Propagande

Health coaching” : business models en roue libre…

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Le domaine du coaching pour la santé (health coaching) est en nette crois­sance dans les pays à haut PIB. Nombreux sont celles et ceux qui voudraient se nour­rir saine­ment, et prati­quer de l’exer­cice tout en béné­fi­ciant d’un encadrement.

Cette crois­sance coin­cide avec l’ar­ri­vée sur le « marché » de baby-boomers nés au siècle dernier. Ils ont atteint un âge où la ques­tion de l’es­pé­rance de vie commence à se poser concrè­te­ment. Or, tous ne se satis­font pas des réponses de la méde­cine dite « préventive ».

Tendance de recherche de l'expression “health coaching” montrant un triplement des requêtes depuis 2004 (source Google)
Tendance de recherche de l’ex­pres­sion “health coaching” montrant un triple­ment des requêtes depuis 2004 (source Google)

Les sites qui proposent des solu­tions « en ligne » sont tous construits sur un modèle d’en­tre­priseN1 plus ou moins expli­cite. J’utilise le terme “busi­ness model” pour rappe­ler que ces notions ont vu le jour en Amérique du Nord, dans une culture qui, plus que la nôtre, juge accep­table de privi­lé­gier l’op­ti­mi­sa­tion du profit sur celle de la qualité du service.

La maîtrise du busi­ness model est indis­pen­sable pour assu­rer la renta­bi­lité — donc la survie — de toute entre­prise. Le problème que je vais expo­ser ici est celui de dérives du modèle dans des entre­prises suppo­sées entre­te­nir une rela­tion de confiance avec des personnes en demande de soutien (coaching).

Sommaire

Capture d’adresses

Source : AngelFire

Les auteurs des sites les plus modestes font appel à des dona­tions via un bouton PayPal, simple trans­po­si­tion de l’ap­proche share­ware utili­sée pour la distri­bu­tion de logi­ciels. D’autres proposent un produit « gratuit » — par exemple un simple fichier PDF à télé­char­ger — moyen­nant l’ins­crip­tion de l’internaute.

La gratuité du produit est illu­soire : son prix réel est la capture de l’adresse élec­tro­nique (et autres données person­nelles) d’un·e inter­naute intéressé·e par le contenu du site. Cette adresse pourra par la suite être utili­sée pour des offres publi­ci­taires ou des relances. C’est un « trésor de guerre » d’une telle impor­tance que les spécia­listes de web-marketting proposent des outils (logi­ciels de capture) et des stra­té­gies pour en augmen­ter le volumeN2.

Il est prudent de véri­fier que la cession d’une adresse élec­tro­nique est en confor­mité avec les règles que la Commission natio­nale infor­ma­tique et liber­tés (CNIL) avait instau­rées en France dès 2009N3, aujourd’­hui éten­dues à tous les pays de l’Union Européenne dans le cadre du Règlement géné­ral pour la protec­tion des données (RGPDN4) : on ne peut deman­der l’adresse d’un inter­naute qu’en préci­sant toutes les condi­tions de son utili­sa­tion, en décla­rant qu’elle ne sera jamais cédée à des tiers et en lui permet­tant à tout moment d’an­nu­ler son inscrip­tion sans four­nir de justi­fi­ca­tion. La non-conformité au RGPD est un critère suffi­sant pour ôter toute crédi­bi­lité aux respon­sables du site : soit ils ignorent la règle­men­ta­tion, soit ils ont négligé de mettre à jour leurs outils de communication.

Les adresses collec­tées peuvent aussi géné­rer du profit en étant vendues à des « trafi­quants d’adresses ». Une pratique très répan­due, condam­nable selon la légis­la­tion actuelle, mais diffi­cile à contrôler.

