Un des rôles principaux de l’insulineN1 consiste à contrôler le stockage dans nos cellules de nutriments en circulation (glucose et acides gras), afin de maintenir leurs taux sanguins dans une fourchette étroite. On peut parler de résistance à l’insulineN2 lorsque ce mécanisme de régulation semble perturbé par une réponse insuffisante des cellules aux effets de l’insuline. Cette résistance est associée à un risque accru de diabète de type 2N3, de maladies cardiovasculairesN4 et de certains cancers.
Le mécanisme de régulation de la glycémieN5 est aujourd’hui abondamment documenté — voir par exemple un support de coursN6 très lisible en français, et What Causes Insulin Resistance ?N7 de Stephan Guyenet. Après l’absorption d’aliments sucrés, l’hypoglycémieN8 consécutive à la libération d’insuline par le pancréasN9 diminue au cours de la journée, car les récepteurs cellulaires membranairesN10 d’insuline répondent de moins en moins aux sollicitations. De cette manière, les cellules reçoivent moins d’énergie. Comme le souligne Guyenet (voir pageN7), un excès chronique d’énergie dans les mitochondriesN11 au cœur des cellules aurait un effet toxique, de sorte que cette insulinorésistanceN2 est un processus physiologique d’ajustement que l’on peut associer à un mécanisme de défense antioxydant (Hoehn KL et al., 2009N12).
La restriction calorique et l’apport d’antioxydantsN13 — directement par la nutrition ou indirectement par l’entraînement de haute intensité — et ont par conséquent pour effet de limiter le besoin physiologique d’insulinorésistanceN2. L’excès d’énergie dans les cellules se traduit par le stockage de métabolites d’acides grasN14 (acyl-CoAN15, céramidesN16, diacylglycérolN17) dans le cytoplasmeN18 qui jouent un rôle majeur dans l’insulinorésistance (Guyenet S, 2012N7). Les glucocorticoïdesN19 sont les acteurs de ce processus (Qi D & Rodrigues B, 2007N20).
L’insulinorésistanceN2 est donc au départ un processus protecteur des cellules (voir l’article Insulin Resistance is Good ?N21). Elle est aussi mise en œuvre de façon saisonnière chez des animaux qui se gavent de baies sucrées pour stocker rapidement de la graisse avant l’hibernation…
Par contre, chez l’humain, elle peut devenir pathologique, au fil des ans, si la consommation de glucides reste excessive, le pancréasN9 devenant incapable de sécréter en quantité une insuline qui a perdu son efficacité : c’est la porte ouverte au diabète de type 2N3 — voir mon article Diabète de type 2.
Édouard Courot précise (2016N22 page 97) :
L’organe dont les rythmes biologiques ont une importance prépondérante dans la physiopathologie du diabète est le pancréas. Son horloge circadienne [N23] joue en effet un rôle majeur dans la rythmicité de la sécrétion d’insuline.
Bien que la sécrétion de l’insuline dépende principalement de l’apport alimentaire, elle présente également une sécrétion basale selon un rythme circadien. Cette rythmicité garantie par les gènes horloges Clock et Bmal1 a été mise en évidence dans les cellules béta des îlots de Langerhans [N24] et joue un rôle capital dans l’homéostasie [N25] du glucose.
Une dérégulation de cette rythmicité, notamment par des prises alimentaires à des heures aléatoires et variables, est un facteur favorisant une insulinorésistanceN2 et donc d’un potentiel diabète de type 2.
Pour Jason Fung (voir pageN26), les effets attribués à l’insulinorésistanceN2 ne sont pas un problème de récepteur membranaireN10 de l’insuline soudain devenu inadapté, mais de surcharge des cellules en glucose. Son argumentaire est résumé dans mon article Diabète de type 2.
La résistance à l’insuline n’est pas une mauvaise chose, c’est un mécanisme de protection. De quoi nous protège-t-elle ? Le nom même vous le dit : l’insulinorésistanceN2 se développe pour résister à l’insuline. Le problème est trop d’insuline.
Pendant ce temps, le foie est occupé à essayer de pomper autant de graisse que possible. Il pompe des triglycéridesN27 comme si sa vie en dépendait, ce qui est le cas. Donc les niveaux de triglycérides dans le sang montent (signe classique du syndrome métaboliqueN28). L’organisme essaie de soulager le foie engorgé de gras en l’exportant. Donc les muscles engraissent.
