Chrononutrition

Chrononutrition – bases

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Le terme géné­rique « chro­no­nu­tri­tion » appa­raît dans un nombre crois­sant de publi­ca­tions anglo­phones en chro­no­bio­lo­gieN1 — voir mon article Chrononutrition - publications. Il est encore absent de Wikipedia anglais. La page « chro­no­nu­tri­tion » sur Wikipedia fran­çaisN2 ne décrit que la chrono-nutrition® (avec un trait d’union) ensei­gnée en France depuis 1986 par Dr Alain Delabos.

À ma connais­sance, aucune autre pratique de chro­no­nu­tri­tion ne fait preuve d’une telle expé­rience clinique ; par ailleurs, je l’ai adop­tée person­nel­le­ment avec succès — voir mon article Chrononutrition - mon expérience. C’est donc celle que je présente ici, en essayant de la situer dans le champ des connais­sances récentes en matière de nutrition.

chrono-dejeuner2
Déjeuner proche de la « chrono » :
viande, gnoc­chini bio, quelques légumes
et salade, sans oublier l’eau…

Le prin­cipe de la chrono-nutrition®, décrit par son fonda­teur, est : « Vous pour­rez vous nour­rir comme vous le voudrez, pourvu que vos aliments soient natu­rels et choi­sis dans la jour­née en fonc­tion des indi­ca­tions précises four­nies par votre horloge biolo­gique » (Delabos 2005).

Une présen­ta­tion grand public très lisible figure sur cette pageN3. Elle est conforme à la pratique actuelle, sauf en ce qui concerne le « dîner de fruits », une option qui a été aban­don­née car elle fait travailler le pancréas à contre­temps (Delabos 2012N4).

Sommaire

De quoi s’agit-il ?

Le site offi­ciel est la​-chro​no​nu​tri​tion​.comN5. Il est complété par un site de coaching person­nel : chrono​-coaching​.frN6.

Deux ouvrages de référence :

  • Delabos, Alain (2012N4). Mincir sur mesure grâce à la chrono-nutrition. Albin Michel. (Diffusé aussi en format numé­riqueN7.)
  • Mestre, Jean-René ; Rapin, Jean-Robert (2012N8). Time Nutrition : « Faites de l’ali­ment votre médi­ca­ment ». Villeneuve les Maguelone : Jdc Logistique.

Le premier ouvrage est un exposé des prin­cipes et de la pratique de la chrono-nutrition, très facile d’ac­cès et agréable à lire, complété par des recettes de Guylène Delabos, épouse de l’au­teur. Il est indis­pen­sable de suivre à la lettre la méthode dans la plus récente version et ne pas fabri­quer une chro­no­nu­tri­tion « à sa sauce ». Non seule­ment une inter­pré­ta­tion erro­née produit souvent l’ef­fet inverse de celui escompté (par exemple perdre du poids), mais elle peut aussi mettre en péril la santé.

Attention aux arnaques : des ouvrages, des pages web et des ressources numé­riques sont vendues dans de multiples langues, faisant l’éta­lage de « chrono-nutrition » et d’une forma­tion « d’ex­perts » sans aucun lien avec les fonda­teurs. Le plus souvent, ces méthodes sont truf­fées d’er­reurs ou d’in­ter­pré­ta­tions invé­ri­fiées. En France, par exemple, un hypno­thé­ra­peute vendait en 2013 des enre­gis­tre­ments de « messages subli­mi­naux » accom­pa­gnés d’un livre élec­tro­nique « Je mincis avec plai­sir » qui n’était rien d’autre qu’un plagiat de l’en­sei­gne­ment d’Alain Delabos.

Le Dr Delabos insiste sur la néces­sité de véri­fier son état de santé biolo­gique avant de commen­cer — foie, pancréas, reins, sang, thyroïde, hypo­physe, moëlle osseuse. Un suivi médi­cal est indis­pen­sable en cas de patho­lo­gie. Rappelons que l’obé­sité n’est pas systé­ma­ti­que­ment liée à la « malbouffe » ; elle peut être un aspect clinique de mala­dies affec­tant l’équi­libre hormo­nal, comme par exemple le syndrome de Stein-LeventhalN9 qui touche 3 à 10 % des femmes, ou encore l’ef­fet indé­si­rable de certains médicaments.

Si l’on a suivi un régime très pauvre en matières grasses, par exemple suite à l’abla­tion de la vési­cule biliaire, une période d’adap­ta­tion peut s’avé­rer néces­saire et un apport médi­ca­men­teux est proposé à cet effet. Un coachingN6 est recom­mandé dans toute situa­tion exceptionnelle.

En cas de trouble méta­bo­lique, le méde­cin adapte le programme, supprime certains aliments, les substi­tue à d’autres, en modi­fie la quan­tité jusqu’à arri­ver à un système nutri­tion­nel qui corres­ponde à un méta­bo­lisme adéquat. Ce programme devra ensuite être scru­pu­leu­se­ment respecté. En cas d’al­ler­gies ou d’in­to­lé­rances, l’ali­ment incri­miné sera remplacé par un autre. Ce sera, par exemple, du fromage de chèvre à la place du fromage de vache, un pois­son à la place d’un fruit de mer.

La chro­no­nu­tri­tion : L’horloge alimen­taire du Docteur Alain Delabos (2011N3)

Les auteurs affirment que cette pratique est en accord avec les préco­ni­sa­tions du Programme National Nutrition Santé (PNNSN10) en France.

Il existe de nombreux forums « chrono » permet­tant le partage d’ex­pé­riences et de conseils, dont un groupe dans lequel Alain Delabos inter­vient en personne (suivre ce lienN11). Ses entre­tiens hebdo­ma­daires (WebTVN12) sont diffu­sés en vidéo sur Youtube (suivre les liens sur sa page FacebookN13).

Ne pas faire aveu­glé­ment confiance aux groupes Facebook gérés par des “coaches” qui, au mieux, ne font que rappe­ler le contenu d’ins­truc­tions à suivre à la lettre — même régime pour tous ! Cela, sans exer­cer le moindre esprit critique, mais surtout en igno­rant tota­le­ment les données scien­ti­fiques… J’ai été exclu sans ména­ge­ment d’un tel groupe animé par une cardio­logue qui inter­vient obses­si­ve­ment sur le "danger" du cholestérol !

