Souvent rejetée comme purement pseudoscientifique ou inexistante, la maladie de LymeN1 chronique n’est pas forcément rien.
Cet article de Brian Dunning a été publié sur le site SKEPTOID le 10 mars 2020N2. Il ne couvre pas le sujet in extenso mais fait preuve d’une démarche critique qui me paraît mériter d’être exposée. Pour plus d’informations sur la maladie de Lyme, consulter les versions française et anglaise de la page WikipediaN1.
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⚪️ La controverse semble être à peu près partout ces jours-ci, même dans quelque chose d’aussi inoffensif qu’une infection facilement traitable que vous pouvez attraper d’une piqûre de tique. Dans ce cas, nous avons des allégations provenant de l’extérieur de la communauté médicale d’une forme nouvelle et non reconnue de la maladie de Lyme, distincte de la version familière, enveloppée d’allégations conspiratrices selon lesquelles son existence serait niée et censurée par un courant dogmatique de scientifiques et médecins. Aujourd’hui, nous allons attirer l’attention des sceptiques sur la maladie de Lyme chronique, dont vous avez peut-être entendu parler. Vous avez peut-être entendu que ce n’est pas une maladie que tout le monde reconnaît. Nous allons découvrir qui le fait, qui ne le fait pas et pourquoi.
L’approche sceptique typique de la maladie de Lyme est qu’il en existe deux formes : la véritable maladie de Lyme causée par une infection bactérienne d’une piqûre de tique, facilement traitée et guérie avec un simple traitement antibiotique ; et la maladie de Lyme dite « chronique », qui est inexistante, pseudoscientifique et diagnostiquée uniquement dans le milieu de la médecine alternative. Il s’avère que cette caractérisation est une fausse dichotomie. Ces deux cas sont réels, mais ils occupent les extrémités opposées du spectre. Entre eux, il y a beaucoup d’obscurité, et même quelques questions restées sans réponse en ce qui concerne la science sous-jacente. Pour commencer, jetons les bases de la maladie de Lyme.
La maladie de Lyme tire son nom de Lyme, dans le Connecticut, où un certain nombre d’enfants dans les années 1960 et 1970 ont développé des symptômes inexplicables, notamment des douleurs articulaires de type arthrite, une fatigue intense, des maux de tête, diverses déficiences cognitives, des genoux enflés et généralement un érythème rouge caractéristique avec démangeaison de la peau. Puis, en 1982, un chercheur nommé Willy Burgdorfer a découvert qu’il s’agissait d’une infection par une bactérie spirochète [N3] transmise par une piqûre de tique. La maladie s’appelait Lyme et la bactérie s’appelait Borrelia burgdorferi [N4]. Depuis lors, nous avons découvert au moins une autre espèce de Borrelia qui provoque également la maladie de Lyme.
En tant qu’infection bactérienne, la maladie de Lyme est presque toujours assez simple à traiter avec une cure d’antibiotiques oraux tels que la doxycycline, l’amoxicilline ou quelques autres. Cela tue efficacement toutes les bactéries et les symptômes disparaissent après quelques semaines de traitement. Et, idéalement, c’est tout ; vous êtes guéri·e et il n’y a pas de symptômes durables — tout comme la plupart des autres infections bactériennes.
