoute (2020N143 page 11) :

Nos esto­macs sont en réalité des chau­drons d’acide, atten­dant avec impa­tience que les aliments arrivent de l’œso­phage pour ensuite les digé­rer en compo­sants plus basiques. C’est dans l’es­to­mac que nous décom­po­sons les protéines, les graisses et les glucides complexes qui composent notre nour­ri­ture. […] Le pH d’un esto­mac humain sain est d’en­vi­ron 1.5 [à 3.5], ce qui est très acide sur l’échelle de pH qui va de 0 à 14 […]

Comment l’aci­dité de l’es­to­mac humain se compare-t-elle à celle du chim­panzé ? Nos loin­tains ancêtres primates avaient un pH stoma­cal de 4 à 5, ce qui est beau­coup moins acide. Le pH est une échelle loga­rith­mique, et chaque augmen­ta­tion d’une unité se traduit par une solu­tion 10 fois moins acide [Beasley DAE et al., 2015N144]. Nos esto­macs sont envi­ron 1000 fois plus acides que celui d’un chim­panzé. 1000 fois n’est pas une blague, et ce n’est certai­ne­ment pas un acci­dent. Notre esto­mac est devenu beau­coup plus acide parce que, il y a 3 ou 4 millions d’an­nées, notre régime alimen­taire est passé d’une alimen­ta­tion essen­tiel­le­ment végé­tale à une alimen­ta­tion compre­nant de nombreux aliments d’ori­gine animale, puis, il y a 2 millions d’an­nées, à une alimen­ta­tion essen­tiel­le­ment animale.

Environnement

Le végé­ta­lisme peut-il sauver la planète ? Peut-il restau­rer la biodi­ver­sité ? L’élevage est-il majo­ri­tai­re­ment respon­sable de l’émis­sion de gaz à effet de serre ? Il y a quelques années j’au­rais répondu « oui » à toutes ces ques­tions. Puis j’ai étudié quelques sources scien­ti­fiques. Une ving­taine d’ar­ticles sont en liens sur ma page Comment transformer nos déserts en prairies.

Lire aussi le dossier Quelques idées fausses sur la viande et l’élevage (INRAE, 2019N145).

Un article détaillé de Jean-François Dumas (2016N146), suivi de nombreux commen­taires, critique le véga­nisme à partir d’un point de vue écocen­tré. L’auteur présente ainsi sa démarche :

C’est à une critique de la justi­fi­ca­tion du véga­nisme par ces consi­dé­ra­tions écolo­giques que cet article est consa­cré. Pour l’essentiel, je souhaite montrer que ces consi­dé­ra­tions sont spécieuses. Elles reposent sur la réduc­tion de l’élevage à l’élevage indus­triel dans le cadre d’une agri­cul­ture produc­ti­viste, et elles s’appuient sur un bilan mondial en faisant fi de situa­tions régio­nales ou locales pour­tant très contras­tées, sur des confu­sions voulues ou non, notam­ment en ce qui concerne l’usage de l’eau.

Le véga­nisme géné­ra­lisé aurait pour effet immé­diat la ferme­ture des milieux et la dispa­ri­tion des prai­ries en France et en Europe au-dessous de la limite alti­tu­di­nale des arbres. C’est à partir de la mise en évidence des consé­quences fâcheuses de cette dispa­ri­tion pour la biodi­ver­sité que je construi­rai cette contri­bu­tion à la critique du véganisme.

Source : INRAE (2019N145)
86 % de l’ali­men­ta­tion animale n’est pas consom­mable par l’être humain

Une vache peut litté­ra­le­ment trans­for­mer l’herbe en viande, ce que nous, les humains, ne pour­rons jamais faire. En effet, les rumi­nants peuvent se nour­rir d’un régime composé prin­ci­pa­le­ment d’azote non protéique (purine, pyri­mi­dine, bétaïne, choline) et dépourvu de protéines, grâce aux bacté­ries intes­ti­nales présentes dans leur esto­mac à chambres multiples (Genzebu D, 2015N147). C’est pour­quoi ils vivent prin­ci­pa­le­ment d’herbe. De plus, ils sont capables de recy­cler l’azote de l’urée présente dans leur salive lorsque celle-ci est avalée avec le four­rage qu’ils mâchent, ce qui leur permet d’uti­li­ser la quasi-totalité de l’azote présent dans leur source de nour­ri­ture. Chez les non-ruminants, l’urée est géné­ra­le­ment excré­tée comme un déchet dans l’urine.

La critique de l’éle­vage, sans distinc­tion entre l’éle­vage indus­triel inten­sif et l’éle­vage tradi­tion­nel d’ani­maux en pâtu­rage, est deve­nue incon­tour­nable dans la lutte contre le « réchauf­fe­ment clima­tique » — voir le dossier Discours sur le climat. Militer pour l’éco­lo­gie impose de plus en plus la convic­tion de « limi­ter sa consom­ma­tion de viande » — voir la polé­mique sur les menus végé­ta­riens dans les cantines scolaires fran­çaises — et même, au final, d’in­ter­dire la produc­tion de viande. C’est ce qui est envi­sagé dans l’État de l’Oregon, aux USA, avec l’ini­tia­tive de vote IP3 requa­li­fiant l’abat­tage d’ani­maux comme une violence aggra­vée, ainsi que l’in­sé­mi­na­tion arti­fi­cielle et la castra­tion comme des agres­sions sexuelles (Hearden T, 2021N148).

