Le domaine du coaching pour la santé (health coaching) est en nette croissance dans les pays à haut PIB. Nombreux sont celles et ceux qui voudraient se nourrir sainement, et pratiquer de l’exercice tout en bénéficiant d’un encadrement.
Cette croissance coincide avec l’arrivée sur le « marché » de baby-boomers nés au siècle dernier. Ils ont atteint un âge où la question de l’espérance de vie commence à se poser concrètement. Or, tous ne se satisfont pas des réponses de la médecine dite « préventive ».
Les sites qui proposent des solutions « en ligne » sont tous construits sur un modèle d’entrepriseN1 plus ou moins explicite. J’utilise le terme “business model” pour rappeler que ces notions ont vu le jour en Amérique du Nord, dans une culture qui, plus que la nôtre, juge acceptable de privilégier l’optimisation du profit sur celle de la qualité du service.
La maîtrise du business model est indispensable pour assurer la rentabilité — donc la survie — de toute entreprise. Le problème que je vais exposer ici est celui de dérives du modèle dans des entreprises supposées entretenir une relation de confiance avec des personnes en demande de soutien (coaching).
Sommaire
⇪ Capture d’adresses
Les auteurs des sites les plus modestes font appel à des donations via un bouton PayPal, simple transposition de l’approche shareware utilisée pour la distribution de logiciels. D’autres proposent un produit « gratuit » — par exemple un simple fichier PDF à télécharger — moyennant l’inscription de l’internaute.
La gratuité du produit est illusoire : son prix réel est la capture de l’adresse électronique (et autres données personnelles) d’un·e internaute intéressé·e par le contenu du site. Cette adresse pourra par la suite être utilisée pour des offres publicitaires ou des relances. C’est un « trésor de guerre » d’une telle importance que les spécialistes de web-marketting proposent des outils (logiciels de capture) et des stratégies pour en augmenter le volumeN2.
Il est prudent de vérifier que la cession d’une adresse électronique est en conformité avec les règles que la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) avait instaurées en France dès 2009N3, aujourd’hui étendues à tous les pays de l’Union Européenne dans le cadre du Règlement général pour la protection des données (RGPDN4) : on ne peut demander l’adresse d’un internaute qu’en précisant toutes les conditions de son utilisation, en déclarant qu’elle ne sera jamais cédée à des tiers et en lui permettant à tout moment d’annuler son inscription sans fournir de justification. La non-conformité au RGPD est un critère suffisant pour ôter toute crédibilité aux responsables du site : soit ils ignorent la règlementation, soit ils ont négligé de mettre à jour leurs outils de communication.
Les adresses collectées peuvent aussi générer du profit en étant vendues à des « trafiquants d’adresses ». Une pratique très répandue, condamnable selon la législation actuelle, mais difficile à contrôler.
⇪ Vente de produits
Sur les sites de santé, la vente de compléments alimentaires et d’articles pour la « salle de bains » (jusqu’au papier toilette en fibre de bambou !) est une activité plus lucrative que le coaching. Les propriétaires des sites utilisent leur notoriété — parfois sous le titre abusif de « docteur » — pour promouvoir ces articles, en marge de conseils diffusés gratuitement. Par exemple, un texte sur le massage se termine par un bouton à cliquer pour acheter de l’huile d’avocat californienne ; tout est bon à prendre !
Souvent, le gourou-médecin n’utilise pas les produits dont il chante les vertus : il suffit de faire le décompte des vitamines et flacons magiques agités comme « indispensables » pour réaliser qu’il ne pourrait pas tous les ingérer au quotidien ! D’autant plus que les vendeurs admettent qu’il peut être inefficace ou dangereux de les consommer simultanément.
Le plus profitable est de vendre directement les produits, mais on peut aussi déléguer ce service (moyennant dividendes) à un site partenaire.
Les produits sont mis en valeur par des publications supposées attester leurs vertus curatives ou préventives. Il est rare que des liens soient inclus, mais on peut les localiser en s’aidant d’un moteur de recherche. Quand l’article scientifique démontre au contraire l’absence de preuve d’efficacité, il est assez commun d’en détourner les conclusions ou le résumé, comme je l’ai expliqué sur mon article Compléments alimentaires (casse-tête) au sujet de probiotiques pour le traitement de l’obésité.