Cependant — et c’est là que commence l’obscurité — ce qui est apparu au cours des dernières décennies pendant lesquelles nous avons traité la maladie de Lyme, c’est que pour une petite fraction des patients, les symptômes persisteront même après la mort de toutes les bactéries. Cela peut durer de quelques semaines à quelques mois, et un petit nombre de patients sont restés symptomatiques pendant dix ans. Ces cas sont ceux sur lesquels nous avons des questions sans réponse. Les tests sanguins de ces patients n’ont pas permis de trouver de preuves qu’ils hébergent toujours la bactérie, ni aucune cause à leurs symptômes. C’est encore un domaine de recherche actif. Mais il est absolument reconnu par les communautés médicales et scientifiques, et a même un nom : Syndrome de la maladie de Lyme Post-Traitement, ou PTLDS. Il y a beaucoup de choses que nous ignorons à ce sujet ; nous ne savons même pas quelle est la proportion de patients atteints de PTLDS. C’est probablement environ 10–20% qui en souffrent dans une certaine mesure, mais dans certains endroits où le diagnostic est plus lent et les patients atteints plus longtemps avant de commencer le traitement, il pourrait approcher 50%. Les données suggèrent que les patients dont les symptômes s’aggravent lorsqu’ils commencent un traitement antibiotique sont un peu plus susceptibles de développer un PTLDS, tout comme les patients qui ont retardé le début du traitement. Il s’agit de la seule corrélation intéressante qui a été notée, mais jusqu’à présent, cela n’a pas aidé à fournir de réponses. Pour l’instant, le PTLDS reste incurable ; il n’y a pas d’infection bactérienne, donc administrer plus d’antibiotiques est inutile. Heureusement, (jusqu’à présent) il semble toujours disparaître de lui-même, même si cela prend des mois, voire des années dans les pires cas.
Alors, le PTLDS est-il en réalité ce qu’ont les gens qui croient souffrir de maladie de Lyme chronique ? De manière confuse, il y a deux réponses à cela. La réponse est oui, dans le sens où certains patients de PTLDS — et même quelques médecins — utilisent le terme « maladie de Lyme chronique » parce qu’il est bien connu et c’est ce que tout le monde a entendu. Beaucoup de gens ne l’ont jamais entendue désigner comme PTLDS, alors ils utilisent le terme qu’ils connaissent. Malheureusement, lorsque certains sceptiques font la déclaration générale « il n’y a rien de tel que la maladie de Lyme chronique », cela choque naturellement certains patients de PTLDS légitimes. Et ainsi, nous avons une relation de confrontation sordide (et malencontreuse) entre certaines personnes du côté des sceptiques et les malades.
Cependant, la réponse à la question de savoir si le PTLDS est vraiment ce dont souffrent les patients atteints de la maladie de Lyme chronique est non, car nous avons maintenant des directives pour aider les médecins à décider ce qui est du PTLDS et ce qui n’en est pas. Dans son livre publié en 2018 The Everything Guide to Lyme Disease, le Dr Rafal Tokarz, chercheur au Center for Infection and Immunity de Columbia University, a résumé les lignes directrices que je paraphrase ici :
- Pour recevoir un diagnostic de PTLDS, vous devez avoir eu une véritable maladie de Lyme confirmée par un test sanguin ou un diagnostic médical ;
- Vous devez avoir terminé le traitement antibiotique et avoir amélioré vos symptômes en conséquence ;
- Dans les six mois suivant le début de ce traitement, vous devez avoir développé suffisamment de symptômes pour affecter votre qualité de vie ;
- Vous ne pouvez pas également avoir une maladie avec des symptômes similaires, comme la fibromyalgie [/episodes /4440] ou le syndrome de fatigue chronique [N5] ;
- Vous ne pouvez pas avoir une infection active, car alors vous avez la maladie de Lyme et non le PTLDS ;
- Vos symptômes ne peuvent pas être expliqués autrement par votre médecin ;
- Vous ne pouvez pas avoir eu des symptômes inexpliqués similaires avant d’avoir eu la maladie de Lyme, sinon ce que vous avez maintenant est probablement toujours cela.
Ce que ces directives accomplissent est double. Premièrement, elles donnent une réponse solide à la question de savoir si une victime chronique a le PTLDS ou non, exigeant qu’elle ait eu une véritable maladie de Lyme, ait été traitée avec succès, puis ait développé les symptômes du PTLDS et que ces symptômes ne soient causés par rien autre. Deuxièmement, elles ne laissent aucune place dans la science médicale à une mystérieuse affection liée à Lyme appelée « maladie de Lyme chronique ». Soit vous avez le PTLDS, soit votre plainte n’a rien à voir avec une infection par la bactérie Lyme.