Bill Gates en 2023 (source)

Cette approche est soute­nue par le milliar­daire Bill Gates, auteur de How to Avoid a Climate Disaster : The Solutions We Have and the Breakthroughs We Need (2021N149) qui déclare dans un entre­tien (2021N150) :

Je pense que tous les pays riches devraient passer au bœuf 100 % synthé­tique. On peut s’ha­bi­tuer à la diffé­rence de goût, et on estime que ce goût s’amé­lio­rera avec le temps. En fin de compte, cette prime verte serait suffi­sam­ment modeste pour que l’on puisse modi­fier le compor­te­ment des gens, ou mettre en œuvre une régle­men­ta­tion modi­fiant tota­le­ment la demande.

Source : Simon Goddek

Il est utile de savoir que Gates — qui se recon­naît comme un « carni­vore vorace » — a placé des billes dans les indus­tries de la viande arti­fi­cielle : Memphis Meat, Beyond Meat, Impossible Foods, etc. Il est donc raison­nable pour lui d’es­pé­rer renta­bi­li­ser ce nouvel investissement…

L’impact envi­ron­ne­men­tal de cette tech­no­lo­gie risque d’être bien diffé­rent des prophé­ties de milliar­daires sauveurs de la planète… Denis Risner et ses collègues (2023N151) écrivent :

Les résul­tats indiquent que l’im­pact envi­ron­ne­men­tal de la produc­tion de viande à base de cellules animales (ACBM), à court terme, est suscep­tible d’être supé­rieur de plusieurs ordres de gran­deur à la produc­tion médiane de bœuf, si un milieu de crois­sance haute­ment raffiné est utilisé pour la produc­tion d’ACBM.

[…] l’amé­lio­ra­tion du milieu de crois­sance a été iden­ti­fiée comme l’une des consi­dé­ra­tions les plus impor­tantes pour l’ana­lyse à court terme. L’un des aspects de ce perfec­tion­ne­ment est la réduction/élimination des endo­toxines pour chaque compo­sant du milieu de crois­sance. Les endo­toxines, égale­ment connues sous le nom de lipo­po­ly­sac­cha­rides (LPSN152), sont un compo­sant essen­tiel de la membrane externe des bacté­ries gram-négativesN42. […]

Dans les cultures cellu­laires, la présence d’une endo­toxine peut avoir une grande variété d’ef­fets. Par exemple, à une concen­tra­tion d’en­do­toxine aussi faible que 1 ng/ml, elle a réduit de 3 à 4 fois le taux de réus­site de la gros­sesse lors de la fécon­da­tion in vitro d’embryons humains. […]

La culture de cellules animales se fait tradi­tion­nel­le­ment avec des compo­sants du milieu de crois­sance qui ont été raffi­nés pour éliminer/réduire les endo­toxines. […]

L’utilisation de ces méthodes de raffi­nage contri­bue de manière signi­fi­ca­tive aux coûts écono­miques et envi­ron­ne­men­taux asso­ciés aux produits phar­ma­ceu­tiques, puis­qu’elles sont à la fois éner­gi­vores et coûteuses. […]

Les LCA [life cycle assess­ments] exis­tants des ACBM sont insuf­fi­sants pour évaluer l’im­pact envi­ron­ne­men­tal de cette tech­no­lo­gie alimen­taire émer­gente. Le prin­ci­pal problème de ces études préexis­tantes est que leurs modèles tech­no­lo­giques ne reflètent pas avec préci­sion les pratiques actuelles, ou à court terme, qui seront utili­sées pour fabri­quer ces produits. Notre évalua­tion envi­ron­ne­men­tale est fondée sur les systèmes de proces­sus les plus détaillés dispo­nibles, qui repré­sentent l’état de l’art actuel dans ce secteur de la tech­no­lo­gie alimen­taire émer­gente. Notre modèle contre­dit géné­ra­le­ment ces études anté­rieures, en suggé­rant que l’im­pact envi­ron­ne­men­tal de la viande culti­vée est suscep­tible d’être plus élevé que celui des systèmes conven­tion­nels de produc­tion de viande bovine, au lieu d’être plus respec­tueux de l’en­vi­ron­ne­ment. Il s’agit d’une conclu­sion impor­tante, étant donné que des inves­tis­se­ments ont été spéci­fi­que­ment alloués à ce secteur avec la thèse que ce produit sera plus respec­tueux de l’en­vi­ron­ne­ment que la viande de bœuf.

En résumé, il est très impor­tant pour les gouver­ne­ments et les entre­prises qui aspirent à allouer des capi­taux suscep­tibles de géné­rer des avan­tages à la fois écono­miques et envi­ron­ne­men­taux de comprendre l’im­pact mini­mal sur l’en­vi­ron­ne­ment de l’ACBM à court terme.