Vente de produits

Sur les sites de santé, la vente de complé­ments alimen­taires et d’ar­ticles pour la « salle de bains » (jusqu’au papier toilette en fibre de bambou !) est une acti­vité plus lucra­tive que le coaching. Les proprié­taires des sites utilisent leur noto­riété — parfois sous le titre abusif de « docteur » — pour promou­voir ces articles, en marge de conseils diffu­sés gratui­te­ment. Par exemple, un texte sur le massage se termine par un bouton à cliquer pour ache­ter de l’huile d’avo­cat cali­for­nienne ; tout est bon à prendre !

Souvent, le gourou-médecin n’uti­lise pas les produits dont il chante les vertus : il suffit de faire le décompte des vita­mines et flacons magiques agités comme « indis­pen­sables » pour réali­ser qu’il ne pour­rait pas tous les ingé­rer au quoti­dien ! D’autant plus que les vendeurs admettent qu’il peut être inef­fi­cace ou dange­reux de les consom­mer simultanément.

Le plus profi­table est de vendre direc­te­ment les produits, mais on peut aussi délé­guer ce service (moyen­nant divi­dendes) à un site partenaire.

Les produits sont mis en valeur par des publi­ca­tions suppo­sées attes­ter leurs vertus cura­tives ou préven­tives. Il est rare que des liens soient inclus, mais on peut les loca­li­ser en s’ai­dant d’un moteur de recherche. Quand l’ar­ticle scien­ti­fique démontre au contraire l’ab­sence de preuve d’ef­fi­ca­cité, il est assez commun d’en détour­ner les conclu­sions ou le résumé, comme je l’ai expli­qué sur mon article Compléments alimentaires (casse-tête) au sujet de probio­tiques pour le trai­te­ment de l’obésité.

➡ On assiste en ce moment à une bataille rangée média­tique orches­trée par des « experts », entre le commerce floris­sant de l’huile de noix de coco et celui des autres huiles végé­tales (colza, soja…) qui repré­sente un enjeu consi­dé­rable aux USA. Tous les argu­ments sont bons à prendre, y compris celui d’un profes­seur d’Harvard qui remet le couvert sur le « choles­té­rol [des graisses satu­rées de l’huile de coco] qui bouche les artères » — voir mon article Pourquoi diminuer le cholestérol ?

Exploiter la noto­riété de scien­ti­fiques renom­més est un excellent inves­tis­se­ment pour vendre un produit, ou déni­grer la concur­rence, comme nous venons de le voir. La super­che­rie peut prendre une dimen­sion spec­ta­cu­laire quand il s’agit d’an­ciens prix Nobel à la recherche d’un regain de popu­la­rité — à moins qu’ils aient déjà « claqué leur pognon » ? Voir par exemple Louis J. Ignarro, co-primé en 1998 pour des décou­vertes au sujet de « l’oxyde nitrique comme molé­cule de signa­le­ment dans le système cardio­vas­cu­laire »N6. Selon un rapport de Pershing Square Capital Management, ce cher­cheur a su moné­ti­ser ses décou­vertes en rece­vant plus de 15 millions de dollars du marchand de complé­ments alimen­taires HerbalifeN7. Or Ignarro s’ap­puie, pour la promo­tion de ses produits, sur des publi­ca­tions scien­ti­fiques où il appa­raît en co-auteur et dont les figures ont été gros­siè­re­ment falsi­fiées — une fraude récur­rente en biomé­de­cine. Ceux qui connaissent le domaine peuvent en contem­pler les détails sur le site de Leonid Schneider : N8. Depuis 2004, la démarche commer­ciale d’Ignarro est concur­ren­cée par celle de Ferid Murad, son ancien coéqui­pier du prix Nobel qui s’est lui aussi lancé dans la promo­tion d’un produit de compo­si­tion similaire.