Il est impor­tant, pour se lancer dans cette expé­rience, de respec­ter les quan­ti­tés préco­ni­sées qui varient en fonc­tion de la taille des indi­vi­dus, en pesant certains aliments. Certes, ces chiffres repré­sentent une moyenne, facile à calcu­ler, que l’on corri­gera par la suite selon ses besoins — l’ac­ti­vité, la saison, le lieu. Mais toute modi­fi­ca­tion doit être réflé­chie et conduire à de nouvelles mesures que l’on s’ef­for­cera de respec­ter après avoir véri­fié leurs effets. On règle par exemple les quan­ti­tés du petit-déjeuner pour que la faim revienne au moment de prendre le repas de mi-journée. C’est aussi une ques­tion de qualité :

Notez que la qualité s’ex­prime par la compo­si­tion et la nature des aliments, lais­sant inter­ve­nir la notion d’as­sem­blage entre protides, lipides et glucides dont l’in­fi­nie variété va permettre d’éta­blir la sensa­tion de goût… ou de dégoût. Ce sont les varia­tions d’ac­ti­vité dans la jour­née qui devraient faire d’ins­tinct varier les assem­blages. C’est là que, malheu­reu­se­ment, dans la société moderne, les obli­ga­tions sociales et profes­sion­nelles s’op­posent à cet instinct et induisent des erreurs nutri­tion­nelles plus ou moins impor­tantes.

Alain Delabos, Mincir sur mesure grâce à la chrono-nutrition, 2012, p. 41

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Même recom­man­da­tion sur la préci­sion à accor­der au pesage person­nel et aux mensu­ra­tions (tour de taille, de hanches et de poitrine) que l’on inscrit une fois par semaine dans un registre pour conser­ver la trace de l’évo­lu­tion. Un obèse est très souvent dans le déni (syndrome « Obelix »)… Or la condi­tion première d’une réforme de ses moyens d’exis­tence est un retour à la réalité. C’est d’au­tant plus aisé quand cette réalité évolue dans un sens favorable.

Il est impor­tant de noter que la chrono-nutrition n’est pas un régime amai­gris­sant. Ce n’est déjà pas un régime priva­tif puis­qu’elle ne réduit pas l’ap­port calo­rique : l’ab­sence de faim entre les repas est un des meilleurs signaux de réus­site, déjà une conquête consi­dé­rable pour ceux qui ont souf­fert d’ac­cès de bouli­mie. Elle ne s’adresse donc pas exclu­si­ve­ment aux personnes en surpoids, bien que la majo­rité des adeptes de chrono-nutrition soient des femmes qui ont essayé sans succès de nombreux régimes amin­cis­sants. Une personne anémique ou en manque de poids peut retrou­ver son équi­libre, avec en prime l’éner­gie néces­saire à un travail effi­cace et un moral excellent, comme nous avons pu le consta­ter chez des danseurs professionnels.

On peut bien entendu ergo­ter sur le côté « priva­tif » dans la mesure où certains types d’ali­ments comme les laitages frais (riches en lactose) et les yaourts sont à éviter, sauf pendant les repas joker. Mais dans ce cas on serait amené à dési­gner comme « priva­tion » l’abs­ti­nence d’al­cool, de tabac et de drogues récréa­tives… Pour une personne qui dispose d’un budget nour­ri­ture décent, l’ac­cès à des produits non trans­for­més, ou arti­sa­naux comme les fromages affi­nés, compense large­ment le renon­ce­ment à ceux qui entre­tiennent l’obésité.

Une raison d’évi­ter tout laitage non affiné est que le lacto­sé­rumN14 (petit-lait) augmente la résis­tance à l’in­su­lineN15 : plus d’in­su­line dimi­nue la glycé­mie et peut provo­quer des frin­gales (Adams RL & KS Broughton, 2016N16). Ce méca­nisme est décrit par Michael Eades dans The Arrow #200.

Contrairement aux régimes amin­cis­sants média­ti­sés (Atkins, Dukan… voir le pano­ramaN17) et au jeûne théra­peu­tique, il n’y a pas un « temps » pour la chrono-nutrition suivi d’un retour à la « normale ». Pratiquée avec succès, elle devient une manière natu­relle de s’ali­men­ter, et cela sans frus­tra­tion car les signaux de faim et de satis­fac­tion rede­viennent lisibles comme ils ont pu l’être pendant la jeune enfance. Cet équi­li­brage est vrai­sem­bla­ble­ment lié à une ressen­si­bi­li­sa­tion à la leptineN18 — voir la page de Jane Plain (2014N19) et mon article Manger et bouger ?. On peut très bien faire de la chrono-nutrition en déjeu­nant chaque jour au restau­rant, sous condi­tion de bien choi­sir la carte ou le menu et d’évi­ter certains établissements !

La chrono-nutrition réserve aussi, dès le départ, une place aux « excès » grâce aux indis­pen­sables repas joker qui envoient à l’or­ga­nisme un signal qu’il n’est pas en mode « survie ». Cette flexi­bi­lité est aussi fonda­men­tale pour la socia­bi­lité et la bonne humeur.

Les bases empiriques

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Des données scien­ti­fiques à l’ap­pui de la chrono-nutrition® sont expo­sées succin­te­ment dans les ouvrages d’Alain Delabos, qui sont avant tout des guides pratiques. Les pages « Quand la science s’ap­plique au quoti­dien », rédi­gées par Prof. Jean-Robert Rapin, ont paru dans la version 2005 de l’ou­vrage Mincir sur mesure grâce à la chro­no­nu­tri­tion (p. 331–349). Elles décrivent l’ar­ticle Bilan lipi­dique : inté­rêt de la chro­no­nu­tri­tion par Rapin JR, Delabos A, Gouyon A & Renouf V publié dans NAFAS, vol.1, n°2, juin 2003N20. Cette étude non rando­mi­sée ni contrô­lée portait sur 176 sujets (prin­ci­pa­le­ment des femmes) d’âge moyen 52.2 ± 12.9 ans et en surpoids (IMC supé­rieur à 25 kg/m2), qui ont prati­qué la chrono-nutrition® pendant une durée de trois mois. La baisse de l’IMC a été en moyenne de 2 kg/m2. Il a aussi été constaté une baisse du choles­té­rol LDL (de 1.84g/l à 1.58g/l) et des trigly­cé­rides (de 1.12g/l à 1.02g/l).