« La viande produite en labo­ra­toire s’avère être une grotesque mésa­ven­ture », écrit Andrew Orlowski dans le Daily Telegraph (14 octobre 2024N153) :

Les complo­tistes ont regroupé les protéines alter­na­tives, comme les insectes en tant qu’in­gré­dients et les cellules de bioréac­teurs, dans le cadre d’un sombre complot visant à atta­quer l’agri­cul­ture conven­tion­nelle. Le mème « Je ne mange­rai pas des insectes » est très popu­laire. Des mili­tants ont appelé à taxer les produits carnés conven­tion­nels. Mais il n’est pas néces­saire d’avoir un plan sinistre pour consta­ter que nos agri­cul­teurs et nos chaînes alimen­taires sont sous-évalués et subissent les assauts d’un État admi­nis­tra­tif agres­sif.

En fait, aucune conspi­ra­tion n’est néces­saire pour expli­quer cette gigan­tesque folie : il suffit d’une bonne dose de naïveté et de mauvais juge­ment. Au cours de la décen­nie de faibles taux d’in­té­rêt, beau­coup trop d’argent a servi à finan­cer trop peu de bonnes idées. Des expé­riences farfe­lues ont été avan­cées et finan­cées par des personnes fortu­nées, dont Bill Gates et Richard Branson. La classe des consul­tants leur disait obsé­quieu­se­ment qu’il s’agis­sait d’une idée fantas­tique. Les dépar­te­ments de sciences sociales des univer­si­tés se sont alors mis à l’œuvre.

Il existe aujourd’­hui un nombre impres­sion­nant d’ar­ticles acadé­miques sur la viande en bioréac­teur, allant de la manière d’in­ci­ter le public à accep­ter la fausse viande aux nouvelles méthodes et aux nouveaux nutri­ments (tech­no­lo­gie alimen­taire). Pendant ce temps, la géné­ra­tion Z revient à la vraie viande, pour des raisons de santé.

S’intéressant à la produc­tion indus­trielle d’ali­ments, K. Anastasiou et collègues (2022N154) ont proposé un cadre concep­tuel pour comprendre les impacts envi­ron­ne­men­taux des aliments ultra-transformés [UPF] et leurs impli­ca­tions pour les systèmes alimen­taires durables :

Cet examen [de 52 études] a révélé que les UPF sont respon­sables d’im­pacts envi­ron­ne­men­taux impor­tants liés à l’ali­men­ta­tion. Les études incluses ont indi­qué que les UPF repré­sen­taient entre 17 et 39 % de la consom­ma­tion d’éner­gie totale liée à l’ali­men­ta­tion, 36–45 % de la perte de biodi­ver­sité totale liée à l’ali­men­ta­tion, jusqu’à un tiers des émis­sions de gaz à effet de serre, de l’uti­li­sa­tion des sols et du gaspillage alimen­taire liés à l’ali­men­ta­tion, et jusqu’à un quart de la consom­ma­tion d’eau totale liée à l’ali­men­ta­tion chez les adultes dans un échan­tillon de pays à revenu élevé.

Les argu­ments les plus fréquem­ment avan­cés en faveur d’un aban­don de l’éle­vage d’ani­maux « pour sauver la planète » sont ceux de la consom­ma­tion d’eau et de la produc­tion de méthane (gaz « à effet de serre ») par les rumi­nants, ainsi que du gaspillage des ressources végé­tales. Les graphiques ci-dessous en démontrent l’inep­tie. Ils ont été publiés par le collec­tif Sacred CowN155 qui milite pour la mise en œuvre de pratiques d’agri­cul­ture régé­né­ra­triceN156 en élevage : plani­fi­ca­tion du pâtu­rage, etc. C’est une source docu­men­taire secon­daire, mais chaque graphique est construit à partir de données scien­ti­fiques, réfé­ren­cées en légende, que j’ai complé­tées avec les liens directs.

Répartition de l'eau utilisée pour la production de viande de bœuf aux USA, en mode industriel et en mode pâturage. L'eau "verte" est celle qui provient de la pluie, l'eau "bleue" est celle fournie par les éleveurs, et l'eau "grise" celle utilisée pour le nettoyage. Données issues de : Rotz CA et al. (2019N157) Environmental footprints of beef cattle production in the United States. Agricultural Systems, 169 : 1-13. Source : N155

Selon cette source, on utilise seule­ment 2350 litres d’eau « bleue » pour produire 1 kilo de viande de bœuf — moins que pour produire 1 kilo d’avo­cats, de noix ou de sucre. L’étude de Asem-Hiablie S et al. (2019N158) utili­sant la méthode d’ana­lyse d’ef­fi­ca­cité écolo­gique de BASFN159, arrive aussi, globa­le­ment pour les USA, à 2558 litres d’eau potable par kilo de viande de bœuf désos­sée consommable.

Les données de l’INRA, basées sur l’éle­vage bovin fran­çais (prin­ci­pa­le­ment en pâtu­rage) sont nette­ment plus favo­rables : 500 litres d’eau bleue pour 1 kilo de viande de bœuf (2019N160), évalua­tion qui peut se réduire de 20 à 50 litres/kilo en tenant compte du stress hydrique géné­ra­liséN161.