➡ On assiste en ce moment à une bataille rangée médiatique orchestrée par des « experts », entre le commerce florissant de l’huile de noix de coco et celui des autres huiles végétales (colza, soja…) qui représente un enjeu considérable aux USA. Tous les arguments sont bons à prendre, y compris celui d’un professeur d’Harvard qui remet le couvert sur le « cholestérol [des graisses saturées de l’huile de coco] qui bouche les artères » — voir mon article Pourquoi diminuer le cholestérol ?
Exploiter la notoriété de scientifiques renommés est un excellent investissement pour vendre un produit, ou dénigrer la concurrence, comme nous venons de le voir. La supercherie peut prendre une dimension spectaculaire quand il s’agit d’anciens prix Nobel à la recherche d’un regain de popularité — à moins qu’ils aient déjà « claqué leur pognon » ? Voir par exemple Louis J. Ignarro, co-primé en 1998 pour des découvertes au sujet de « l’oxyde nitrique comme molécule de signalement dans le système cardiovasculaire »N6. Selon un rapport de Pershing Square Capital Management, ce chercheur a su monétiser ses découvertes en recevant plus de 15 millions de dollars du marchand de compléments alimentaires HerbalifeN7. Or Ignarro s’appuie, pour la promotion de ses produits, sur des publications scientifiques où il apparaît en co-auteur et dont les figures ont été grossièrement falsifiées — une fraude récurrente en biomédecine. Ceux qui connaissent le domaine peuvent en contempler les détails sur le site de Leonid Schneider : N8. Depuis 2004, la démarche commerciale d’Ignarro est concurrencée par celle de Ferid Murad, son ancien coéquipier du prix Nobel qui s’est lui aussi lancé dans la promotion d’un produit de composition similaire.
De manière générale, toute page qui se termine par une offre commerciale — à l’exception peut-être du bouton « donation » — devrait être lue avec une « pincée de sel ». Il est nécessaire de recouper les informations avec d’autres sources plus fiables et moins directement intéressées, le plus sage étant de consulter un large éventail de publications scientifiques… Ce n’est pas facile pour celles et ceux qui ne lisent pas l’anglais, principale langue de communication académique, ou ne bénéficient pas d’un bagage suffisant en matière de documentation. C’est pour cette raison que le web francophone sur la santé est d’une affligeante pauvreté. La plupart des pages y sont fabriquées en copiant-collant d’autres pages, les plus anciennes étant de mauvaises traductions… de mauvais résumés. Je souhaite contribuer à quelques gouttes de discernement dans cet océan de confusion !
⇪ Faux commentaires
Des pratiques plus insidieuses apparaissent sur certains sites à grande fréquentation. Il est important de les repérer pour ne pas trop se « faire avoir ». Par exemple, ouvrir un fil de commentaires renseigné en premier par des commentateurs (rétribués) allant dans le sens du contenu de l’article, sous le couvert de prétendus débats sur des détails annexes. Sur un des sites anglophones les plus réputés de « médecine naturelle », je vois surgir les commentaires d’un même intervenant dans les minutes qui suivent la publication de chaque article. Ses interventions sont documentées, souvent constituées de fragments en provenance d’autres sources (par exemple Wikipedia) et suscitent donc les réponses élogieuses de lecteurs bernés par ce processus. Celles (mais le plus souvent ceux) qui interviennent positivement finissent pas se voir attribuer le grade de “super user” ou “super savvy” !
Il est matériellement impossible que cette personne rédige des commentaires aussi détaillés en si peu de temps. Un surdoué (super savvy) de son calibre devrait trouver mieux à faire que passer ses journées à surveiller les publications du site pour cirer les pompes de l’auteur ! Il s’agit probablement d’une personne réelle, incidemment bilingue anglais-espagnol comme le site… Ce monsieur “super savvy” n’a pas réagi à mes soupçons d’association avec les auteurs du site, et mon commentaire a été immédiatement supprimé. Je n’ai donc plus aucun espoir de qualification comme “super user” !