Le pancréasN9 reçoit également une partie de la graisse et vous obtenez un pancréas gras. Comme le pancréas devient distendu avec la graisse, il produit moins d’insuline. Pourquoi ? Parce qu’il essaie de protéger le corps contre les effets de trop d’insuline ! Le corps sait très bien que le problème est trop d’insuline. Donc, le développement du pancréas engraissé nous protège en arrêtant la production.
Le foie engraissé créant une résistance à l’insuline et le pancréas engraissé, provoquant l’abaissement des taux d’insuline, aboutissent à la même chose. Augmentation du glucose dans le sang, mais protection des organes contre cette insuline excessive. Cette glycémie élevée provoque les symptômes du diabèteN3 — une soif excessive, une miction excessive et la perte de poids. Le glucose sanguin élevé dépasse le seuil rénal du glucose.
Les reins réabsorbent normalement tout le glucose qui passe à travers. Cependant, lorsque le taux de glucose est supérieur à environ 10 mmol/l, le rein ne peut pas réabsorber tout. Le glucose est excrété dans l’urine emportant avec elle beaucoup d’eau. On perd du poids sous forme de grandes quantités de glucose urinées hors du corps. Est-ce mauvais ? Non c’est bon !
Le problème sous-jacent est précisément trop de glucose et trop d’insuline. Le corps lui-même s’est protégé en se débarrassant de tout le glucose supplémentaire. Le glucose sanguin réduit l’insuline et crée aussi une perte de poids. Ce sont tous des mécanismes de protection pris par le corps pour se protéger contre l’insuline excessive.
Jason Fung conclut :
Avec cette nouvelle compréhension, nous pouvons voir que l’obésité, la résistance à l’insuline, des triglycéridesN27 élevés et un dysfonctionnement des cellules bêtaN29 sont tous les mécanismes de protection contre le même problème : l’hyperinsulinismeN30.
[…]
L’étude EMPA-REGN31 a été publiée l’an dernier. En utilisant un de ces nouveaux médicaments on réduit le risque de décès de 38 % et le risque de mortalité cardiovasculaire de 32 %. Ces avantages étaient exactement ce que nous cherchions. Parce que ce médicament agit à la racine du problème. Il y a trop de glucose et trop d’insuline. Cela permet de réduire le glucose et l’insuline diminue. Bien sûr, si nous ne traitions pas du tout le diabète de type 2N3, nous aurions probablement le même avantage.
Il y a deux problèmes principaux dans le syndrome métaboliqueN28 : la glucotoxicitéN32 et la toxicité de l’insuline. Il ne sert à rien de traiter la toxicité accrue de l’insuline pour réduire la glucotoxicité. Or c’est ce que nous faisons lorsque nous traitons les gens avec de l’insuline ou des sulphonyuréesN33. Au lieu de cela, il est logique de réduire à la fois la glucotoxicité et la toxicité de l’insuline. Des médicaments tels que les inhibiteurs de SGLT2N34 font cela, mais l’alimentation est évidemment la meilleure façon : régimes faibles en glucides et jeûne intermittent.
Obesity is protective ? (Jason Fung, 2016N35)
Une étude de Roy Taylor (voir articleN36) suggère que cette incapacité du pancréasN9 serait associée à la présence de graisse dans les cellules bêtaN29 des îlots de LangerhansN24, de sorte que le diabète de type 2N3 pourrait être soigné, non pas en essayant de restaurer la réponse à l’insuline des récepteurs cellulaires membranairesN10 mais par une ablation chirurgicale de (pas plus d’un gramme) de cet excès de graisse pancréatique. Il reste toutefois à prouver que ce retour au métabolisme normal du pancréas s’inscrirait sur le long terme, ce qui revient à dire que le diabète de type 2 serait (du moins dans sa phase initiale) un syndrome métaboliqueN28 réversible. Voir plus d’explications dans l’article Type 2 Diabetes : Etiology and reversibility (Taylor R, 2013N37).
Une idée communément répandue est que, si l’on consomme des glucides, la glycémie augmentera moins s’ils sont accompagnés de graisse. Ainsi, la tartine beurrée serait moins « diabétisante » qu’une simple tranche de pain. C’est exact au niveau de la glycémie mais pas à celui de l’insuline, qui en définitive contribue le plus à l’insulinorésistance, et donc au diabète et à l’obésité. Dans The Arrow #148, Michael Eades cite deux études anciennes — W Creutzfeldt (1979N38) et G Collier et al. (1984N39) — qui expliquent ce mécanisme hormonal :
Ces études montrent que la combinaison des graisses et des glucides alimentaires a un effet additif considérable sur l’insuline. Les graisses alimentaires en elles-mêmes n’influencent pas beaucoup le taux d’insuline. Elles l’augmentent légèrement, mais pas suffisamment pour s’en inquiéter.