Comment est répar­tie la consom­ma­tion d’eau — de surface et souter­raine — en France ? Le minis­tère de la tran­si­tion écolo­gique et de la cohé­sion des terri­toires a publié un graphique (2023N162) qui montrait que la consom­ma­tion agri­cole est nette­ment infé­rieure à celle du « refroi­dis­se­ment des centrales élec­triques », autre­ment dit le parc nucléaire :

Répartition des volumes d’eau douce prélevés par usage et par milieu, en 2019
En milliards de m3
Champ : France métropolitaine.
Source : OFB, Banque nationale des prélèvements quantitatifs en eau (BNPE). Traitements : SDES, 2022

Pour ce qui concerne la produc­tion de gaz à effet de serre (évalués en « équi­va­lents de CO2 »), un simple diagramme permet d’éva­luer la part des choix nutri­tion­nels dans l’éven­tail des acti­vi­tés humaines — 12 tonnes par an pour un Français. Éliminer tout produit d’ori­gine animale dans la consom­ma­tion de nour­ri­ture ne rédui­rait que de quelques pour­cents les émis­sions de CO2 (Leroy F, 2020N128) :

Répartition moyenne de la produc­tion annuelle d’équi­va­lents CO2 pour un Français.
Source : Frédéric Leroy (2020N128)

Il est commun de poin­ter du doigt la produc­tion de méthane dans les « pets de vache » — en réalité des rots des rumi­nants — comme cause majeure du réchauf­fe­ment global. Voici ce qu’il en est :

Répartition de la production de gaz à effet de serre dans les activités humaines (USA) montrant que la part de l'élevage — et des bovins en particulier — est bien plus faible que l'affirment de nombreux militants. Données issues de : United States Environmental Protection Agency (EPAN163). Source : N155

Les 4.7 % de gaz « à effet de serre » issus de la culture de végé­taux comprennent du protoxyde d’azote N2ON164 298 fois plus « néfaste » que le CO2, effet notable de la culture du riz sous inon­da­tions inter­mit­tentesN165. Selon Kritee K et al. (2018N166) :

La rizi­cul­ture four­nit des moyens de subsis­tance à envi­ron 145 millions de ménages qui utilisent 11 % des terres arables, un tiers de l’eau d’ir­ri­ga­tion et au moins un septième des engrais dans le monde. Elle contri­bue à l’émis­sion de CH4 et de N20. […]

Aucun des prin­ci­paux pays produc­teurs de riz, y compris les deux prin­ci­paux produc­teurs, la Chine et l’Inde, ne déclare offi­ciel­le­ment le N20 du riz ni les facteurs d’émis­sion connexes dans ses inven­taires natio­naux de gaz à effet de serre soumis aux Nations Unies. […]

Partant de la convic­tion que la réduc­tion au mini­mum du CH4 de la rizi­cul­ture est toujours béné­fique pour le climat, les poli­tiques d’at­té­nua­tion actuelles favo­risent une utili­sa­tion accrue des inon­da­tions inter­mit­tentes. Cependant, les résul­tats de cinq rizières inon­dées par inter­mit­tence dans trois régions agro-écologiques de l’Inde indiquent que les émis­sions de N2O par hectare peuvent être trois fois plus élevées (33 kg de N2O/ha/saison) que le maxi­mum précé­dem­ment signalé. Les corré­la­tions entre les émis­sions de N2O et les para­mètres de gestion suggèrent que les émis­sions de N2O de riz à travers le sous-continent indien pour­raient être 30–45 fois plus élevées en utili­sa­tion inten­sive des inon­da­tions inter­mit­tentes que sous l’inon­da­tion continue.

La suppression de la viande ferait plus de mal que de bien aux USA : réduction de seulement 2.6 % des émissions de gaz à effet de serre au prix d'une augmentation de la surconsommation calorique (de 145 % à 230 %) et de celle de glucides, avec une réduction des apports en nutriments essentiels. Données issues de : White RR et Hall MB (2017N167). Nutritional and Greenhouse Gaz Impacts of Removing Animals from US Agriculture. PNAS, National Academy of Sciences, 114, 48 : E10301-E10308. Source : N155

Dans une démarche scien­ti­fique, cette comp­ta­bi­lité des gaz « à effet de serre » produits par l’agri­cul­ture et l’éle­vage mérite d’être confron­tée à une analyse critique de la notion d’effet de serre radia­tif — voir Geuskens G, 2020N168 ; Poyet P, 2022N169 p. 107–123 ; Gervais F, 2022N170 p. 33–80 ; Happer W & Lindzen R, 2023N171 ; et plus géné­ra­le­ment mon article Discours sur le climat.

Toutefois, l’exa­men appro­fondi de cette ques­tion nous éloi­gne­rait du cadre de ce site — et des compé­tences du rédac­teur ! Lire pour résu­mer Arjun Walia (2023N172) Where Did The Claim That “97 % of Scientists” Believe Climate Change Is A Man-Made, Urgent Problem Come From ? Is It True ? — citant Richard Lindzen :

Voici main­te­nant l’ex­pli­ca­tion la plus répan­due concer­nant ce système. Le climat, un système multi­fac­to­riel complexe, peut être résumé en une seule variable, le chan­ge­ment de tempé­ra­ture moyen à l’échelle mondiale ; et il est prin­ci­pa­le­ment contrôlé par la pertur­ba­tion de 1 à 2 % du budget éner­gé­tique asso­ciée à une seule variable — le dioxyde de carbone — parmi de nombreuses variables d’im­por­tance compa­rable. Il s’agit là d’une paire d’af­fir­ma­tions extra­or­di­naires, basées sur un raison­ne­ment qui frise la pensée magique. C’est pour­tant le récit qui a été large­ment accepté, même par de nombreux sceptiques.