Cette manière de procéder peut être automatisée sans difficulté. Elle l’est certainement sur d’autres sites : programmer la publication d’un article et, dans les minutes qui suivent, l’envoi de commentaires d’abonnés virtuels, préparés à l’avance, qui ouvrent un (faux) débat afin d’attirer du traffic vers la publication — avec les offres commerciales qui lui sont associées…
Sur des sites de vente en ligne comme Amazon, la publication de faux commentaires destinés à faire la promotion (ou la contre-publicité) d’un produit peut conduire à des actions en justiceN9 en application de lois américaines qui défendent la libre concurrence loyale. Des dispositifs techniques (algorithmes de recherche) ont été mis en place pour détecter et empêcher ces pratiques. Toutefois, sur un site de « santé », rien ne prouve que les mêmes précautions aient été prises, ni que les auteurs du site ne s’y adonnent pas eux-mêmes.
⇪ “Fake news”
La publication de fausses nouvelles (fake news) n’est pas toujours facile à détecter. Il s’agit souvent de faits réels ayant donné lieu à des publications correctement documentées, mais dont on sélectionne des fragments pour les mettre en exergue, et au final vendre un produit.
Un exemple des plus choquants est celui de la présentation erronée de travaux du Dr Dale Bredesen, fondateur en 1998 du Buck Institute for Research on Aging aux USA (voir mon article Alzheimer). Un article de son équipe, Reversal of cognitive decline in Alzheimer’s disease (Dave et al., 2016N10) a exposé un premier résultat de l’application du protocole MEND : sur 10 personnes souffrant de déclin cognitif (mais pas toutes diagnostiquées Alzheimer) 8 ont obtenu une amélioration du score cognitif.
Ce qui fait dire à l’auteur d’un site francophone qu’un mystérieux « protocole M », un « traitement naturel élaboré par des médecins californiens a permis de guérir 8 patients sur 10 d’un groupe de malades d’Alzheimer »… Il va de soi que cette découverte est « cachée au grand public » et que son auteur, dont on publie la photo — sans préciser qu’il s’agit de Dave Bredesen — en a « exceptionnellement » autorisé la diffusion à un public « sélectionné ». Pour en savoir plus, achetez le livre : N11. Banco !
J’ai correspondu avec Dr Dale Bredesen, en août 2017, pour aider une personne en attente de diagnostic qui envisageait de suivre son traitement (ReCODE). Il le propose sous la désignation Bredesen Protocol™ à raison de 29 000 dollars pour une année, incluant toutes les activités, l’enseignement et le suivi médical. Sans préjuger de la valeur de cette offre de soin, on peut mettre en parallèle son prix avec le simple achat d’un bouquin supposé donner accès au « protocole M »…
⇪ “Success stories”
La plupart des sites de santé publient des témoignages de personnes ayant bénéficié des services ou des produits qu’ils vendent, agrémentés de photos « avant-après » lorsque le changement améliore leur apparence physique.
La prudence est de mise. Ces petits articles ne permettent pas toujours d’identifier les personnes, ni de les contacter pour recueillir leur avis personnel et poser des questions. Souvent, la recherche du nom aboutit au site où ils ont été suivis ou formés, avec pour seul lien un formulaire de contact géré par le site. Il arrive aussi que les noms et photographies soient volés à d’autres personnes. De manière générale, aucun fil de commentaires n’est attaché aux récits.
Que ce soit dans les ouvrages ou sur les sites, il me paraîtrait logique que les thérapeutes évoquent aussi leurs échecs et difficultés face à certains cas. Ma remarque s’adresse aussi aux médecins, il va de soi, bien qu’en France la législation leur interdise toute forme de publicité.
On peut être tenté d’aller chercher sur des forums les témoignages de personnes ayant essayé telle ou telle méthode. La tendance peut alors s’inverser, seules les personnes qui s’estiment flouées prenant la parole. J’ai lu des commentaires extravagants, comme ceux de personnes qui se plaignent de ne pas avoir pas perdu de poids après trois jours d’un régime amincissant !
Ma conclusion sur ces témoignages est que rien remplace celui d’une personne du monde réel dont on a pu observer l’évolution au cours du « traitement ». Les sites qui affichent des “success stories” perdent à mes yeux 90% de leur crédibilité.
⇪ “Upsell templates”
Cœur de métier de l’informatique, l’automatisation me donne l’occasion d’évoquer une tendance de plus en plus répandue dans le monde entier, en premier lieu sur les sites nord-américains : les gabarits de montée en gammeN13 — en anglais upsell templates.
