La détoxination est un processus d’élimination qui vise à aider le corps à évacuer les produits métaboliques nuisibles (voir pageN1) — autrement dit, provoquer l’évacuation par l’intestin ou les reins de résidus alimentaires qui n’ont pas été décomposés et éliminés par les voies naturelles.
Ce terme n’est pas référencé sur Wikipedia, où l’on parle plutôt de detoxification (N2) en anglais ou détoxicationN3 en français, avec la mise en garde suivante :
L’industrie de la « détox » se fonde sur l’idée que le corps accumulerait des « toxines », soit du fait de son fonctionnement basal, soit à cause de la pollution de l’environnement, ou encore à cause des médicaments de médecine conventionnelle. Cependant, le concept populaire et industriel de « détox » n’a rien à voir avec le principe de détoxication médicale, et constitue plutôt un artefact de marketing pour différents compléments alimentaires ou produits cosmétiques.
En effet, aucun article scientifique n’a encore jamais étayé l’idée que ce genre de produits ou de traitements pourrait augmenter les capacités détoxifiantes d’un corps humain, et les interviews des promoteurs de la détox demeurent toujours extrêmement abstraits quant à la nature de ces supposées toxines.
[…] Les méthodes de détox font partie des pseudo-sciencesN4, et partagent parfois avec certaines de celles-ci certaines dérives nuisibles aux victimes, notamment quand il s’agit de stages intensifs, où la manipulation mentale peut l’emporter sur l’apport de soins.
Sommaire
⇪ Un mécanisme naturel ?
Renaud Roussel écrit (Les régimes ou cures « détox », 2015N5) :
Mais de quoi parle-t-on exactement ? De quelle intoxication cherche-t-on à vous guérir ? Une intoxication par les graisses ? Les seules graisses toxiques pour l’organisme sont les graisses alimentaires hydrogénées industrielles (ou graisses TransN6), les huiles végétales polyinsaturéesN7 (…), et les graisses corporelles lorsqu’elles sont trop importantes. Pour les deux premières, extrêmement toxiques, il suffit de les supprimer de l’alimentation et de les remplacer par d’autres, saines. Pour les graisses corporelles, il suffit d’orienter l’organisme dans la bonne direction (…), et il se chargera de les faire disparaître.
[…] La véritable intoxication provient de la pollution environnementale — air, aliments, textiles, cosmétiques, matériaux dentaires… Plusieurs centaines de produits chimiques toxiques envahissent notre organisme petit à petit, tout au long de notre vie : pesticides, hormones, conservateurs, plomb, mercure, arsenic, cadmium, retardateurs de flamme bromés, PCB, phtalates, particules fines… Personne n’y échappe, pas même les ours blancs sur leurs lointaines banquises.
➡ Un peu plus bas, Roussel écrit que l’acide arachidoniqueN8 est produit par l’acide oléiqueN9 (huile d’olive, lard…) alors qu’il s’agit d’acide linoléique N10 (huiles végétales).
Il ne faut pas confondre la détoxination (« détox ») avec les mécanismes physiologiques assurant la détoxication de l’organisme, qui tirent leur efficacité de l’état de santé de l’individu, donc principalement de ses habitudes en matière de nutrition et autres pratiques recommandées sur ce site. Colin Berry écrit sur la page Debunking détoxN11 :
Il est facile de se détoxiquer [to detox] ; il suffit de laisser son corps utiliser les formidables mécanismes qu’il a développés pendant des milliers d’années afin de se débarrasser de tout ce qui vous cause tort. Mais, s’il s’agit d’alcool, en profiter pour moins boire !
⇪ Des pratiques très diverses
La détoxination est ici présentée comme un ensemble de techniques supposées se substituer à une détoxication défaillante. Nous ouvrons le débat à partir d’exemples de traitements bien connus. Une approche critique plus détaillée et documentée peut être consultée sur la page Detoxes : an undefined scamN12.