Ce graphique illustre que 86 % de la nourriture du bétail provient de matières organiques que les humains ne peuvent pas consommer, dont la moitié (46 %) de l'herbe et de feuilles. Données issues de : Mottet A et al. (2017N173). Livestock: On our plates or eating at our table? A new analysis of the feed/food debate. Global Food Security, 14 : 1-8. Source : N155

Le collec­tif Sacred Cow a aussi travaillé 3 ans à la réali­sa­tion d’un excellent film — du même titre — qu’on peut se procu­rer sur son site (Sacred Cow, 2020N155) et dont Gabriella Tamas a rédigé un compte-rendu détaillé en fran­çais (Tamas G, 2020N174).

Dans un article sur Les Échos (2020N175), Gilbert Lienard pointe les consé­quences désas­treuses pour les prai­ries d’un déclin de l’éle­vage si jamais l’ali­men­ta­tion sans viande venait à décoller.

Gabriella Tamas propose le terme « régé­né­ta­rien » pour dési­gner une démarche incluant le soin de soi et la protec­tion de l’en­vi­ron­ne­ment dans le respect de la diver­sité des choix person­nels (Tamas G, 2019N176) :

Et si nous pouvions manger ce qui nous convient et ce qui nous nour­rit en paix les uns à côté des autres, tout en vivant selon nos propres valeurs ? […] Car OUI, c’est possible. Et ceci sans jeter la pierre sur un tel qui mange ceci ou cela, sans casser les vitrines des bouchers ni juger ses amis pour leurs choix alimen­taires qui ne sont pas les nôtres. […]

L’agri­cul­ture régé­né­ra­trice [N156] offre une alter­na­tive viable pour réunir le meilleur de nos expé­riences agri­coles anciennes et les nouvelles tech­no­lo­gies. Elle permet de culti­ver nos aliments d’une manière qui régé­nère notre planète, et elle favo­rise un écosys­tème diver­si­fié, pros­père et résilient.

Militantisme

Les croyances et le discours perfor­ma­tifN177, souvent copié-collé, ont remplacé le savoir empi­rique comme on peut le consta­ter sur les réseaux sociaux — voir mon article Cerises, brocoli, protéines, propagande. Il suffit de postu­ler que renon­cer à tous les aliments d’ori­gine animale n’in­duit pas de carences nutri­tion­nelles pour le rame­ner à un choix éthique (à la portée de tout le monde) dans une pers­pec­tive de « déve­lop­pe­ment durable ». L’effet placeboN178 donne raison aux nouveaux adeptes, du moins sur le court terme. Les effets (parfois irré­ver­sibles) de leurs carences alimen­taires peuvent se mani­fes­ter après plusieurs décen­nies. Plus grave, impo­ser un régime priva­tif à des personnes en situa­tion de dépen­dance ou de subor­di­na­tion (enfants, parents âgés…) n’est autre qu’une forme de maltrai­tance (2019N179) ; voir par exemple l’état de santé de bébés nour­ris aux légumes ou jus de fruits après leur sevrage dans des familles végé­ta­riennes (Smolka V et al., 2001N180).

Des mili­tants n’hé­sitent pas à affi­cher les données nutri­tion­nelles de la popu­la­tion des îles Okinawa au Japon sous occu­pa­tion améri­caine (1949) pour propa­ger la croyance que les nombreux cente­naires de cette « zone bleue » suivaient un régime tradi­tion­nel stric­te­ment végé­ta­lien — voir mon article Okinawa, îles de rêve(s).

Un exemple des plus parta­gés sur les avan­tages d’un régime végé­ta­lien est celui d’ath­lètes qui se déclarent véganes. Par exemple, Patrick Baboumian (de double natio­na­lité alle­mande et iranienne) est un des hommes les plus forts du monde, converti au végé­ta­lisme en 2011. On peut appré­cier son menu quoti­dien de 5000 kcal « 100 % végé­tal » sur une page de Celia Balf (2019N181) : pour l’es­sen­tiel, des supplé­ments de protéines et de graisses.

La popu­la­rité de slogans comme « moins de viande » et le « tout végé­tal » me fait penser à la recon­duc­tion d’un fina­lisme hérité de croyances reli­gieuses : le Créateur aurait créé les plantes « à l’usage de l’Homme ». On admire un humain qui se « soigne avec les plantes », fort de l’idée que les plantes sont béné­fiques — si l’on excepte, à regret, celles qui sont malé­fiques, comme des anges déchus… Quand à celui qui consomme des médi­ca­ments, on ne dira pas avec la même effu­sion qu’il se « soigne avec la chimie », encore moins que la chimie est béné­fique. Cette surva­lo­ri­sa­tion du végé­tal fait abstrac­tion du fait que les végé­taux n’ont pas pour voca­tion d’être mangés par des humains, et même qu’ils se défendent, avec leurs armes chimiques, des préda­teurs voraces dont nous faisons partie !