L’absence de groupe de contrôle, et surtout d’un suivi sur un ou deux ans, ne permet pas de prou­ver l’ef­fi­ca­cité de la méthode dans la lutte contre l’obé­sité. Toutefois, les auteurs concluent avec raison :

L’objectif de ce travail était double : d’une part, véri­fier que l’hy­po­thèse gluci­dique était valide et, d’autre part, démon­trer l’in­té­rêt de la chrono-nutrition dans la perte de poids sans entraî­ner de désordre lipi­dique.

Personnellement, après 3 mois de chrono-nutrition avec exercice d'endurance, mon IMC avait baissé de plus de 4 kg/m2, soit le double de la moyenne mesu­rée dans l’étude.

Jean-Robert Rapin (décédé en 2003N21) est le profes­seur de phar­ma­co­lo­gie qui a fourni à Alain Delabos les données scien­ti­fiques sur la chro­no­bio­lo­gieN1. La chro­no­bio­lo­gie est une disci­pline scien­ti­fique qui s’at­tache à la dimen­sion tempo­relle des sciences de la vie, à l’étude des rythmes biolo­giques et de leurs anoma­lies (Daniel Sechter, 1999N22). Une vidéoN23 contient un court exposé de J.-R. Rapin sur les origines de la chro­no­bio­lo­gie de la nutrition.

La thèse de méde­cine de El Mokhtar Damou, La Chrono-nutrition : consé­quences sur la qualité de vie en cas de surpoids ou d’obé­sité (2015N24) résume les avan­tages de cette pratique en compa­rai­son de régimes amin­cis­sants (page 77) :

Avec la chrono-nutrition, l’avantage le plus souvent cité est l’absence de faim, associée à la dispa­ri­tion des grigno­tages. Les personnes interrogées constatent une sensa­tion de meilleur état général et une absence de fatigue, y compris si elles ont des horaires de travail décalés. Certaines ont retrouvé l’énergie pour refaire du sport. Malgré la baisse de consom­ma­tion de végétaux, le tran­sit s’améliore. Et la perte de poids semble être localisée, permet­tant une amélioration de l’image corporelle.

La chro­no­mé­de­cine inté­resse parti­cu­liè­re­ment les phar­ma­co­logues car elle leur permet d’amé­lio­rer les soins médi­ca­men­teux dans le cas de trai­te­ments lourds — voir la thèse d’Édouard Courot (2016N25 pages 41–71). On sait aujourd’­hui que l’ef­fi­ca­cité de certains médi­ca­ments dépend du moment où ils ont été admi­nis­trés, dans le cycle circa­dienN26 du patient, ou plus préci­sé­ment le cycle nycthé­mé­ral (N27 nuit/jour) qui dépend de ses heures de sommeil (voir articleN28).

Les connais­sances en chro­no­bio­lo­gie ne sont encore que parcel­laires mais une meilleure compré­hen­sion des rythmes des sécré­tions hormo­nales circa­diens permet d’ores et déjà de donner des conseils précis. Les hormones qui régulent le méta­bo­lisme varient en fonc­tion du nycthé­mère (période de 24h compor­tant un jour et une nuit) et ont néces­sai­re­ment un impact sur le deve­nir des diffé­rents éléments nutri­tion­nels absor­bés. Des méca­nismes subtils entrent en jeu et certaines données scien­ti­fi­que­ment établies doivent être utili­sées afin d’assurer un meilleur équi­libre nutri­tion­nel qui ne peut que s’accompagner d’une amélio­ra­tion de la forme, d’une bonne maîtrise du poids et parti­ci­per à la préven­tion de nombreuses patho­lo­gies.

Laure Loin, Diététique et nutri­tion à l’of­fi­cine : aide au contrôle du poids
chez le patient patho­lo­gique ou non
.
Thèse de docto­rat, Université de Rouen, 2014N29, p.55

La chro­no­bio­lo­gie de la nutri­tion est expo­sée par Mestre et Rapin dans leur ouvrage Time Nutrition (2012) qui donne 26 réfé­rences biblio­gra­phiques sur des sujets appa­ren­tés. Le mot-clé « chono­nu­tri­tion » a fait son appa­ri­tion plus récem­ment dans la litté­ra­ture scien­ti­fique, de sorte que les articles que nous avons réper­to­riés (voir Chrononutrition - publications) sont tous posté­rieurs à la publi­ca­tion de cet ouvrage.

La chrono-nutrition® accorde toute leur impor­tance aux cycles synchro­ni­sés sur l’heure du réveil, et sur notre capa­cité, par le choix des aliments, d’ac­ti­ver les synchro­ni­seurs et permettre la synthèse des hormones et des neuro­mé­dia­teurs qui main­tien­dront l’har­mo­nie des divers rythmes orga­niques (Mestre & Rapin, p. 37). Les cycles de produc­tion d’enzymesN30 et d’hormonesN31 permettent donc de déter­mi­ner les moments privi­lé­giés pour l’as­si­mi­la­tion de tel ou tel type d’ali­ment ; un plan­ning nutri­tion­nel peut être déduit de cette connaissance.

Les pics régu­liers du corti­solN32, aux heures des quatre repas, font monter les taux de glycé­mie et de l’insu­lineN33 qui inter­vient dans l’en­trée cellu­laire du glucose et la synthèse des lipides. La nuit, une baisse du taux d’in­su­line permet la libé­ra­tion (lipo­lyseN34) des acides gras utili­sés dans la synthèse des membranes cellu­laires. Chaque pic de glycé­mie est suivi d’une hypo­gly­cé­mieN35 asso­ciée à une sensa­tion de faim. Si l’on s’ali­mente en dehors des pics, ou si l’on consomme des aliments à indice glycé­miqueN36 élevé, on provoque ou on augmente l’hyper­gly­cé­mieN37 entraî­nant une sécré­tion d’in­su­line et le stockage de glucose dans le foie et les muscles sque­let­tauxN38 sous forme de glyco­gèneN39 jusqu’à satu­ra­tion, puis dans les cellules grais­seuses sous forme de trigly­cé­ridesN40. Voir à ce sujet les articles Pourquoi manger trop de sucre fait-il gros­sir ?N41, Glucides et lipides, des sources d’éner­gie pour l’or­ga­nismeN42 et ma page Glucides ou lipides ?

Édouard Courot écrit à propos de l’in­su­line (2016N25 pages 78 et 80) :

D’un point de vue chro­no­bio­lo­gique, elle joue le rôle de synchro­ni­seur périphérique prin­ci­pal en indui­sant l’expression de gènes horloges, notam­ment au niveau hépatique […]. Les rythmes alimen­taires à heures régulières ont donc un rôle crucial dans ces régulations.