De manière géné­rale, toute page qui se termine par une offre commer­ciale — à l’ex­cep­tion peut-être du bouton « dona­tion » — devrait être lue avec une « pincée de sel ». Il est néces­saire de recou­per les infor­ma­tions avec d’autres sources plus fiables et moins direc­te­ment inté­res­sées, le plus sage étant de consul­ter un large éven­tail de publi­ca­tions scien­ti­fiques… Ce n’est pas facile pour celles et ceux qui ne lisent pas l’an­glais, prin­ci­pale langue de commu­ni­ca­tion acadé­mique, ou ne béné­fi­cient pas d’un bagage suffi­sant en matière de docu­men­ta­tion. C’est pour cette raison que le web fran­co­phone sur la santé est d’une affli­geante pauvreté. La plupart des pages y sont fabri­quées en copiant-collant d’autres pages, les plus anciennes étant de mauvaises traduc­tions… de mauvais résu­més. Je souhaite contri­buer à quelques gouttes de discer­ne­ment dans cet océan de confusion !

Faux commentaires

Pinocchio

Des pratiques plus insi­dieuses appa­raissent sur certains sites à grande fréquen­ta­tion. Il est impor­tant de les repé­rer pour ne pas trop se « faire avoir ». Par exemple, ouvrir un fil de commen­taires rensei­gné en premier par des commen­ta­teurs (rétri­bués) allant dans le sens du contenu de l’ar­ticle, sous le couvert de préten­dus débats sur des détails annexes. Sur un des sites anglo­phones les plus répu­tés de « méde­cine natu­relle », je vois surgir les commen­taires d’un même inter­ve­nant dans les minutes qui suivent la publi­ca­tion de chaque article. Ses inter­ven­tions sont docu­men­tées, souvent consti­tuées de frag­ments en prove­nance d’autres sources (par exemple Wikipedia) et suscitent donc les réponses élogieuses de lecteurs bernés par ce proces­sus. Celles (mais le plus souvent ceux) qui inter­viennent posi­ti­ve­ment finissent pas se voir attri­buer le grade de “super user” ou “super savvy” !

Il est maté­riel­le­ment impos­sible que cette personne rédige des commen­taires aussi détaillés en si peu de temps. Un surdoué (super savvy) de son calibre devrait trou­ver mieux à faire que passer ses jour­nées à surveiller les publi­ca­tions du site pour cirer les pompes de l’au­teur ! Il s’agit proba­ble­ment d’une personne réelle, inci­dem­ment bilingue anglais-espagnol comme le site… Ce monsieur “super savvy” n’a pas réagi à mes soup­çons d’as­so­cia­tion avec les auteurs du site, et mon commen­taire a été immé­dia­te­ment supprimé. Je n’ai donc plus aucun espoir de quali­fi­ca­tion comme “super user” !

Cette manière de procé­der peut être auto­ma­ti­sée sans diffi­culté. Elle l’est certai­ne­ment sur d’autres sites : program­mer la publi­ca­tion d’un article et, dans les minutes qui suivent, l’en­voi de commen­taires d’abon­nés virtuels, prépa­rés à l’avance, qui ouvrent un (faux) débat afin d’at­ti­rer du traf­fic vers la publi­ca­tion — avec les offres commer­ciales qui lui sont associées…

Sur des sites de vente en ligne comme Amazon, la publi­ca­tion de faux commen­taires desti­nés à faire la promo­tion (ou la contre-publicité) d’un produit peut conduire à des actions en justiceN9 en appli­ca­tion de lois améri­caines qui défendent la libre concur­rence loyale. Des dispo­si­tifs tech­niques (algo­rithmes de recherche) ont été mis en place pour détec­ter et empê­cher ces pratiques. Toutefois, sur un site de « santé », rien ne prouve que les mêmes précau­tions aient été prises, ni que les auteurs du site ne s’y adonnent pas eux-mêmes.

“Fake news”

La publi­ca­tion de fausses nouvelles (fake news) n’est pas toujours facile à détec­ter. Il s’agit souvent de faits réels ayant donné lieu à des publi­ca­tions correc­te­ment docu­men­tées, mais dont on sélec­tionne des frag­ments pour les mettre en exergue, et au final vendre un produit.