Comme vous pouvez l’imaginer, les glucides alimentaires font grimper le taux d’insuline en flèche assez rapidement.
Mais si vous ingérez la combinaison, l’insuline monte en flèche. C’est bien plus que la simple combinaison des hausses provoquées par les glucides ou les graisses pris séparément. Le tout est vraiment plus grand que la somme des parties.
Pratiquement tous les aliments transformés que vous pouvez imaginer contiennent cette combinaison concentrée de graisses et de glucides. C’est l’une des raisons pour lesquelles les aliments transformés sont si mauvais. Ils font grimper le taux d’insuline jusqu’à la lune. […]
Le GIP (gastric inhibitory polypeptideN40) est une sorte d’hormone libérée dans la partie supérieure de l’intestin grêle par des cellules appelées « cellules K » ; ces cellules K libèrent le GIP en réponse à l’arrivée d’aliments dans l’intestin grêle. Le GIP alerte le pancréas pour qu’il libère de l’insuline et du glucagon avant l’absorption du sucre dans le sang. Cette libération accrue d’insuline est appelée effet incrétine. Le GIP et le GLP‑1 (glucagon-like peptide‑1N41) sont des incrétinesN42.[…]
Le degré de transformation d’un aliment donné est l’un des principaux moteurs de la production de GIP et de l’augmentation de l’effet incrétine.
Suite de cette discussion dans The Arrow #150 :
Ce que je trouve intéressant, c’est que le fait de mâcher la pomme intacte la réduirait en quelque sorte à une sauce, ou à une purée, dans la bouche. Il en va de même pour les haricots mentionnés ci-dessus. On pourrait donc penser que la pomme et la purée, ou les haricots intacts par rapport aux haricots transformés, donneraient la même réponse insulinique, mais ce n’est pas le cas. Cela a‑t-il quelque chose à voir avec le fait que la salive envoie un signal au GIP ? Je n’en sais rien. Mais il se passe quelque chose.
Les études ont montré par ailleurs que l’effet incrétine était plus marqué chez les personnes âgées et celles en surpoids. Les recettes « sucré-salé » devraient donc être réservées aux jeunes gens qui ne souffrent pas de prédiabète (indice HOMA) ni d’obésité.
Diminuer le taux de fer en évitant des aliments riches en fer est aussi un moyen de limiter l’insulinorésistanceN2 (Hua NW et al., 2001N43).
D’autres explications de l’insulinorésistance ont été proposées : Barbara E. Corkey (2011N44) suggère que des niveaux excessifs d’insuline causés par l’environnement (pesticides et engrais, additifs alimentaires etc.) superposés à un terrain génétique défavorable ou un hyperinsulinismeN30 basique auraient pour effets l’insulinorésistanceN2, l’obésité et le diabète de type 2N3. Selon le modèle qu’elle étudie, la surproduction d’insuline liée à une réponse excessive des cellules bêtaN29 des îlots de LangerhansN24 (dans le pancréas) serait la cause de l’insulinorésistance, et non l’inverse. Cette surproduction pourrait d’ailleurs se produire à un niveau assez faible pour ne pas entraîner d’hypoglycémieN8.
Associée au programme européen Metagenomics of the Human Intestinal TractN45, l’équipe de Pedersen HK et al. (2016N46) a montré que 4 espèces bactériennes du microbiote intestinal auraient une forte influence sur l’insulinorésistanceN2 de sujets humains. Il s’ensuit qu’un ré-équilibrage de ce microbiote contribuerait à corriger ce défaut, comme le suggère déjà l’expérimentation animale (voir page en françaisN47).
L’obésité et l’insulinorésistanceN2 vont souvent de pair (mais pas toujours) sans qu’on puisse démontrer que l’une est la cause de l’autre… Selon Bill Lagakos (voir pageN48) elles pourraient avoir des causes communes, environnementales comme suggéré par CorkeyN44, mais aussi un dysfonctionnement du rythme circadienN49, ce qui nous renvoie à la chronobiologie de la nutrition — voir mon article Chrononutrition - bibliographie et notamment l’étude de Bo S et al. (2015N50).
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Article créé le 9/07/2016 - modifié le 29/02/2024 à 06h35