En effet, on peut suppo­ser que la sécrétion cyclique de certaines enzymes diges­tives gastro- intes­ti­nales, ainsi que de nombreux métabolites ayant un rôle dans le métabolisme, se font à des heures précises en prévision d’un apport alimen­taire afin d’optimiser la diges­tion et l’utilisation des nutri­ments.

Par conséquent, des repas pris à heures régulières renforcent les oscil­la­tions de ces rythmes et sont un facteur de protec­tion vis‑à-vis de troubles métaboliques. […]

De façon générale, sauter un repas perturbe la synchro­ni­sa­tion des horloges périphériques. Pour faire l’analogie avec l’horloge centrale, c’est un peu comme si un indi­vidu se main­te­nait exposé à la lumière pendant 24h en sautant une nuit : l’horloge centrale en serait perturbée.

Un inté­rêt de l’ex­posé de Mestre et Rapin était de signa­ler que les rythmes biolo­giques peuvent être pertur­bés chez un indi­vidu en raison d’un mode de vie trop « déphasé », de mauvaises habi­tudes nutri­tion­nelles, le stress, ou des patho­lo­gies. Autrement dit, les diagrammes de varia­tion circa­dienne des taux de corti­sol, de séro­to­nine etc. dans le sang, sont les images de données statis­tiques qui ne décrivent pas le fonc­tion­ne­ment d’un indi­vidu en particulier.

Denis Riché rela­ti­vise ces résul­tats en s’ap­puyant sur des travaux anciens en chro­no­bio­lo­gie compa­rant les fluc­tua­tions « endo­gènes » des proces­sus hormo­naux aux effets de facteurs « exogènes » résul­tant de l’ac­ti­vité physique et de l’en­vi­ron­ne­ment. Il écritN43 :

A titre de compa­rai­son, l’impact de ces derniers a été évalué lors de situa­tions telles que la pratique d’une acti­vité physique. Dans ces travaux, il convient de disso­cier l’effet chro­no­bio­lo­gique propre, celui lié au manque de sommeil. Ces facteurs de pondé­ra­tion étant pris en compte, il appa­raît alors que l’impact propre des rythmes endo­gènes sur les proces­sus hormo­naux et nerveux est nul, et complè­te­ment noyé sous les effets des secré­tions hormo­nales et de l’activité nerveuse induits par le stress et par l’activité […]. Par exemple, sous l’effet d’un exer­cice de péda­lage des bras effec­tué à une inten­sité crois­sante, le taux plas­ma­tique de nora­dré­na­line et l’activité locale du système nerveux sympatho-adrénergique (ΔMNSA), augmentent respec­ti­ve­ment de 60 et 240 % au niveau du palier d’effort le plus soutenu […]. Cette valeur est à rappro­cher des ondu­la­tions liées aux rythmes « endo­gènes » qui n’excèdent pas 10 à 20 %. Pour beau­coup d’autres para­mètres (sécré­tions hormo­nales, acti­vi­tés enzy­ma­tiques), il en va de même. Ainsi, compa­ra­ti­ve­ment au rythme endo­gène de la libé­ra­tion d’insuline, les pics enre­gis­trés après une prise (mati­nale) de glucides, lors des premiers travaux sur l’index glycé­mique, sont d’un tout autre ordre de gran­deur [Jenkins DJ et al., 1981N44].

Or, ces études n’étaient pas réali­sées au moment où la libé­ra­tion « spon­ta­née » endo­gène d’insuline était suppo­sée être maxi­male. Autrement dit, la quan­tité de glucides consom­més et la nature des repas ingé­rés comptent beau­coup plus, rela­ti­ve­ment à l’insulino-secrétion, que le moment de la jour­née où cette prise se déroule.

Autre élément à consi­dé­rer, un taux hormo­nal n’est pas équi­valent à une action endo­crine. Corréler les deux est large­ment spécu­la­tif. Notons par exemple que la réponse hormo­nale intègre égale­ment des effets liés aux récep­teurs et aux méca­nismes post-récepteurs, diffi­ciles à appré­cier. […]

Ainsi, l’utilisation des glucides appor­tés par l’alimentation, chez un sujet entraîné, n’a rien à voir avec celle qu’on constate chez un sujet séden­taire [Holloszy JO & Booth FW, 1976N45]. En raison des adap­ta­tions surve­nant en réponse à l’entraînement, le muscle est placé en tête de la hiérarchie.

Par ailleurs, l’op­ti­mi­sa­tion du régime alimen­taire dépend des besoins prio­ri­taires à satis­faire : Si on veut inté­grer les oméga 3 à nos membranes pour amélio­rer la qualité de nos tissus et agir sur la préven­tion cardio-vasculaire, il est impor­tant de les prendre le soir. Mais si on veut béné­fi­cier de l’effet anti-inflammatoire des oméga 3 à travers les pros­ta­glan­dines, il est néces­saire de les prendre le matin (J.-R. Rapin, voir N21).

Dans La Chrono-diététique (2013, p. 21), Jean-Marie Bourre écrit :

[…] le cerveau peut créer de nouveaux rythmes, au risque d’en pertur­ber ou d’en anni­hi­ler d’autres ; ce qui peut s’avé­rer dange­reux. En voulez-vous un exemple avec le grignotage ?

Édouard Courot ajoute (2016N25 page 73) :

Un paramètre également impor­tant dans la sensa­tion de faim est l’heure. En effet, les rythmes de libération de ghréline [N46] semblent être calés sur nos habi­tudes de rythmes alimen­taires même si la glycémie est encore élevée […]. La prise alimen­taire agirait donc en tant que synchro­ni­seur du compor­te­ment alimen­taire. En effet, si l’on est habi­tué à manger à telle ou telle heure, les hormones orexigènes [N47] attein­dront un pic à ces horaires.

Pour remé­dier à cela et « remettre les pendules à l’heure », Mestre et Rapin proposent des complé­ments alimen­taires : tyro­sineN48, magné­siumN49, tryp­to­phaneN50, probio­tiquesN51, oméga 3N52 etc. à consom­mer à certains moments de la jour­née (voir le site Time NutritionN53).