Un exemple des plus choquants est celui de la présen­ta­tion erro­née de travaux du Dr Dale Bredesen, fonda­teur en 1998 du Buck Institute for Research on Aging aux USA (voir mon article Alzheimer). Un article de son équipe, Reversal of cogni­tive decline in Alzheimer’s disease (Dave et al., 2016N10) a exposé un premier résul­tat de l’ap­pli­ca­tion du proto­cole MEND : sur 10 personnes souf­frant de déclin cogni­tif (mais pas toutes diag­nos­ti­quées Alzheimer) 8 ont obtenu une amélio­ra­tion du score cognitif.

Ce qui fait dire à l’au­teur d’un site fran­co­phone qu’un mysté­rieux « proto­cole M », un « trai­te­ment natu­rel élaboré par des méde­cins cali­for­niens a permis de guérir 8 patients sur 10 d’un groupe de malades d’Alzheimer »… Il va de soi que cette décou­verte est « cachée au grand public » et que son auteur, dont on publie la photo — sans préci­ser qu’il s’agit de Dave Bredesen — en a « excep­tion­nel­le­ment » auto­risé la diffu­sion à un public « sélec­tionné ». Pour en savoir plus, ache­tez le livre : N11. Banco !

J’ai corres­pondu avec Dr Dale Bredesen, en août 2017, pour aider une personne en attente de diag­nos­tic qui envi­sa­geait de suivre son trai­te­ment (ReCODE). Il le propose sous la dési­gna­tion Bredesen Protocol™ à raison de 29 000 dollars pour une année, incluant toutes les acti­vi­tés, l’en­sei­gne­ment et le suivi médi­cal. Sans préju­ger de la valeur de cette offre de soin, on peut mettre en paral­lèle son prix avec le simple achat d’un bouquin supposé donner accès au « proto­cole M »…

“Success stories”

Photo loosing weight
How to Lose Weight in 4 Weeks !
Source : shut​ter​stock​.com

La plupart des sites de santé publient des témoi­gnages de personnes ayant béné­fi­cié des services ou des produits qu’ils vendent, agré­men­tés de photos « avant-après » lorsque le chan­ge­ment améliore leur appa­rence physique.

La prudence est de mise. Ces petits articles ne permettent pas toujours d’iden­ti­fier les personnes, ni de les contac­ter pour recueillir leur avis person­nel et poser des ques­tions. Souvent, la recherche du nom abou­tit au site où ils ont été suivis ou formés, avec pour seul lien un formu­laire de contact géré par le site. Il arrive aussi que les noms et photo­gra­phies soient volés à d’autres personnes. De manière géné­rale, aucun fil de commen­taires n’est atta­ché aux récits.

Que ce soit dans les ouvrages ou sur les sites, il me paraî­trait logique que les théra­peutes évoquent aussi leurs échecs et diffi­cul­tés face à certains cas. Ma remarque s’adresse aussi aux méde­cins, il va de soi, bien qu’en France la légis­la­tion leur inter­dise toute forme de publicité.

On peut être tenté d’al­ler cher­cher sur des forums les témoi­gnages de personnes ayant essayé telle ou telle méthode. La tendance peut alors s’in­ver­ser, seules les personnes qui s’es­timent flouées prenant la parole. J’ai lu des commen­taires extra­va­gants, comme ceux de personnes qui se plaignent de ne pas avoir pas perdu de poids après trois jours d’un régime amincissant !

Ma conclu­sion sur ces témoi­gnages est que rien remplace celui d’une personne du monde réel dont on a pu obser­ver l’évo­lu­tion au cours du « trai­te­ment ». Les sites qui affichent des “success stories” perdent à mes yeux 90% de leur crédibilité.

“Upsell templates”

Upsell-template
Source : N12

Cœur de métier de l’in­for­ma­tique, l’au­to­ma­ti­sa­tion me donne l’oc­ca­sion d’évo­quer une tendance de plus en plus répan­due dans le monde entier, en premier lieu sur les sites nord-américains : les gaba­rits de montée en gammeN13 — en anglais upsell templates.