Cette pratique existe dans le monde francophone, bien qu’elle utilise des outils moins élaborés car peu de logiciels sont traduits dans notre langue. On remarque déjà dans les URLs de sites francophones des mots comme « market », « basket » ou « checkout » qui révèlent l’utilisation d’un gabarit (template) emprunté au monde anglophone du commerce en ligne.
L’upselling est une technique de vente consistant à amener le consommateur à monter en gamme par l’achat d’un produit plus cher que celui qu’il avait prévu auparavantN13.
On ne se contente donc pas de proposer à la vente l’article ou le service choisi par l’acheteur, on essaie de le convaincre d’acheter plus, de profiter d’une « offre exceptionnelle » de très courte durée, d’ajouter des options, de bénéficier d’autres articles à prix réduits… et ainsi de suite jusqu’à épuisement des arguments. Heureusement pour le vendeur, ce marchandage est automatisé !
Les techniques de vente évoquées ici font appel à des algorithmes classiques, à la portée de n’importe quel programmeur patient guidé par un cahier des charges. Les futures versions pourraient s’appuyer sur l’apprentissage automatique (pompeusement rebaptisé « intelligence artificielle ») investi par les géants de l’informatique de réseau.
La construction et l’implémentation d’un business model semi-automatisé commence par une introspection sur les manières de « faire du fric » en vendant des produits, des services ou de l’assistance. Le périmètre du marché est délimité par les compétences des producteurs, mais on fait appel à l’upselling pour maximiser les profits. Tout cela est logique et relativement honnête, bien que certains puissent percevoir le fonctionnement de ce business model comme un détournement des idéaux de l’entrepreneur. Pour moi, le dérapage commence par la recherche d’une « valeur ajoutée » sans amélioration du service.
L’offre de coaching fait partie des items que les nouvelles technologies permettent de vendre à distance. Un site précise qu’au terme de sa formation le coach de santé devrait gagner jusqu’à 150 dollars de l’heure « sans quitter son domicile »… Je connais un musicien indien de grande renommée qui enseigne sur Skype (nettement moins cher) la pratique de son instrument. Des conseillers de toute sorte proposent des consultations ou des formations via Facebook Live, sans oublier les marchés plus juteux des sites de rencontre ou de propagande politique et religieuse.
Tout n’est donc pas à mettre dans le même sac. La plupart des activités sont licites et moralement acceptables, tandis que d’autres relèvent de la manipulation. Mais l’important est de savoir que toutes s’appuient sur la même technologie et font appel aux mêmes effets rhétoriques pour capter et fidéliser leur clientèle. Il est instructif de naviguer sur quelques offres (sans franchir l’étape « carte de crédit ») pour retrouver des éléments de langage qui ne varient pas d’un site à l’autre, que l’on achète un programme d’entraînement sportif ou une batterie de cuisine. La répétition des arguments (souvent au mot près) suffit à prouver que le vendeur a utilisé un gabarit automatisé, et peut faire douter de la sincérité de son discours.
Cette impression désagréable d’artificialité, avec un regard critique, se renforce par la réception de messages faussement personnalisés portant la signature et la photo du maître du lieu, mais de toute évidence rédigés par des humains assistés de robots obéissant à la même stratégie commerciale.
Le fait de trouver des upsell templates sur la plupart des sites de santé anglophones est affligeant car, si le discours a perdu en crédibilité, le contenu de certains services ou produits a pu rester de haute qualité… Ne pas confondre le fond et la forme ! On a souvent affaire à des vendeurs dont le métier d’origine est éloigné de ceux du commerce. Je pense à ces entraîneurs qui font état d’une carrière athlétique exemplaire, ou ces médecins-chercheurs, tous séduits par des fournisseurs de sites de vente en ligne. Ils ont troqué leur image charismatique contre les costumes mal fagotés de bonimenteurs de foire.
Comment s’y retrouver ? Simplement en lisant les ouvrages que ces personnes avaient publiés avant de se lancer dans cette aventure lucrative, et en vérifiant par l’expérience personnelle la validité de leur enseignement. Pour ce qui est du succès de leur business model, il faut garder la tête froide : ce qui est affiché sur le web reste virtuel, construit avec de simples outils de communication numérique qui peuvent donner l’illusion d’une entreprise florissante en « millions de dollars ». Rien ne garantit que cette façade n’est pas un cache-misère — il faudrait aller voir sur place. Mais personnellement je trouve la question sans intérêt…
⇪ Un cran au dessus : “full automation”
Un des outils les plus sophistiqués du commerce en ligne est le webinaire qui désigne toutes les formes de réunions interactives de type séminaire faites via internet généralement dans un but de travail collaboratif ou d’enseignement à distance (WikipediaN15).