Le végé­ta­lismeN3, rappelons-le, est l’as­pect nutri­tion­nel du véga­nisme qui s’ins­crit pour beau­coup dans une mouvance exigeant « l’abo­li­tion » de l’éle­vage, de la chasse et de la pêche, ainsi que la « libé­ra­tion » des animaux de compa­gnie. Certains membres de collec­tifs ou asso­cia­tions porteurs de cette idéo­lo­gie choi­sissent un mode opéra­toire provo­ca­teur, allant jusqu’à la destruc­tion de lieux d’éle­vage ou au saccage de bouche­ries et pois­son­ne­ries. Écouter à ce sujet l’in­ter­ven­tion de Paul Ariès : « Les végans ont tout faux » (2019N182).

Le fana­tisme fran­chit le point GodwinN183 avec l’in­ter­ven­tion de Solveig Halloin dans l’émis­sion Touche Pas à Mon Poste ! suite à la diffu­sion d’un docu­ment vidéo révol­tant sur l’éle­vage indus­triel des cochons (2020N184).

Les anglo­phones peuvent aussi prendre connais­sance du discours de fana­tiques véganes qui postent leurs vidéos sur Internet. Voir par exemple le long récit (2019N185) de la descente aux enfers d’une jeune femme et son compa­gnon ayant refusé d’ad­mettre, pendant cinq ans, tout lien entre le déclin de leur santé et leur pratique nutritionnelle.

Impact médiatique

Une série de trois articles (2012N186·N187·N188) montre que l’Association Américaine de Diététique (AND) a été infil­trée par des membres de l’Église adven­tiste du Septième JourN189 qui visent à promou­voir le végé­ta­risme. Ce lobbyisme reli­gieux est signi­fi­ca­tif sachant que les adven­tistes détiennent, depuis la fin des années 1940, plusieurs socié­tés spécia­li­sées dans la fabri­ca­tion de substi­tuts de viande. Je montre dans un autre article — Hunza à perte de vue — comment des adven­tistes dans la ligne du sinistre John Harvey KelloggN190 ont contri­bué à façon­ner le mythe de la longé­vité extra­or­di­naire des Hunzas au milieu du 20e siècle.

Au 21e siècle, ce mouve­ment se pour­suit dans la sphère écono­mique avec des entre­prises et groupes de pres­sion visant (ouver­te­ment) à porter un coup fatal aux acti­vi­tés d’éle­vage pour impo­ser la consom­ma­tion de « substi­tuts de viande » issus des nouvelles tech­no­lo­gies. Ces initia­tives sont omni­pré­sentes dans les sommets des Nations unies sur les systèmes alimen­taires, avec un programme, appuyé par une galaxie d’ONG, ciblant l’agri­cul­ture et l’éle­vage tradi­tion­nels sous le prétexte — comme nous l’avons montré, falla­cieux — de « sauver le climat ». Un grand nombre des acteurs de ce mouve­ment sont par ailleurs enga­gés dans des démarches spiri­tuelles (New-AgeN191) visant à rassem­bler tous les courants reli­gieux dans un culte de la « mère Terre » (Gaia).

Un exposé détaillé de cette offen­sive se trouve dans un entre­tien avec Frédéric Leroy, profes­seur de science nutri­tion­nelle et de biotech­no­lo­gies à l’Université libre de Bruxelles : Prise de contrôle hostile de la produc­tion alimen­taire (2021N192, en anglais). On peut aussi consul­ter sa biblio­gra­phie et plus parti­cu­liè­re­ment l’ar­ticle Should dietary guide­lines recom­mend low red meat intake ? (Leroy F, 2019N112).

Vidéo : Prise de contrôle hostile de la produc­tion alimen­taire (Leroy F, 2021N192)

Ces argu­ments sont progres­si­ve­ment traduits et expo­sés sur la blogo­sphère fran­co­phone. Lire par exemple Mon entre­côte est scien­ti­fique (ClairEtLipide S, 2021N193). Les écrits et confé­rences de Frédéric Leroy ont par ailleurs été commen­tés par Taty Lauwers dans son ouvrage Le bœuf émis­saire (2021N194 pages 62-ff et 75-ff).

Source : N194

La vague anti­spé­cisteN195 exerce une influence gran­dis­sante sur le public. Bien que le végé­ta­risme et le végé­ta­lisme restent forte­ment mino­ri­taires en France, un nombre crois­sant de personnes se recon­naissent dans le flexi­ta­rismeN125, obéis­sant à l’in­jonc­tion de « manger moins de viande » sans avoir sérieu­se­ment réflé­chi aux raisons de leur choix ni à ses impli­ca­tions en termes d’équi­libre nutritionnel…

Le végé­ta­risme et le flexi­ta­risme s’af­fichent aujourd’­hui comme des marqueurs d’un enga­ge­ment pour l’éco­lo­gie, et parti­cu­liè­re­ment « le climat ». Même dans une émis­sion de qualité comme 28 minutes sur la chaîne Arte, l’ex­cel­lente Élisabeth QuinN196 ne peut s’empêcher de faire dire à tout invité « écolo » qu’il ou elle mange « moins de viande ».