Cette pratique existe dans le monde fran­co­phone, bien qu’elle utilise des outils moins élabo­rés car peu de logi­ciels sont traduits dans notre langue. On remarque déjà dans les URLs de sites fran­co­phones des mots comme « market », « basket » ou « checkout » qui révèlent l’uti­li­sa­tion d’un gaba­rit (template) emprunté au monde anglo­phone du commerce en ligne.

L’upsel­ling est une tech­nique de vente consis­tant à amener le consom­ma­teur à monter en gamme par l’achat d’un produit plus cher que celui qu’il avait prévu aupa­ra­vantN13.

On ne se contente donc pas de propo­ser à la vente l’ar­ticle ou le service choisi par l’ache­teur, on essaie de le convaincre d’ache­ter plus, de profi­ter d’une « offre excep­tion­nelle » de très courte durée, d’ajou­ter des options, de béné­fi­cier d’autres articles à prix réduits… et ainsi de suite jusqu’à épui­se­ment des argu­ments. Heureusement pour le vendeur, ce marchan­dage est automatisé !

Les tech­niques de vente évoquées ici font appel à des algo­rithmes clas­siques, à la portée de n’im­porte quel program­meur patient guidé par un cahier des charges. Les futures versions pour­raient s’ap­puyer sur l’ap­pren­tis­sage auto­ma­tique (pompeu­se­ment rebap­tisé « intel­li­gence arti­fi­cielle ») investi par les géants de l’in­for­ma­tique de réseau.

La construc­tion et l’im­plé­men­ta­tion d’un busi­ness model semi-automatisé commence par une intros­pec­tion sur les manières de « faire du fric » en vendant des produits, des services ou de l’as­sis­tance. Le péri­mètre du marché est déli­mité par les compé­tences des produc­teurs, mais on fait appel à l’upsel­ling pour maxi­mi­ser les profits. Tout cela est logique et rela­ti­ve­ment honnête, bien que certains puissent perce­voir le fonc­tion­ne­ment de ce busi­ness model comme un détour­ne­ment des idéaux de l’en­tre­pre­neur. Pour moi, le déra­page commence par la recherche d’une « valeur ajou­tée » sans amélio­ra­tion du service.

L’offre de coaching fait partie des items que les nouvelles tech­no­lo­gies permettent de vendre à distance. Un site précise qu’au terme de sa forma­tion le coach de santé devrait gagner jusqu’à 150 dollars de l’heure « sans quit­ter son domi­cile »… Je connais un musi­cien indien de grande renom­mée qui enseigne sur Skype (nette­ment moins cher) la pratique de son instru­ment. Des conseillers de toute sorte proposent des consul­ta­tions ou des forma­tions via Facebook Live, sans oublier les marchés plus juteux des sites de rencontre ou de propa­gande poli­tique et religieuse.

Tout n’est donc pas à mettre dans le même sac. La plupart des acti­vi­tés sont licites et mora­le­ment accep­tables, tandis que d’autres relèvent de la mani­pu­la­tion. Mais l’im­por­tant est de savoir que toutes s’ap­puient sur la même tech­no­lo­gie et font appel aux mêmes effets rhéto­riques pour capter et fidé­li­ser leur clien­tèle. Il est instruc­tif de navi­guer sur quelques offres (sans fran­chir l’étape « carte de crédit ») pour retrou­ver des éléments de langage qui ne varient pas d’un site à l’autre, que l’on achète un programme d’en­traî­ne­ment spor­tif ou une batte­rie de cuisine. La répé­ti­tion des argu­ments (souvent au mot près) suffit à prou­ver que le vendeur a utilisé un gaba­rit auto­ma­tisé, et peut faire douter de la sincé­rité de son discours.