Les webinaires permettent à des internautes d’assister en direct à des interventions (vidéo/audio), de poster leurs commentaires et questions pendant l’intervention, ainsi que, dans certaines configurations, d’intervenir par téléphone. C’est une forme de visioconférence adaptée aux limites de bande passante du web : le public reste invisible et les conférenciers apparaissent souvent seulement en photo.
Un webinaire bien conduit peut être très instructif grâce aux retours d’auditeurs qui sont mieux pris en compte que dans une conférence classique : les commentaires et questions défilent en temps réel (un peu comme des tweets) dans une fenêtre près de l’image principale. L’exposé proprement dit est fait de diapositives créées à l’aide de logiciels comme PowerPoint et peuvent inclure de la vidéo. Des questionnaires à choix multiples peuvent être soumis au public pour un sondage d’opinions.
Il y a peu d’automatisation dans un vrai webinaire, sauf que les conférenciers peuvent lancer leur diaporama en défilement automatique. C’est ici que le dérapage peut commencer… En effet, pourquoi ne pas pré-enregistrer l’intégralité de l’intervention et partir à la plage pendant sa diffusion, réservant pour la fin les interactions avec le public ? Cette pratique est fréquente. On peut la détecter en constatant la parfaite fluidité de l’intervention : aucune hésitation des locuteurs, aucune erreur sur les tours de parole. Un démarrage à la seconde près à l’heure annoncée et le déroulement exactement dans le temps prévu sont des indices que l’intervention était enregistrée : pas de raclement de gorge, pas d’hésitation ni réglage de micro ou de connexion. Tout cela, au final, n’est pas très humain… Seuls des intervenants experts en communication pourraient atteindre une telle dextérité (à supposer qu’elle soit utile). Or les spécialistes de coaching de santé sont rarement des comédiens professionnels…
En soi, ce n’est pas grave pourvu que les conférenciers soient de retour pour la partie questions-réponses. Leurs réponses sont orales, donc présumément spontanées.
Présumément ! Car j’assiste à des webinaires dont le déroulement laisse penser qu’ils pourraient être produits avec une plateforme comme Fake WebinarN16… Tout se passe bien en apparence, les exposés sont brillants, bien que pré-enregistrés. Les conférenciers, s’ils sont absents, trichent en affichant leur satisfaction d’accueillir un public « aussi nombreux et aussi diversifié ».
Dans un webinaire récent, les conférenciers ont lancé deux « votes » pour sonder leur audience, dont ils ont publié les « résultats » (sans préciser le nombre de votants). Le premier était crédible mais pour le second le formulaire de vote n’avait été affiché qu’une fraction de seconde ! Ce n’était pourtant pas un séminaire sur la télépathie.
Les commentaires qu’on voit apparaître « spontanément » peuvent en réalité avoir été préparés à l’avance, émanant de personnes virtuelles et programmés pour s’intégrer de manière synchronisée à l’exposé pré-enregistré. L’impression de naturel est parfaite : un auditeur publie le message : « Bonjour, je suis Jean-Pierre, de Clermont-Ferrand » et quelques secondes plus tard le conférencier s’interrompt : « Tiens, je vois arriver quelqu’un de Clermont-Ferrand. Bonjour Jean-Pierre ! » Mais en réalité tout est programmé, le « Jean-Pierre » n’existe pas…
Des commentaires de vrais participants peuvent s’y intégrer, avec pour réponses celles d’assistants embauchés pour répondre en direct. Voir la procédure de Fake WebinarN16 où l’on explique que ces vacataires (peu rémunérés) ont pour instruction de proposer un contact par email lorsqu’ils ne sont pas sûrs de la réponse.
Dans le webinaire au vote télépathique, j’avais posté deux commentaires qui ont bien été affichés en temps réel mais bizarrement ont disparu du replay le lendemain… Il se pourrait que seuls les commentaires programmés (autrement dit fictifs) apparaissent dans l’enregistrement. Il n’y a aucune raison qu’une personne physiquement présente au webinaire visionne le replay !