Si l’on ne fait pas appel à leur coaching, on peut espé­rer que les horloges sont déjà bien calées, ou encore qu’elles se resyn­chro­ni­se­ront après l’adop­tion de nouvelles habi­tudes nutri­tion­nelles, comme l’ont observé les chro­no­bio­lo­gistes, notam­ment Tahara & Shibata 2013N54, Yoshizaki et al., 2013N55, Oike, Oishi & Kobori, 2014N56, Tahara & Shibata, 2014N57, Asher & Sassone-Corsi, 2015N58. C’est en tout cas ce qui s’est passé pour moi — voir mon article Chrononutrition-expérience.

Ce réajus­te­ment est présenté concrè­te­ment par Alain Delabos (Mincir sur mesure, 2012, p. 39) :

Au retour de l’équi­libre méta­bo­lique du corps (qui n’a rien à voir avec le poids et le volume), permet­tant d’une part le stockage dans les bonnes quan­ti­tés des éléments consti­tu­tion­nels de l’or­ga­nisme et d’autre part l’éli­mi­na­tion du super­flu, on verra réap­pa­raître l’ap­pé­tit pour le goûter en fin d’après-midi et le dîner dans la soirée. Ce qui sera d’ailleurs le signe que votre corps a effec­tué son retour à cet équilibre.

En cas d’in­suc­cès appa­rent de la chrono-nutrition, plutôt que faire appel à des complé­ments alimen­taires ou médi­ca­men­teux, je regar­de­rais en direc­tion du demi-jeûne fractionné et de l’entraînement fractionné de haute intensité.

Chronobiologie, nouvelles avancées

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Source : N59

Les effets des horloges biolo­giques humaines sont décrits de manière très compré­hen­sible dans l’in­tro­duc­tion de l’ou­vrage La chrono-diététique de Jean-Marie Bourre (2013N60).

On en trou­vait une première formu­la­tion en fran­çais dans un livre d’Alain Reinberg : Les rythmes biolo­giques, mode d’emploi (1994N61) suivi de Chronobiologie médi­cale, chro­no­thé­ra­peu­tique (2003N62).

Les fluc­tua­tions tempo­relles de para­mètres physio­lo­giques sont présen­tées sur une page de l’Université McGillN59 figure ci-dessus. Des cher­cheurs de l’Université du Texas (Etats-Unis), de l’Université de Ferrara (Italie), de l’Université de Vigo (Espagne) et de l’Université du Minnesota (Etats-Unis) ont rassem­blé dans deux revues détaillées les rythmes circa­diens des orga­nismes humains et de diffé­rentes mala­dies (voir articleN63) desti­nées à la mise en œuvre de stra­té­gies chrono-préventives et chrono-thérapeutiques.

Des cher­cheurs de McGill University (Canada) ont déjà iden­ti­fié une horloge ultra­dienneN64 dans le cerveau des mammi­fères, qui gère des cycles d’ac­ti­vité de 4 heures et peut déclen­cher des réflexes de demande de nour­ri­ture (Blum ID et al., 2014N65, voir page en fran­çais : N66). Chez un adulte en bonne santé, cette horloge se synchro­nise sur l’horloge circa­dienneN26, de sorte que les périodes d’ac­ti­vité et de sommeil sont accor­dées. Mais les horloges ne sont pas encore syncho­ni­sées chez le nouveau-né qui demande le sein envi­ron toutes les quatre heures sans « faire ses nuits ». D’autre part, elle peut se déré­gler et produire des cycles bien plus longs (Steele AD & Mistlberger RE, 2015N67), par exemple plusieurs jours corres­pon­dant aux phases d’hy­per­ac­ti­vité et de dépres­sion d’un patient bipo­laireN68.

Désynchronisation des horloges
Conséquences métaboliques de la désynchronisation de certaines horloges périphériques.
Source : Édouard Courot (2016N25 page 77)

Les cher­cheurs en chro­no­bio­lo­gie sont parve­nus à isoler trois protéines fonc­tion­nant comme une horloge circa­dienneN26 dans des cyano­bac­té­riesN69 et décrire le méca­nisme en œuvre dans leurs oscil­la­tions (voir Cohen SE & Golden SS, 2015N70). L’intégration de cette fonc­tion dans un être vivant comme le calmarN71, qui utilise la biolu­mi­nes­cenceN72 pour se diri­ger dans l’obs­cu­rité, fait appa­raître des méca­nismes bien plus complexes d’in­te­rac­tions entre micro-organismes synchro­ni­sés ou non — cf. l’émis­sion Sur les épaules de Darwin par Jean Claude Ameisen le 17/10/2015N73.

Chronobiologie de la nutrition

Depuis 2013, le mot-clé « chro­no­nu­tri­tion » a fait son appa­ri­tion dans les publi­ca­tions de chro­no­bio­lo­gistes qui travaillent en expé­ri­men­ta­tion animale et humaine sur la base des varia­tions tempo­relles de para­mètres physio­lo­giques régies par des rythmes circa­diensN26 (voir Chrononutrition - publications). Ces horloges biolo­giques se synchro­nisent sur des cycles de lumi­no­sité ou de veille/sommeil spéci­fiques de chaque indi­vidu, avec une influence obser­vable des rythmes nutri­tion­nels.

Queiroz JdN et al. (2020N74 page 2) expliquent :

Le système circa­dien des mammi­fères est composé d’une horloge centrale/maîtresse, située dans le noyau supra­chias­ma­tique (SCN) [N75] de l’hypo­tha­la­mus [N76], qui contrôle plusieurs horloges secon­daires répar­ties dans le cerveau (extra-SCN) et d’autres organes, notam­ment le foie, les muscles sque­let­tiques, le tissu adipeux et le pancréas […]. En bref, les horloges circa­diennes (centrale/maîtresse et périphérique/secondaire) sont des méca­nismes intra­cel­lu­laires qui génèrent des oscil­la­tions auto-entretenues d’en­vi­ron 24 heures par un ensemble de protéines, appe­lées protéines d’hor­loge, qui fonc­tionnent par le biais de boucles de rétro­ac­tion auto­ré­gu­la­trices (Challet 2019N77 ; Rijo-Ferreira et Takahashi 2019N78).