À partir d’un certain seuil — évalué à 10 % selon certains cher­cheurs (2019N197 page 35) — une croyance mino­ri­taire peut être perçue comme majo­ri­taire et rapi­de­ment le deve­nir. Gérald Bronner et Étienne Klein écri­vaient à ce sujet dans La percep­tion des risques (2016N198 page 22) :

Ceux qui règnent sur ce marché sont ceux qui ont le plus de temps à occu­per l’« espace » de parole, c’est-à-dire ceux qui sont les plus motivés. Or, sur toute une série de sujets, les plus motivés sont les plus engagés, voire les plus « croyants ». Pour cette raison, ils parviennent à instau­rer, sur les forums ou dans le clas­se­ment Google, une sorte d’illusion de majo­rité qui peut affec­ter le juge­ment de nos conci­toyens les plus indécis, ou bien qui n’ont pas le temps de défaire des argu­ments qui sont, par ailleurs, en appa­rence convaincants.

Les éléments de langage répé­tés en boucle amènent souvent des « experts » à se prendre les pieds dans le tapis… Par exemple, dans une émis­sion titrée « Viande : des hori­zons bouchés ? » diffu­sée sur France Culture le 25/1/2023, un « consul­tant cher­cheur » commen­çait par affir­mer qu’en matière de nutri­tion, aucune règle norma­tive ne peut être énon­cée. Fort bien, mais peu après il déclarait :

Les Français consomment deux fois trop de viande !

Dans un éclair de luci­dité, l’ani­ma­teur lui demandait :

Deux fois trop, par rapport à quoi ?
Eh bien, par rapport au réfé­rent nutritionnel !

Cette contra­dic­tion (entre l’ab­sence de norme et l’exis­tence d’un réfé­rent) n’a été rele­vée par aucun parti­ci­pant. Tous avaient pour seule bible des articles de presse, à défaut d’une seule étude en sciences de la nutri­tion. En fin d’émis­sion — ou plutôt, avant que je coupe la radio —, une « écono­miste de l’en­vi­ron­ne­ment » a déclaré que, d’ici une ou deux décen­nies, nous devrions (et pour­rions) puiser au moins 80 % de nos protéines dans des sources végé­tales. Toute cela sans recou­rir à la viande artificielle…

Les hari­cots et autres pois chiches étaient à l’hon­neur pour « sauver le climat » ! Les réponses à ces inep­ties sont dans mon article Protéines, ainsi que plus haut pour ce qui concerne l’environnement.

Frédéric Leroy concluait en 2020 (Leroy F, 2020N128) :

La pratique des réformes alimen­taires au cours des 200 dernières années a abouti à la recom­man­da­tion actuelle de manger moins de viande et plus de céréales, de légumes, de noix et de fruits. Elle a contri­bué à la forma­tion d’un clivage animal/végétal, qui ampli­fie son propre message par le biais du méca­nisme de biais de l’uti­li­sa­teur sain, affec­tant la litté­ra­ture épidé­mio­lo­gique par une rétro­ac­tion posi­tive [voir mon article Faut-il jeter les enquêtes nutritionnelles ?]

En tant qu’acte à la fois moral et scien­ti­fique, le fait de « bien manger » (par exemple, moins ou pas de viande) a fini par l’emporter sur la tradi­tion et les affi­ni­tés, tout en étant compa­tible avec les inté­rêts de l’ordre indus­triel. L’intervention de l’État est accueillie favo­ra­ble­ment en s’ap­puyant sur les classes moyennes et en acti­vant l’in­gé­nie­rie sociale. Cette évolu­tion est problé­ma­tique car l’ali­men­ta­tion n’est plus une ques­tion de culture, de diver­sité, de nutri­tion adéquate ou même de dura­bi­lité, mais de la manière dont les tech­no­crates et leurs alliés indus­triels mesurent et unifor­misent les besoins alimen­taires dans le cadre d’un discours norma­tif, en vue d’une gestion socié­tale.

L’accent exces­sif mis sur les poli­tiques « à base de plantes » est non seule­ment contre-productif mais aussi poten­tiel­le­ment dange­reux. Il détourne l’at­ten­tion des véri­tables prio­ri­tés plané­taires dont la société devrait s’oc­cu­per, à savoir les causes profondes du chan­ge­ment clima­tique et d’une nutri­tion inadé­quate causée par des régimes pauvres en nutriments.

Apostasie

Ces dernières années, plusieurs blogueuses et Youtubeuses véganes ont reconnu avoir aban­donné leur régime pour des raisons de santé, sans pour autant renon­cer à promou­voir leurs idées (et leur image person­nelle) — voir N199.

On peut écou­ter par exemple le témoi­gnage de la natu­ro­pathe Mélanie Dufey en 2017 : « Pourquoi mon alimen­ta­tion n’est plus végéta*ienne » :

Mélanie Dufey en 2017 : « Pourquoi mon alimen­ta­tion n’est plus végéta*ienne »

Suite à cette « trahi­son », la blogueuse a été mena­cée de mort sur les réseaux sociaux !