Ce qui me fait soupçonner qu’une partie des commentaires étaient programmés est que certains posaient une question importante — du style « Mais je n’ai pas les moyens de m’offrir votre formation à 2195 dollars ! » — qui recevait une réponse quasi immédiate, en l’occurrence des diapos détaillées de comparatifs de prix avec ceux de la concurrence.
Le replay m’a confirmé que les seules questions qui ont reçu des réponses — hors du fil de commentaires où officiait une porte-parole de l’organisme, peut-être aussi virtuelle — étaient celles qui énonçaient les hésitations à s’engager sur l’offre commerciale.
Les deux derniers commentaires postés quelques secondes avant la fin du webinaire, que je me dispenserai de traduire, étaient : “Ray : Looks like a steal, really. Sign me up !” puis “Kellie : Gotta be in it to win it !” La parité homme/femme était sauve. Du reste, le choix des prénoms de tous les commentateurs (nord-américains) avait l’air très ciblé : pas de « Mohamed » ni de « Ricardo »…
Le logiciel utilisé pour ce webinaire — identifié dans l’URL — était EasywebinarN17, un de ceux qui vantent les vertus de l’automatisation. Il y a bien sûr toujours de l’automatisation pour la diffusion d’invitations, puis l’envoi aux inscrits des identifiants de connexion et d’un rappel au tout début du webinaire, enfin un courrier « personnalisé » de remerciements à ceux qui y ont assisté, et pour les autres une invitation à revoir l’événement en vidéo (replay). Mais je suis certain qu’avec ce logiciel on peut aussi — même si ce n’était pas le cas — automatiser des flux de commentaires et faire tourner la machine sans aucune présence des conférenciers.
On peut donc, avec ces outils, automatiser des conversations entières qui sonnent « vrai » sans même faire appel à des outils d’intelligence artificielle. Encore une fois, malgré la convergence de nombreux indices, je ne suis pas certain que c’était le cas du webinaire que j’ai évoqué. Mais l’environnement logiciel rend possible cette dérive que de nombreux vendeurs accueillent, sans se dissimuler, comme la parfaite « machine de guerre » du commerce en ligne…
Je pense enfin à des questions qui évoquent un produit de la concurrence, auxquelles les auditeurs (fictifs ?) répondent entre eux, ce qui permet aux conférenciers d’éviter toute critique de leurs pairs en préservant le dernier maillon de la chaîne : le copinage.
⇪ Copinage
On pourrait résumer ainsi cette pratique : « Je te tiens, tu me tiens par la barbichette ! »
Dans un marché du health coaching en forte croissance, il ne serait pas intelligent de chercher à capter la clientèle en la détournant des concurrents. D’autant moins que les propositions finissent par se ressembler si elles s’appuient — du moins les plus sérieuses — sur un corpus commun de connaissances scientifiques. Une meilleure stratégie consiste à souligner les convergences de points de vue tout en affichant des spécificités.
Certains auteurs du web publient des entretiens audio ou vidéo avec des personnalités connues de leur domaine, ou qui se font connaître grâce à leur soutien. Y a‑t-il une démarche commerciale en arrière-boutique ? Il n’est pas facile pour un auditeur/lecteur non-averti de distinguer un effort collaboratif sincère de simples « renvois d’ascenseur ».
⇪ Vente pyramidale
Quand j’étais gamin, on racontait qu’un type avait passé une petite annonce dans un journal : « Je connais un moyen de gagner de l’argent sans travailler. Envoyez-moi un billet de 10 Francs et je vous révèlerai ma méthode ». Ceux qui tombaient dans le panneau recevaient une carte postale avec ces simples mots : « Faites comme moi ! »
Amusant, mais c’est une caricature assez réaliste de ce qu’on appelle aujourd’hui vente pyramidaleN18. Or cette supercherie est rendue possible, cette fois en toute légalité, par les plateformes automatisées.