Dans une revue expli­ca­tive détaillée de la litté­ra­ture scien­ti­fique, qui cite 208 réfé­rences — prin­ci­pa­le­ment en expé­ri­men­ta­tion animale — Étienne Challet précise (2019N77 pages 393–399) :

(p. 393) […] la prise alimen­taire [des animaux] est orga­ni­sée tempo­rel­le­ment en repas distincts, limi­tés à la phase active, qui est une période quoti­dienne de recons­ti­tu­tion des réserves éner­gé­tiques, tandis que la phase de sommeil corres­pond à une période quoti­dienne de jeûne et de mobi­li­sa­tion des réserves éner­gé­tiques. Ces varia­tions quoti­diennes du méta­bo­lisme éner­gé­tique et du compor­te­ment alimen­taire sont égale­ment coor­don­nées par les horloges circa­diennes. […]

Les diffé­rentes horloges circa­diennes de l’or­ga­nisme [des mammi­fères] sont synchro­ni­sées (ou remises à zéro) par des signaux envi­ron­ne­men­taux cycliques. L’horloge maîtresse du SCN [N75] est prin­ci­pa­le­ment synchro­ni­sée par la lumière ambiante détec­tée par la rétine […]. Un système de synchro­ni­sa­tion distinct, appelé dans cette revue l’hor­loge alimen­taire, est remis à zéro par la prise de nour­ri­ture. L’horloge alimen­taire parti­cipe au cycle d’ali­men­ta­tion et de jeûne et aide les animaux à s’éveiller et à cher­cher de la nour­ri­ture au moment où celle-ci est dispo­nible […]. Un moment d’ali­men­ta­tion mal choisi (c’est-à-dire lorsque l’ali­men­ta­tion a lieu pendant la période de repos habi­tuelle) peut réini­tia­li­ser de nombreuses horloges circa­diennes dans les organes péri­phé­riques et le cerveau, mais pas dans le SCN […]. En outre, une alimen­ta­tion mal program­mée peut avoir des effets délé­tères sur la santé méta­bo­lique […]. Par consé­quent, l’étude de la régu­la­tion circa­dienne de la prise alimen­taire est impor­tante pour comprendre non seule­ment les méca­nismes fonda­men­taux de l’ho­méo­sta­sie éner­gé­tique mais aussi l’étio­lo­gie des troubles méta­bo­liques. […]

(p. 399) En résumé, le contrôle quoti­dien du cycle alimentation-jeûne repose sur des inter­ac­tions entre l’hor­loge maîtresse du SCN, qui est prin­ci­pa­le­ment remise à zéro par la lumière ambiante, et des horloges secon­daires entraî­nées par la nour­ri­ture, dont la phase est contrô­lée par le SCN et qui sont déca­lées par l’heure des repas. Plusieurs horloges entraî­nées par la nour­ri­ture dans le cerveau défi­nissent une horloge alimen­taire, c’est-à-dire un méca­nisme d’hor­loge entraî­nant des compor­te­ments ryth­miques qui anti­cipent le moment prévu de la dispo­ni­bi­lité de la nourriture.

horloge-animee
Animated picture (2008) Willy Leenders
Source : N79

Un facteur impor­tant, le micro­biote intes­ti­nal [N80), est à prendre en consi­dé­ra­tion pour la compré­hen­sion des méca­nismes de régu­la­tion de la prise alimen­taire (Challet E, 2019N77 page 401) :

De plus en plus de travaux suggèrent que, selon l’état d’ali­men­ta­tion et la compo­si­tion du régime alimen­taire, le micro­biote intes­ti­nal influence le contrôle de l’homéo­sta­sie [N81] éner­gé­tique de l’hôte et module le déve­lop­pe­ment de l’obé­sité et du diabète de type 2 [N82]. Les produits micro­biens, tels que les acides gras à chaîne courte et le succi­nate [N83], modi­fient la néoglu­co­ge­nèse [N84] intes­ti­nale […]. En outre, le micro­biote affecte les signaux circu­lants, les neurones enté­riques et les affé­rences vagales qui trans­mettent les signaux de faim et de satiété au cerveau […]. Le micro­biote intes­ti­nal contri­bue égale­ment aux inter­ac­tions ryth­miques entre l’in­tes­tin et le cerveau, parti­ci­pant ainsi à la régu­la­tion circa­dienne de la prise alimentaire.

Une avan­cée inté­res­sante de la chro­no­bio­lo­gie (au sens large) pour­rait se situer dans le domaine de la santé primale : la recherche sur les effets à long terme de ce qui se passe au début de la vie, promue depuis les années 1980 par Dr Michel Odent (2020N85, p. 165). Il écri­vait dans Primal health research in the age of epige­ne­tic clocks (Odent S & M, 2019N86) :

Aujourd’hui, il semble que le type d’hor­loge biolo­gique le plus promet­teur soit lié au déve­lop­pe­ment rapide de l’épi­gé­né­tique, cette disci­pline émer­gente basée sur le concept d’ex­pres­sion génique. Dès 2011, l’équipe de Steve Horvath, à Los Angeles, a fourni la première démons­tra­tion solide que la méthy­la­tion de l’ADN dans la salive pouvait géné­rer des prédic­teurs d’âge précis. […] Rappelons que la méthy­la­tion de l’ADN est un outil de signa­li­sa­tion épigé­né­tique couram­ment utilisé qui permet de fixer les gènes en posi­tion « off ». Il joue sans aucun doute un rôle clé dans le proces­sus de vieillis­se­ment, le main­tien de la santé, la carci­no­ge­nèse, la genèse du syndrome méta­bo­lique et la récu­pé­ra­tion de l’état patho­lo­gique. Certaines périodes de déve­lop­pe­ment humain semblent être critiques en termes d’ac­ti­vité épigénétique.

Où situer la chrono-nutrition ?

On peut clas­ser la chrono-nutrition® dans la caté­go­rie des modes d’ali­men­ta­tion pauvres en glucides et riches en graisses (Low Carb High Fat) nouvel­le­ment préco­ni­sés en rempla­ce­ment de régimes restric­tifs qui visaient l’éli­mi­na­tion des graisses, et plus parti­cu­liè­re­ment les graisses satu­réesN87.

Toutefois, les glucides ne sont pas tota­le­ment évités puis­qu’on en consomme le matin, le midi et au goûter. On n’es­saie donc pas de déclen­cher un méca­nisme de cétoseN88 comme dans une diète céto­gèneN89 — voir mon article Diète cétogène - expérience.

Pour une discus­sion détaillée de l’équi­libre entre glucides et lipides, voir mon article Glucides ou lipides.