Donc, sans aucune ambiguïté, la maladie de Lyme chronique n’est pas un terme médical et n’existe pas dans la science médicale. Mais surtout, notez que cela ne s’applique qu’à la terminologie ; cela ne signifie nullement que les personnes atteintes de la maladie de Lyme chronique n’ont pas de condition réelle. Tout ce que nous avons fait, c’est exclure toute relation avec la maladie de Lyme.
C’est pourquoi on ne traite pas les cas signalés de maladie de Lyme chronique avec des antibiotiques, malgré les demandes fréquentes des patients. Lorsqu’il n’y a pas de niveau détectable de bactéries, il n’y a rien à traiter pour les antibiotiques. Par conséquent, tout ce qu’ils risquent de faire est de contribuer au problème de la résistance aux antibiotiques. Néanmoins, il y a des médecins qui prescrivent cela — bien que cela viole la bonne pratique du soin. […]
L’un des drapeaux rouges les plus évidents et les plus révélateurs entourant la version purement pseudoscientifique de Lyme chronique est l’expression « Lyme-lettré » [Lyme literate]. Les médecins, les patients et les cliniques se décrivant comme Lyme-lettrés sont ceux qui croient que la science médicale traditionnelle représente un ensemble fermé de connaissances qui est insuffisant pour inclure leur point de vue selon lequel la maladie de Lyme se présente sous une forme chronique. Beaucoup se réfèrent aux médecins qui traitent la Lyme chronique comme des LLMD ou médecins « Lyme-lettrés ». Vous entendrez souvent des termes comme l’orthodoxie et le dogme, des mots ambigus utilisés pour impliquer que la science médicale ne consiste pas en la méthode scientifique mais en une adhésion stricte à un ensemble de doctrines et de croyances ; ainsi, les LLMD sont ces braves non-conformistes prêts à « défier la pensée conventionnelle ». C’est un récit familier, qui est convaincant pour de nombreuses personnes insatisfaites des diagnostics — ou de leur absence — qu’ils ont obtenus de médecins conventionnels. Notez que l’expression même Lyme-lettré est une attaque passive-agressive contre la médecine, ce qui implique que les médecins et les scientifiques non convaincus par le récit chronique de Lyme sont « illettrés » dans le domaine précis qu’ils étudient.
Le traitement typique de la maladie de Lyme chronique que prescrivent les médecins Lyme-lettrés est des antibiotiques à long terme, souvent même par voie intraveineuse. Un tel traitement est appelé séronégatif, ce qui signifie que le sang du patient ne montre aucun signe d’anticorps indiquant la présence de spirochètes de Lyme. Il n’y a pas un seul avantage théorique à l’antibiothérapie séronégative, mais elle comporte des risques importants. Outre celui le plus évident d’antibiotiques inutiles, qui contribue à la résistance bactérienne aux antibiotiques, les antibiotiques à long terme sont agressifs pour votre corps. Ils peuvent endommager votre vésicule biliaire et provoquent presque toujours une diarrhée chronique. Lorsqu’ils sont administrés par voie intraveineuse à long terme avec l’utilisation de PICC-lines [N6] ou de cathéters de Hickman [N7] — ce qui est typique des médecins Lyme-lettrés — des infections peuvent se produire, et se produisent parfois même mortelles dont quelques unes sont documentées dans les suggestions de lectures au bas de cette page .
Alors, de quoi souffrent réellement les patients diagnostiqués d’une maladie de Lyme chronique ? Nous ne le savons pas, et cela pourrait être de nombreuses choses. Pour compliquer le sujet, les principaux symptômes — fatigue, douleur non spécifique, obnubilation [N8] — sont également les mêmes que ceux du PTLDS et sont aussi ce que nous appelons des « symptômes de la vie ». Le corps humain se fatigue, mentalement et physiquement. Nous ressentons des douleurs. Dans de nombreux cas, cela peut être terrible. Il peut y avoir ou non quelque chose de traitable qui en est la cause ; ce sont simplement des choses qui arrivent au corps humain. Et ce sont aussi les symptômes de la fibromyalgie et du syndrome de fatigue chronique [N5], conditions reconnues réelles mais dont la cause et le traitement restent inconnus.