Les pratiques de purification font partie du bagage des médecines traditionnelles et de médecines non conventionnelles modernes. Certaines s’appuient sur des restrictions alimentaires : le jeûneN13 — voir mon article Jeûne et restriction calorique — ou la suppression d’une catégorie d’aliments. Roussel écrit (2015N5) :
Les régimes « détox » qui vous permettent, au mieux, de manger quelques pommes, ou un peu de raisin, ont à peu près la même efficacité qu’une écharpe pour vous protéger des radiations lorsque vous rentrez nu dans un réacteur nucléaire.
[…] Les centaines de molécules toxiques pour l’organisme humain sont liposolubles, c’est-à-dire qu’elles se lient facilement aux graisses. […] L’énorme erreur des régimes « détox » est de remettre rapidement dans la circulation sanguine des molécules toxiques jusque là « piégées dans la graisse corporelle » […], mais ce n’est pas tout, il y a bien pire : les régimes « détox » privent l’organisme des seuls nutriments capables de déloger les substances toxiques intracellulaires : la graisse alimentaire. Tous les toxicologues le savent : il n’existe pas de véritable désintoxication sans graisse alimentaire !
[…] Nos cellules sont équipées de véritables petites usines chimiques diverses et variées, comme les lysosomesN14 chargés de nettoyer les cellules, et les peroxysomesN15 chargés de désintoxiquer la cellule. Sans un apport quotidien d’acides gras provenant des graisses alimentaires, les peroxysomes ne peuvent pas expulser les produits toxiques de la cellule, la seule désintoxication qui vaille !
D’autres techniques font appel à des techniques particulières :
- l’absorption de substances « purificatrices » qui peuvent être des jus de fruits ou légumes (voir cet article en anglaisN16 et la propagande de Thierry CasasnovasN17), une monodièteN18 ou des préparations particulières ;
- la consommation de certains aliments : un des rares cas de détox dont l’efficacité ait été prouvée dans des études cliniques est l’élimination (dans les urines) de substances toxiques issues de la pollution atmosphérique à l’aide de cures de broccoli (Egner PA et al., 2014N19, Heber D et al., 2014N20), qu’on peut aussi faire avec d’autres crucifères (choux de Bruxelles, chou-fleur…) à condition de les cuire rapidement (sauté) pour ne pas détruire trop vite la myrosinaseN21 qui convertit les précurseurs de glucosinolateN22 en isothiocyanateN23 — par activation du facteur de transcription NrF2N24, voir l’explication de Bill LagakosN25.
- l’élimination par intervention médicale de matériaux perçus comme toxiques dans le corps humain, comme par exemple les amalgames dentaires au mercure.
⇪ Calculs de la vésicule biliaire
On désigne par lithiase biliaireN26 la formation de calculs à l’intérieur de la vésicule biliaire, l’organe qui emmagasine la bile sécrétée par le foie. Ces calculs sont en grande partie formés de cholestérol et peuvent aussi contenir des pigments biliaires, ainsi que des sels de calcium. La lithiase biliaire concerne 10 à 15 % de la population occidentale (en majorité des femmes) et peut devenir symptomatique en 5 ans dans 10 % des cas.
L’échographie abdominale est actuellement l’examen le plus pratiqué pour détecter les calculs biliaires et décider d’une thérapie qui peut aller jusqu’à l’ablation de la vésicule par chirurgie (voir pageN27). Certains médicaments sont utilisés pour dissoudre de petits calculs (voir pageN28). Toutefois, le gastro-entérologue Philippe Le Bourgeois précise (voir pageN29) :
En pratique, ce traitement est long, son efficacité est incertaine. Et une fois le calcul dissous, si on y parvient, la vésicule étant toujours malade l’intérêt du traitement reste limité. Les calculs se reforment. Donc les médicaments ne s’utilisent pas beaucoup pour la vésicule.
L’élimination des calculs par des méthodes « naturelles » est une intervention très en vogue aujourd’hui. Certains de leurs promoteurs réussissent à convaincre leurs patients qu’ils ont besoin d’éliminer des calculs de manière préventive — en l’absence de symptôme associé à la lithiase biliaire — et le plus souvent sans vérifier leur existence par voie échographique. Les réactions parfois violentes de l’organisme à ces interventions contribuent à faire croire que le traitement a été bénéfique (effet placeboN30).