Cette impres­sion désa­gréable d’ar­ti­fi­cia­lité, avec un regard critique, se renforce par la récep­tion de messages faus­se­ment person­na­li­sés portant la signa­ture et la photo du maître du lieu, mais de toute évidence rédi­gés par des humains assis­tés de robots obéis­sant à la même stra­té­gie commerciale.

Le fait de trou­ver des upsell templates sur la plupart des sites de santé anglo­phones est affli­geant car, si le discours a perdu en crédi­bi­lité, le contenu de certains services ou produits a pu rester de haute qualité… Ne pas confondre le fond et la forme ! On a souvent affaire à des vendeurs dont le métier d’ori­gine est éloi­gné de ceux du commerce. Je pense à ces entraî­neurs qui font état d’une carrière athlé­tique exem­plaire, ou ces médecins-chercheurs, tous séduits par des four­nis­seurs de sites de vente en ligne. Ils ont troqué leur image charis­ma­tique contre les costumes mal fago­tés de boni­men­teurs de foire.

Comment s’y retrou­ver ? Simplement en lisant les ouvrages que ces personnes avaient publiés avant de se lancer dans cette aven­ture lucra­tive, et en véri­fiant par l’ex­pé­rience person­nelle la vali­dité de leur ensei­gne­ment. Pour ce qui est du succès de leur busi­ness model, il faut garder la tête froide : ce qui est affi­ché sur le web reste virtuel, construit avec de simples outils de commu­ni­ca­tion numé­rique qui peuvent donner l’illu­sion d’une entre­prise floris­sante en « millions de dollars ». Rien ne garan­tit que cette façade n’est pas un cache-misère — il faudrait aller voir sur place. Mais person­nel­le­ment je trouve la ques­tion sans intérêt…

Un cran au dessus : “full automation”

Business and Marketing concept
Business and Marketing concept. Source : N14

Un des outils les plus sophis­ti­qués du commerce en ligne est le webi­naire qui désigne toutes les formes de réunions inter­ac­tives de type sémi­naire faites via inter­net géné­ra­le­ment dans un but de travail colla­bo­ra­tif ou d’en­sei­gne­ment à distance (WikipediaN15).

Les webi­naires permettent à des inter­nautes d’as­sis­ter en direct à des inter­ven­tions (vidéo/audio), de poster leurs commen­taires et ques­tions pendant l’in­ter­ven­tion, ainsi que, dans certaines confi­gu­ra­tions, d’in­ter­ve­nir par télé­phone. C’est une forme de visio­con­fé­rence adap­tée aux limites de bande passante du web : le public reste invi­sible et les confé­ren­ciers appa­raissent souvent seule­ment en photo.

Un webi­naire bien conduit peut être très instruc­tif grâce aux retours d’au­di­teurs qui sont mieux pris en compte que dans une confé­rence clas­sique : les commen­taires et ques­tions défilent en temps réel (un peu comme des tweets) dans une fenêtre près de l’image prin­ci­pale. L’exposé propre­ment dit est fait de diapo­si­tives créées à l’aide de logi­ciels comme PowerPoint et peuvent inclure de la vidéo. Des ques­tion­naires à choix multiples peuvent être soumis au public pour un sondage d’opinions.

Il y a peu d’au­to­ma­ti­sa­tion dans un vrai webi­naire, sauf que les confé­ren­ciers peuvent lancer leur diapo­rama en défi­le­ment auto­ma­tique. C’est ici que le déra­page peut commen­cer… En effet, pour­quoi ne pas pré-enregistrer l’in­té­gra­lité de l’in­ter­ven­tion et partir à la plage pendant sa diffu­sion, réser­vant pour la fin les inter­ac­tions avec le public ? Cette pratique est fréquente. On peut la détec­ter en consta­tant la parfaite flui­dité de l’in­ter­ven­tion : aucune hési­ta­tion des locu­teurs, aucune erreur sur les tours de parole. Un démar­rage à la seconde près à l’heure annon­cée et le dérou­le­ment exac­te­ment dans le temps prévu sont des indices que l’in­ter­ven­tion était enre­gis­trée : pas de racle­ment de gorge, pas d’hé­si­ta­tion ni réglage de micro ou de connexion. Tout cela, au final, n’est pas très humain… Seuls des inter­ve­nants experts en commu­ni­ca­tion pour­raient atteindre une telle dexté­rité (à suppo­ser qu’elle soit utile). Or les spécia­listes de coaching de santé sont rare­ment des comé­diens professionnels…