Sans surprise, les hommes sont moins enclins que les femmes à recon­naître en public leurs erreurs…

Transhumanisme

Source : N200

Des moyens finan­ciers impor­tants sont mobi­li­sés pour faire passer les messages dans les médiasN197. Eddy Fougier, auteur de La contes­ta­tion anima­liste radi­caleN200, explique comment, selon lui, le mouve­ment végane s’est radi­ca­lisé depuis une décen­nie (Fougier E, 2019N201).

Les prises de posi­tion de George Monbiot en faveur du végé­ta­lisme « pour sauver le climat » — voir son film Apocalypse Cow (Montbiot G, 2020N202 et mon article De la viande oui, mais pas n’importe comment — ont eu un impact impor­tant jusqu’à ce qu’il se posi­tionne en faveur de la produc­tion indus­trielle de « fausse viande » par fermen­ta­tion bacté­rienne — voir l’ar­ticle de Pat Thomas : Sauver la planète en détruisant l'agriculture. Catte Black écrit dans OffGuardian (2018N203) :

George est un enfant de l’af­fiche pour la nouvelle vague végane. Étrange, peut-être, étant donné qu’il n’est lui-même que « 97 % végé­ta­lien ». Mais igno­rons simple­ment le carni­vore à 3 %… Le point le plus impor­tant est que George veut que nous pensions tous qu’il est végé­ta­lien. Parce qu’un vendeur doit être vu en train d’uti­li­ser le produit dont il fait la promotion.

Soutenue par l’Union inter­na­tio­nale pour la conser­va­tion de la nature (UICNN204), la nouvelle philo­so­phie de Monbiot est expo­sée dans son inter­ven­tion à Oxford Real Farming Conference (2020 vidéoN205). Son article Les aliments culti­vés en labo­ra­toire vont bien­tôt mettre fin à l’agriculture et sauver la planète (Monbiot G, 2020N206) est commenté par Françoise Degert (Degert F, 2020N207) :

Son article est inté­res­sant car il fait clai­re­ment le lien entre la conser­va­tion de la nature et l’idéologie trans­hu­ma­niste [N208] (la tech­no­lo­gie trans­cen­dera les humains vers leur immor­ta­lité). Il aurait d’ailleurs pu rédi­ger le commu­ni­qué de Technoprog [N209], une asso­cia­tion fran­çaise de trans­hu­ma­nistes, tant les deux écrits se ressemblent. Comme George Monbiot, Technoprog conclut aux bien­faits de l’alimentation synthé­tique qui « permet­trait de limi­ter l’élevage et l’abattage bovin, de réduire les souf­frances animales qui y sont asso­ciées, de faire des écono­mies en eau et en surfaces agri­coles ou de réduire l’effet de serre ». Coïncidence trou­blante ? Non, sachant que cette idéo­lo­gie, le trans­hu­ma­nisme, fleu­rit dans les start-up de la Silicon Valley et les GAFAM, qui ont l’ambition de chan­ger le monde. Le prin­ci­pal mérite de George Monbiot est de dire tout haut ce qui se trame tout bas.

L’enthousiasme des consom­ma­teurs de substi­tuts de viande — pour la plupart des aliments ultra-transformés (UPF, ultra-processed foods en anglais) — est quelque peu douché par les résul­tats d’études qui montrent leur contri­bu­tion à l’in­ci­dence de mala­dies cardio­vas­cu­laires qu’ils étaient suppo­sés éviter (Rauber F et al., 2024N210 :

L’apport alimen­taire en substances non UPF d’ori­gine végé­tale est inver­se­ment lié au risque de mala­dies cardio­vas­cu­laires, tandis que l’ap­port en substances UPF d’ori­gine végé­tale présente une asso­cia­tion posi­tive. Il est essen­tiel de recon­naître le rôle de la trans­for­ma­tion des aliments pour obte­nir des résul­tats favo­rables en matière de mala­dies cardio­vas­cu­laires, même dans les régimes à base de plantes.

En d’autres temps…

À propos du végé­ta­risme — nette­ment moins restric­tif que le végé­ta­lisme, mais la confu­sion entre les deux est fréquente — Taty Lauwers souligne une évolu­tion délé­tère de cette pratique, causée selon elle par une dégra­da­tion de la qualité des produits et l’avè­ne­ment d’une alimen­ta­tion « saine » industrielle.

Dans un aperçu intro­duc­tifN211 de son ouvrage en cours d’édi­tion Quand le végé se fane, elle cite le Dr André Passebecq — dont je lisais pieu­se­ment le jour­nal à la belle époque : « Jusqu’à l’in­tro­duc­tion du lait de soja, les végé­ta­riens étaient des modèles de santé ». L’actualité scien­ti­fique lui donne raison, avec un soup­çon gran­dis­sant de lien entre l’uti­li­sa­tion de prépa­ra­tions infan­tiles à base de soja à desti­na­tion des nour­ris­sons et la surve­nue de signes autis­tiques (Westmark CJ, 2013N212).

Le Triomphe de la Mort, tableau de Pieter Brueghel l'Ancien
Le Triomphe de la Mort, de Pieter Brueghel l’Ancien (Wikimedia Commons)
Le paradis des Témoins de Jéhovah
Le para­dis des Témoins de Jéhovah. Source : N213

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Article créé le 27/07/2018 - modifié le 18/10/2024 à 16h40

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