Sur la page Would you like a liver flush with that colon cleanse ?N31, un chirurgien rapporte un cas signalé par Christiaan W Sies et Jim Brooker dans The Lancet (2005N32) : une femme de 40 ans a été admise dans une clinique après trois mois de douleurs récurrentes lors de la consommation de nourriture grasse.
L’échographie abdominale a détecté des calculs de 1–2 mm dans la vésicule biliaire bien qu’elle ait pratiqué récemment un « nettoyage du foie ». Son traitement avait consisté à consommer uniquement des jus de pomme et de légumes jusqu’à 18h00, sans autre nourriture, suivi de l’absorption de 600 ml d’huile d’olive et 300 ml de jus de citron pendant plusieurs heures. Il avait permis l’élimination sans douleur de nombreux « cailloux » semi-solides de couleur verte dans les selles matinales. La patiente les a conservés et présentés à la clinique.
Les auteurs précisent (Sies W & J Brooker, 2005N32) :
L’examen microscopique des cailloux de notre patiente a rélévé l’absence de toute structure cristalline. Ils se transformaient en liquide huileux vert au bout de 10 minutes à 40°C et ne contenaient aucun cholestérol, bilirubine ni calcium selon les méthodes conventionnelles d’analyse chimique. Les techniques habituelles d’extraction de graisse dans les matières fécales ont indiqué que les cailloux contenaient des acides grasN33 qui, après hydrolyse acide, devenaient des acides gras libres avant d’être extraits par l’éther. Ces acides gras constituaient 75 % du matériau d’origine.
L’expérience a montré que le mélange de volumes égaux d’acide oléiqueN9 (principal constituant de l’huile d’olive) et de jus de citron produisait plusieurs boules blanches semi-solides après addition d’un petit volume d’une solution d’hydroxyde de potassiumN34. Par séchage à l’air à température ambiante, ces boules devenaient solides et dures. Nous concluons, par conséquent, que ces « calculs » verts ont été formés par l’action des lipases gastriquesN35 sur les triglycéridesN36 simples et complexes de l’huile d’olive, ce qui a donné de longues chaînes d’acides carboxyliquesN37 (principalement de l’acide oléique). Ce processus a été suivi d’une saponificationN38 donnant de grosses micellesN39 [agrégats] de carboxylates de potassium (le jus de citron contient une grande quantité de potassium) ou « pierres savonneuses ».
Par conséquent, les amas verts trouvés dans les selles après avoir cessé la cure n’étaient pas des calculs biliaires mais des complexes de minéraux et d’huile d’olive qui prennent forme dans l’intestin.
Bien entendu, cet exemple isolé ne suffit pas à disqualifier toutes les méthodes proposées pour l’élimination des calculs de la vésicule biliaire. Toutefois, sur la page The Truth about Gallbladder and Liver “Flushes”N40, Peter Moran précise :
Le fait que ces matériaux résultent d’une transformation de l’huile [absorbée] est avéré par les descriptions des usagers et les échographies. La preuve la plus flagrante est que ces soi-disant « calculs » flottent dans l’eau des toilettes, comme on peut s’y attendre d’une substance principalement formée d’huile. Les calculs biliaires coulent. Les patients dont les calculs ont été diagnostiqués médicalement peuvent le confirmer par eux-mêmes en regardant leurs échographies. S’ils sont libres de bouger, les calculs s’accumulent dans la partie la plus basse de la vésicule, bien que la bile soit plus dense que l’eau.
[…]
En réalité, il n’y a aucun moyen que du jus de pomme ou n’importe quel autre produit absorbé oralement vienne en contact avec les calculs de la vésicule ou les conduits biliaires. Un sphincter très efficace empêche le contenu de l’intestin de remonter dans le canal biliaire ou la vésicule. De sorte qu’il n’y a aucune logique à croire que n’importe lequel des matériaux consommés dans les « dissolvants » (huiles, jus de fruits, sulfate de magnésium) pourraient ramollir ou modifier d’une autre manière les caractéristiques des calculs dans la vésicule ou les conduits biliaires. Les sels biliaires comme l’acide ursodeoxycholiqueN41 peuvent le faire, mais ils doivent être introduits dans le sang et traités par le foie avant de permettre à la bile de dissoudre les calculs de cholestérol, et un minimum de neuf mois de traitement est généralement nécessaire.