En soi, ce n’est pas grave pourvu que les confé­ren­ciers soient de retour pour la partie questions-réponses. Leurs réponses sont orales, donc présu­mé­ment spontanées.

Présumément ! Car j’as­siste à des webi­naires dont le dérou­le­ment laisse penser qu’ils pour­raient être produits avec une plate­forme comme Fake WebinarN16… Tout se passe bien en appa­rence, les expo­sés sont brillants, bien que pré-enregistrés. Les confé­ren­ciers, s’ils sont absents, trichent en affi­chant leur satis­fac­tion d’ac­cueillir un public « aussi nombreux et aussi diversifié ».

Dans un webi­naire récent, les confé­ren­ciers ont lancé deux « votes » pour sonder leur audience, dont ils ont publié les « résul­tats » (sans préci­ser le nombre de votants). Le premier était crédible mais pour le second le formu­laire de vote n’avait été affi­ché qu’une frac­tion de seconde ! Ce n’était pour­tant pas un sémi­naire sur la télépathie.

Les commen­taires qu’on voit appa­raître « spon­ta­né­ment » peuvent en réalité avoir été prépa­rés à l’avance, émanant de personnes virtuelles et program­més pour s’in­té­grer de manière synchro­ni­sée à l’ex­posé pré-enregistré. L’impression de natu­rel est parfaite : un audi­teur publie le message : « Bonjour, je suis Jean-Pierre, de Clermont-Ferrand » et quelques secondes plus tard le confé­ren­cier s’in­ter­rompt : « Tiens, je vois arri­ver quel­qu’un de Clermont-Ferrand. Bonjour Jean-Pierre ! » Mais en réalité tout est programmé, le « Jean-Pierre » n’existe pas…

Des commen­taires de vrais parti­ci­pants peuvent s’y inté­grer, avec pour réponses celles d’as­sis­tants embau­chés pour répondre en direct. Voir la procé­dure de Fake WebinarN16 où l’on explique que ces vaca­taires (peu rému­né­rés) ont pour instruc­tion de propo­ser un contact par email lors­qu’ils ne sont pas sûrs de la réponse.

Dans le webi­naire au vote télé­pa­thique, j’avais posté deux commen­taires qui ont bien été affi­chés en temps réel mais bizar­re­ment ont disparu du replay le lende­main… Il se pour­rait que seuls les commen­taires program­més (autre­ment dit fictifs) appa­raissent dans l’en­re­gis­tre­ment. Il n’y a aucune raison qu’une personne physi­que­ment présente au webi­naire visionne le replay !

Ce qui me fait soup­çon­ner qu’une partie des commen­taires étaient program­més est que certains posaient une ques­tion impor­tante — du style « Mais je n’ai pas les moyens de m’of­frir votre forma­tion à 2195 dollars ! » — qui rece­vait une réponse quasi immé­diate, en l’oc­cur­rence des diapos détaillées de compa­ra­tifs de prix avec ceux de la concurrence.

Le replay m’a confirmé que les seules ques­tions qui ont reçu des réponses — hors du fil de commen­taires où offi­ciait une porte-parole de l’or­ga­nisme, peut-être aussi virtuelle — étaient celles qui énon­çaient les hési­ta­tions à s’en­ga­ger sur l’offre commerciale.