Un webinaire auquel j’ai assisté n’était pas destiné à promouvoir du coaching sur la santé mais à vendre une formation complète (entre 15 semaines et 6 mois) incluant principalement la mise en route, clé en main, d’une entreprise appelée à des “six-figure revenues” : en bon français, des profits de l’ordre du million de dollars. Elle est pas belle la vie ? 🙂
Personne ne trouve bizarre qu’un athlète de haut niveau, après un demi-siècle d’une brillante carrière, puisse transmettre ses compétences en moins de six mois par le seul prodige d’un enseignement on-line. Un peu comme si Olivier Giroud (choisi au hasard) nous donnait accès (pour quelques milliers d’euros) à un site faisant de nous, en quelques semaines, un entraîneur d’équipe de football…
Les 6 mois incluent même l’apprentissage de la gestion de l’entreprise, mais cette partie est jouable puisque tout est automatisé. Je peux enseigner rapidement à n’importe qui comment publier des livres sur Amazon ou IngramSpark, mais pas ce qui sera écrit dans ses livres !
L’effet pyramidal démarre avec la vente, non plus des produits ou des services dont on possède l’expertise, mais de l’outil, du business plan qui est supposé rentabiliser cette vente. Les produits ne sont plus que des items à ranger dans les tiroirs du « cabinet de curiosités ». En fonction des profils de clients, on en prévoit pour des élèves véganes, paléo ou cétogènes, les jeunes et les moins jeunes… En réalité, les tiroirs ne contiennent rien d’autre que des fragments recyclés et packagés d’enseignements extraits des livres précédemment publiés. Vendre le même contenu dans un training à 3000 dollars est quand même plus rentable que dans 2 ou 3 ouvrages à 15 dollars… Mais les gens ne lisent plus, que voulez vous !
L’étape ultime consiste à vendre et configurer les plateformes informatiques sur ce modèle, ou mieux à en concevoir de nouvelles. On est entré de plain pied dans un processus de « post-humanisation » d’activités qui, au départ, supposaient une proximité physique et affective (quel vilain mot !) entre le coach et son trainee.
⇪ Demain on rase gratis…
En marge du marché du health coaching, on trouve en embuscade des « marchands de bonheur » qui enseignent comment s’enrichir, ou pour le moins mettre du beurre dans les épinards, par le simple truchement de machines qui servent à capter une audience, construire un fan club puis fidéliser une clientèle à la recherche d’une vie dégagée de toute contrainte. Devenir tous des « premiers de cordée » !
Ceux-là (des hommes pour la plupart) ne s’embarrassent pas de la notoriété de chercheurs scientifiques, de médecins médiatisés ni de vedettes du sport de compétition. Leurs jolies gueules et un bagout inépuisable leur suffisent à de faire des émules sur une chaîne Youtube… Il reste que, en privilégiant la forme sur le contenu, certains sites de santé ne sont pas loin d’atteindre la même vacuité.
▷ Liens
🔵 Notes pour la version papier :
- Les identifiants de liens permettent d’atteindre facilement les pages web auxquelles ils font référence.
- Pour visiter « 0bim », entrer dans un navigateur l’adresse « https://leti.lt/0bim ».
- On peut aussi consulter le serveur de liens https://leti.lt/liens et la liste des pages cibles https://leti.lt/liste.
- N1 · 4d7o · Modèle d’entreprise – Wikipedia
- N2 · fb5z · Video “Capture des emails des prospects en masse”
- N3 · 635f · Les règles d’or de la prospection par courrier électronique
- N4 · xf88 · Règlement général sur la protection des données – Wikipedia
- N6 · m9d1 · The Nobel Prize in Physiology or Medicine 1998
- N7 · 3jzx · The Dubious Promotion of Herbalife’s Niteworks
- N8 · ss40 · Fake data and real pomegranate juice in Nobelist Lois Ignarro’s papers
- N9 · rxg9 · Amazon sues 1,000 ‘fake reviewers’
- N10 · 44lr · Dave et al. (2016). Reversal of cognitive decline in Alzheimer’s disease
- N11 · an51 · Alzheimer, ce remède qu’on vous cache
- N12 · zug4 · Upsells : The Secret to Instantly Increasing Your Writing Income Without Adding More Clients
- N13 · er93 · Montée en gamme – Wikipedia
- N14 · 8rrv · The Automatic Newsletter
- N15 · 2eht · Webinaire – Wikipedia
- N16 · gx80 · Fake Webinar
- N17 · t805 · Easywebinar – A Powerful Webinar Tool For Automating Your Business
- N18 · 9buv · Vente pyramidale – Wikipedia
This post has 5184 words.
This post has 32493 characters.
Article créé le 22/08/2018 - modifié le 24/02/2024 à 10h59