Un dossier très documenté sur la « détox du foie » a été publié par Jérémy Anso : L’arnaque scientifique et médicale du nettoyage du foie et de la vésicule biliaire (2019N42). Voir notamment : Les ingrédients de la cure du foie : une arnaque intellectuelle et financière (2019N43).
⇪ Conclusion
Renaud Roussel conclut ainsi sa page Les régimes ou cures « détox » (2015N5) :
La véritable désintoxication, celle qui extrait les produits toxiques de l’intérieur des cellules, qui les expulsent hors de l’organisme, et qui répare les dommages causés, ne peut se faire sans graisses alimentaires, sans vitamines, sans minéraux et sans protéines. Ne rien manger, boire des bouillons clairs de légumes, ou du thé vert, ne répond pas à ces besoins. Manger des kilos de pommes et de raisins ne vous apportera rien d’autre qu’un encrassement du foie par une surconsommation de fructose (N44), un dérèglement de la flore intestinale par excès de fermentation, et une élévation du taux de cortisolN45 qui bloquera l’élimination des graisses viscérales !
⇪ Pour aller plus loin…
- L’ancienne théorie de l’auto-intoxication est à la base de la thérapie de l’irrigation du colon de nos jours. Il n’y a aucune preuve que cela apporte de réels bénéfices pour quelque condition qui soit. Par contre, il existe des preuves que cette pratique est associée à des risques considérables. Les médecins devraient connaître les dangers de la thérapie du colon. Dans le cas où des patients y auraient recours et seraient à risque, l’empathie, les rassurer et une information factuelle seront utiles.
- Chapitre 7 de la thèse de médecine de Jérôme Lemar (2011N46) : L’appellation « jeûne thérapeutique » est-elle fondée ou usurpée ? Éléments de réponse d’après une revue de bibliographie chez l’animal et chez l’homme.
⇪ ▷ Liens
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- N1 · aj68 · Qu’est-ce que la détoxination ?
- N2 · odro · Detoxification – Wikipedia
- N3 · 9anq · Détoxication – Wikipedia
- N4 · 1r8p · Pseudo-science – Wikipedia
- N5 · k7f7 · détox », 2015. détox », 2015. détox », 2015. détox », 2015. détox » (2015). Les régimes ou cures “détox”
- N6 · q7py · Acide gras trans – Wikipedia
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- N16 · wz3q · The detox myth : Trust your body and stop wasting money on juices
- N17 · qsia · Thierry Casasnovas, le gourou du “tout cru”, vous attend tranquille sur YouTube
- N18 · d1g9 · Régime Monodiète
- N19 · 4ova · Egner PA et al. (2014). Rapid and sustainable detoxication of airborne pollutants by broccoli sprout beverage : results of a randomized clinical trial in China
- N20 · 6kd7 · Sulforaphane-rich broccoli sprout extract attenuates nasal allergic response to diesel exhaust particles
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- N28 · 1yuh · Comment dissoudre des calculs biliaires
- N29 · tn4i · Peut-on éviter l’opération de la vésicule biliaire avec un médicament ?
- N30 · 3kr9 · Effet placebo – Wikipedia
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- N35 · ns1q · Gastric lipase – Wikipedia
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- N40 · 3xuu · The Truth about Gallbladder and Liver “Flushes”
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- N43 · h6zi · Les ingrédients de la cure du foie : une arnaque intellectuelle et financière
- N44 · 3w7b · Fructose – Wikipedia
- N45 · oae4 · Cortisol – Wikipedia
- N46 · 4a14 · Jérôme Lemar (2011). L’appellation “‘jeûne thérapeutique” est-elle fondée ou usurpée ? : éléments de réponse d’après une revue de bibliographie chez l’animal et chez l’homme
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Article créé le 8/10/2015 - modifié le 3/03/2024 à 17h20