Question de rendement

Outre la disso­cia­tion des aliments en fonc­tion des heures de consom­ma­tion, la chrono-nutrition ne devrait pas entraî­ner une surcon­som­ma­tion de graisses ni de protéines — sous réserve d’une bonne évalua­tion de ces dernières, voir mon article Protéines.

L’équilibre est possible sans priva­tion parce que les aliments sont absor­bés avec un « rende­ment » maxi­mal. Par exemple, selon les experts, les graisses satu­rées seraient assi­mi­lées au mieux dans l’heure qui suit le réveil grâce à la présence d’en­zymes et hormones favo­rables à ce proces­sus. Anthony Berthou écrit à ce sujet (voir articleN90) :

Rappelons d’ailleurs que plus de 70 % du choles­té­rolN91 sanguin est fabri­qué par le foie à partir de glucose. Par ailleurs, l’enzyme-clé du méta­bo­lisme du choles­té­rol (HMGCoA-réductase) possède une acti­vité maxi­male en début de mati­née : la consom­ma­tion de choles­té­rol alimen­taire au cours de cette période permet­trait une régu­la­tion de son acti­vité sur l’ensemble du nycthé­mère (rythme biolo­gique de 24h). Ainsi consom­mer des œufs au petit déjeu­ner n’augmenterait pas le taux de choles­té­rol sanguin total, à la diffé­rence d’une consom­ma­tion le soir.

Cette propo­si­tion n’est malheu­reu­se­ment vali­dée par aucune étude clinique sur la consom­ma­tion d’œufs en lien avec la choles­té­ro­lé­mie, voir par exemple Flynn Ma et al. (1979N92). Denis Riché souligneN43 :

[…] toutes les études menées sur la ques­tion montrent une corré­la­tion inverse entre l’apport alimen­taire en choles­té­rol et son taux plas­ma­tique. Mais cette rela­tion inverse ne dépend pas du moment de la jour­née où cet apport est réalisé […]. Donc manger des œufs peut faire chuter le taux de choles­té­rol plas­ma­tique, mais aucune contrainte horaire n’est déter­mi­nante dans cet effet.

Là aussi, le délai sépa­rant la dégus­ta­tion de l’œuf et l’effet inhi­bi­teur du choles­té­rol qu’il contient sur la HMG-CoA réduc­tase est impré­vi­sible a priori. Souvenons-nous que le choles­té­rol, une fois assi­milé, doit inté­grer les lipo­pro­téines, circu­ler, être inter­na­lisé au niveau des récep­teurs, et ensuite seule­ment gagner la cellule où il va régu­ler l’activité de l’enzyme. Il lui faut sûre­ment plus d’une heure pour accom­plir ce trajet ! L’idée de donner spéci­fi­que­ment les œufs le matin pour abais­ser la choles­té­ro­lé­mie totale n’est donc pas pertinente.

On trouve dans la litté­ra­ture scien­ti­fique d’autres argu­ments en faveur d’un petit-déjeuner riche en protéines et pauvre en glucides (voir cette page de Bill Lagakos : N93). Chez la plupart des adultes, un pic de corti­solN32 dans les 20 à 30 minutes après le réveil (corti­sol awake­ning responseN94) se super­pose à celui qui s’est produit avant le réveil. Cet afflux momen­tané de corti­sol renforce la produc­tion de dopa­mineN95 asso­ciée à l’ex­po­si­tion à la lumière. Un excès de dopa­mine est source d’im­pul­si­vité. Le petit-déjeuner riche en protéines apporte du tryp­to­phaneN50 et un peu d’insu­lineN33, favo­ri­sant la synthèse de séro­to­nineN96 qui permet de limi­ter cette impul­si­vité. La montée mati­nale de dopa­mine est toute­fois impor­tante pour la régu­la­tion de la glycé­mieN97 (Pijl H et al., 2000N98). D’autre part, la consom­ma­tion de protéines dimi­nue le taux de ghré­lineN46, une hormone diges­tive qui stimule l’ap­pé­tit, mieux que celle de glucides et lipides (Iwakura H et al., 2015N99).

Tous ces méca­nismes sont pertur­bés par une expo­si­tion tardive à la lumière arti­fi­cielle et par un dîner trop riche — notam­ment en glucides. Une telle pertur­ba­tion peut se traduire par l’en­vie de se passer de petit-déjeuner, fréquente chez les personnes ayant tendance à l’obé­sité — voir mon article Jeûne et restriction calorique.

Ici encore, d’autres facteurs devraient être pris en compte, comme les durées des nombreuses étapes à fran­chir entre l’ab­sorp­tion de certains aliments et leurs effets sur le méta­bo­lisme. Denis Riché écrit à ce sujetN43 :

Pour obte­nir un effet anti-inflammatoire, certains auteurs proposent de consom­mer des acides gras précur­seurs des eico­sa­noïdes [N100] anti-inflammatoires en début de jour­née […]. Cette propo­si­tion ne tient pas compte des réali­tés physio­lo­giques. En effet, entre l’émulsion des acides gras, l’action des lipases [N101], l’assimilation, l’incorporation aux lipo­pro­téines, l’intégration aux membranes tissu­laires, et une éven­tuelle remise en circu­la­tion, il est impos­sible de prédire un délai moyen sépa­rant l’ingestion de ces acides gras [N102] et leur posi­tion­ne­ment dans la membrane, à proxi­mité de l’enzyme. De ce fait, la modi­fi­ca­tion du ratio « n‑3/n‑6 » au sein des membranes ne s’observe qu’à l’échelle de plusieurs semaines [Ryan MJ & BG Zimmerman, 1974N103]. Par consé­quent, il paraît assez peu cohé­rent de propo­ser des acides gras poly­in­sa­tu­rés [N104] le matin plutôt qu’à un autre moment de la jour­née pour favo­ri­ser la prédo­mi­nance de la synthèse des eico­sa­noïdes anti-inflammatoires […].

Un autre facteur d’équi­libre, selon la chro­no­nu­tri­tion, est lié à la consom­ma­tion de protéines répar­tie sur trois repas. Plusieurs études, dont celle d’Alencar MK et al. (2015N105), indiquent qu’en répar­tis­sant la prise de nour­ri­ture sur plus de deux repas par jour, on obtient le même amin­cis­se­ment sans dimi­nuer la masse non-graisseuse — muscu­laire (voir discus­sionN106).

Quelles preuves au final ?