Mais ce qui est clair, c’est que ces patients souffrent et leur qualité de vie est affectée. Ils ne truquent rien, ce n’est pas tout dans leur tête, et ce ne sont pas tous des théoriciens du complot anti-science médicale. Dans la plupart des cas, ce sont des gens comme vous et moi qui se trouvent douloureusement paralysés par un ensemble de symptômes très courants et recherchent avec diligence une solution au mieux de leurs capacités. Dans de nombreux cas, il semble que les patients recherchent un diagnostic de maladie de Lyme chronique car elle dispose d’un traitement standard — les antibiotiques — qui sont un véritable médicament. Un vrai médicament signifie un véritable espoir.
Mais, alors que les patients eux-mêmes méritent toute notre compassion, l’industrie qui soutient la maladie chronique de Lyme — en particulier les soi-disant médecins Lyme-lettrés — n’en bénéficieront pas. Ils savent mieux. Ils en profitent et ont choisi d’ignorer délibérément les données montrant que leurs « traitements » lucratifs n’apportent que des risques et aucun avantage. Et donc vraiment, à la base, la maladie de Lyme chronique n’est guère plus qu’une autre façon pour les prédateurs de la médecine alternative de soutirer de l’argent à des personnes désespérées. ⚪️
🔵 Brian Dunning
Références et bibliographie
- CDC. “Lyme Disease Frequently Asked Questions (FAQ).” Lyme Disease. Centers for Disease Control and Prevention, 20 Jan. 2013. Web. 26 Feb. 2020. <https://www.cdc.gov/lyme/faq>
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- Fischer, M. “Maybe It’s Lyme : What happens when illness becomes an identity?” The Cut. Vox Media, 24 Jul. 2019. Web. 26 Feb. 2020. <https://www.thecut.com/2019/07/what-happens-when-lyme-disease-becomes-an-identity.html>
- Holzbauer, S., Kemperman, M., Lynfield, R. “Death Due to Community-Associated Clostridium Difficile in a Woman Receiving Prolonged Antibiotic Therapy for Suspected Lyme Disease.” Clinical Infectious Diseases. 1 Aug. 2010, Volume 51, Number 3 : 369–370.
- Lantos, P. “Chronic Lyme Disease.” Infectious Disease Clinics of North America. 1 Jun. 2015, Volume 29, Number 2 : 325–340.
- Nadelman, R., Arlin, Z., Wormser, G. “Life-threatening Complications of Empiric Ceftriaxone Therapy for Seronegative Lyme Disease.” The Southern Medical Journal. 1 Oct. 1991, Volume 84, Number 10 : 1263–1265.
- Patel, R., Grogg, K., Edwards, W., Wright, A., Schwenk, N. “Death From Inappropriate Therapy for Lyme Disease.” Clinical Infectious Diseases. 1 Oct. 2000, Volume 31, Number 4 : 1107–1109.
- Tokarz, R. “The Lyme Disease Complication You Don’t Know About — but Should.” Health.com. Meredith Health Group, 26 Mar. 2019. Web. 22 Feb. 2020. <https://www.health.com/condition/lyme-disease/chronic-lyme-disease-post-treatment>
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- N1 · h970 · Maladie de Lyme – Wikipedia
- N2 · h584 · Diagnosing Chronic Lyme Disease
- N3 · 0v57 · Spirochaetae – Wikipedia
- N4 · r40m · Borrelia burgdorferi – Wikipedia
- N5 · jrg9 · Syndrome de fatigue chronique – Wikipedia
- N6 · h6x0 · PICC-line
- N7 · 346w · Cathéter de Hickman – Wikipedia
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Article créé le 12/03/2020 - modifié le 28/01/2023 à 21h46