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Il ne faut pas trop se lais­ser impres­sion­ner par un discours scien­ti­fique quand ceux qui le portent entraînent leurs audi­teurs vers des extra­po­la­tions hasar­deuses. Par exemple, pour justi­fier la consom­ma­tion des graisses satu­rées au petit-déjeuner, certains auteurs affirment que les grands carni­vores chassent au petit matin. Or c’est vrai des lions, mais pas des léopards qui chassent toute la nuit, ni des jaguars qui chassent aussi bien au crépus­cule qu’à l’aube

Les articles scien­ti­fiques trai­tant de sujets en rapport avec la chro­no­bio­lo­gie de la nutri­tion sont listés sur ma page Chrononutrition - publications. L’équipe de Almoosawi S et al. (2016N107) a commenté un inven­taire de publi­ca­tions sur ce sujet. Les travaux sont de plus en plus concor­dants sur la néces­sité de respec­ter les rythmes biologiques.

Par exemple (Potter GD et al., 2016N108) :

L’alignement des cycles d’alimentation/de jeûne sur les chan­ge­ments méta­bo­liques régu­lés par des horloges opti­mise le méta­bo­lisme, et les études sur d’autres animaux suggèrent que s’ali­men­ter à des moments inap­pro­priés perturbe l’or­ga­ni­sa­tion du système circa­dien, contri­buant ainsi à des consé­quences méta­bo­liques indé­si­rables et au déve­lop­pe­ment de mala­dies chroniques.

À partir d’ex­pé­ri­men­ta­tion animale, Johnston et al. (2016N109) signalent que la pertur­ba­tion de l’hor­loge asso­ciée au tissu d’un seul organe péri­phé­rique peut entraî­ner de l’obé­sité ou la rupture de l’homéo­sta­sie N81 du glucose dans tout l’or­ga­nisme.

Tahara Y et al. (2016N110) proposent une synthèse d’ar­ticles mettant en évidence la régu­la­tion de l’ex­pres­sion de gènes hépa­tiques par une horloge circa­dienne, et les dérè­gle­ments que peut entraî­ner une nutri­tion qui ne respec­te­rait pas ces cycles.

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La perti­nence de la chro­no­nu­tri­tion est par ailleurs confir­mée par des données expé­ri­men­tales sur la nutri­tion restreinte dans le temps (TRF, Time-Restricted Feeding) publiées par le Salk Institute en Californie, voir notam­ment Gill S & Panda S (2015N111). Une présen­ta­tion de ces travaux figure sur mon article Jeûne et restriction calorique.

Des para­doxes peuvent surgir en expé­ri­men­ta­tion animale — qui n’ont pas auto­ma­ti­que­ment leur équi­valent chez les humains — comme le fait que des souris géné­ti­que­ment modi­fiées pour produire moins d’insu­lineN33 auraient tendance à stocker du gras lors­qu’elles sont soumises à de la restric­tion calo­rique (Dionne DA et al., 2016N112). Bill Lagakos (voir pageN113) suggère que le lien entre insu­line et adipo­sité pour­rait faire inter­ve­nir un troi­sième facteur régu­la­teur : un peptide inhi­bi­teur gastriqueN114 (Gastric inhi­bi­tory poly­pep­tide, GIPN115).

Pour conclure…

En France, la pratique de la chrono-nutrition® s’ap­puie sur une très esti­mable expé­rience clinique (Delabos et collègues) ainsi que le partage d’in­for­ma­tions sur des forums. Si l’on peut émettre l’ob­jec­tion que les échanges sur Internet ont tendance à privi­lé­gier les évalua­tions posi­tives, l’ex­pé­rience indi­vi­duelle est acces­sible à toute personne qui ne souffre pas d’al­ler­gie ni de patho­lo­gie grave. N’imposant pas de restric­tions, la chrono-nutrition ne comporte pas de risque de carences nutri­tion­nelles. Des ouvrages s’adres­sant aux diabé­tiquesN116 et à ceux qui souffrent d’hyper­cho­les­té­ro­lé­mie géné­tiqueN117 ont par ailleurs été publiés par Alain Delabos.

L’expérimentation fera proba­ble­ment appa­raître d’im­por­tantes varia­tions inter­in­di­vi­duelles, ou encore des modi­fi­ca­tions dans le temps (l’his­toire du sujet, les saisons…) et dans l’es­pace (son lieu de rési­dence et le climat local) mettant plusieurs cycles en concur­rence, avec pour résul­tat des besoins nutri­tion­nels qui ne coin­ci­dent pas néces­sai­re­ment avec les pres­crip­tions déduites d’une analyse statis­tique rudi­men­taire. L’étude Personalized Nutrition by Prediction of Glycemic Responses (Zeevi D. et al., 2015N118) a montré par exemple que l’élé­va­tion du taux de glycé­mie suite à la consom­ma­tion d’un même aliment variait consi­dé­ra­ble­ment d’un indi­vidu à un autre, avec des effets parfois inver­sés, cette réponse étant liée de manière prédic­tive à la compo­si­tion de son micro­biote intes­ti­nal. — voir discus­sion dans mon article Nutrition : qui écouter ?

On peut donc s’at­tendre à ce que la descrip­tion des horloges biolo­giques humaines atteigne un niveau supé­rieur de complexité qui permet­tront d’af­fi­ner les hypo­thèses des pion­niers de la chro­no­nu­tri­tion… Par exemple, l’ac­tion régu­la­trice du micro­biote intes­ti­nal sur les cellules hépa­tiques (qui fonc­tionnent comme des oscil­la­teurs circa­diens) est en cours d’in­ves­ti­ga­tion (Leone V et al., 2015N119).

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Régulation du microbiote intestinal : influence des oscillateurs circadiens
Source : N119

Si les prin­cipes de la chro­no­nu­tri­tion (et bien­tôt du « chrono-exercice ») appa­raissent comme des hypo­thèses aussi révo­lu­tion­naires que promet­teuses pour l’amé­lio­ra­tion des pratiques de santé, leur mise en œuvre à l’échelle mondiale débou­chera vrai­sem­bla­ble­ment sur une pratique clinique diver­si­fiée, rendant compte de la complexité et de la plas­ti­cité des proces­sus temporels.

Suite : Chrononutrition - mon expérience

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  • N5 · seoe · Site offi­ciel de la chrono-nutrition
  • N6 · 4oes · Le site du coaching nutri­tion­nel du Docteur Delabos
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Article créé le 21/08/2015 - modifié le 3/11/2024 à 08h25

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