Les deux derniers commen­taires postés quelques secondes avant la fin du webi­naire, que je me dispen­se­rai de traduire, étaient : “Ray : Looks like a steal, really. Sign me up !” puis “Kellie : Gotta be in it to win it !” La parité homme/femme était sauve. Du reste, le choix des prénoms de tous les commen­ta­teurs (nord-américains) avait l’air très ciblé : pas de « Mohamed » ni de « Ricardo »…

Le logi­ciel utilisé pour ce webi­naire — iden­ti­fié dans l’URL — était EasywebinarN17, un de ceux qui vantent les vertus de l’au­to­ma­ti­sa­tion. Il y a bien sûr toujours de l’au­to­ma­ti­sa­tion pour la diffu­sion d’in­vi­ta­tions, puis l’en­voi aux inscrits des iden­ti­fiants de connexion et d’un rappel au tout début du webi­naire, enfin un cour­rier « person­na­lisé » de remer­cie­ments à ceux qui y ont assisté, et pour les autres une invi­ta­tion à revoir l’évé­ne­ment en vidéo (replay). Mais je suis certain qu’a­vec ce logi­ciel on peut aussi — même si ce n’était pas le cas — auto­ma­ti­ser des flux de commen­taires et faire tour­ner la machine sans aucune présence des conférenciers.

On peut donc, avec ces outils, auto­ma­ti­ser des conver­sa­tions entières qui sonnent « vrai » sans même faire appel à des outils d’in­tel­li­gence arti­fi­cielle. Encore une fois, malgré la conver­gence de nombreux indices, je ne suis pas certain que c’était le cas du webi­naire que j’ai évoqué. Mais l’en­vi­ron­ne­ment logi­ciel rend possible cette dérive que de nombreux vendeurs accueillent, sans se dissi­mu­ler, comme la parfaite « machine de guerre » du commerce en ligne…

Je pense enfin à des ques­tions qui évoquent un produit de la concur­rence, auxquelles les audi­teurs (fictifs ?) répondent entre eux, ce qui permet aux confé­ren­ciers d’évi­ter toute critique de leurs pairs en préser­vant le dernier maillon de la chaîne : le copinage.

Copinage

On pour­rait résu­mer ainsi cette pratique : « Je te tiens, tu me tiens par la barbichette ! »

Dans un marché du health coaching en forte crois­sance, il ne serait pas intel­li­gent de cher­cher à capter la clien­tèle en la détour­nant des concur­rents. D’autant moins que les propo­si­tions finissent par se ressem­bler si elles s’ap­puient — du moins les plus sérieuses — sur un corpus commun de connais­sances scien­ti­fiques. Une meilleure stra­té­gie consiste à souli­gner les conver­gences de points de vue tout en affi­chant des spécificités.

Certains auteurs du web publient des entre­tiens audio ou vidéo avec des person­na­li­tés connues de leur domaine, ou qui se font connaître grâce à leur soutien. Y a‑t-il une démarche commer­ciale en arrière-boutique ? Il n’est pas facile pour un auditeur/lecteur non-averti de distin­guer un effort colla­bo­ra­tif sincère de simples « renvois d’ascenseur ».

Vente pyramidale

Quand j’étais gamin, on racon­tait qu’un type avait passé une petite annonce dans un jour­nal : « Je connais un moyen de gagner de l’argent sans travailler. Envoyez-moi un billet de 10 Francs et je vous révè­le­rai ma méthode ». Ceux qui tombaient dans le panneau rece­vaient une carte postale avec ces simples mots : « Faites comme moi ! »

Amusant, mais c’est une cari­ca­ture assez réaliste de ce qu’on appelle aujourd’­hui vente pyra­mi­daleN18. Or cette super­che­rie est rendue possible, cette fois en toute léga­lité, par les plate­formes automatisées.

Un webi­naire auquel j’ai assisté n’était pas destiné à promou­voir du coaching sur la santé mais à vendre une forma­tion complète (entre 15 semaines et 6 mois) incluant prin­ci­pa­le­ment la mise en route, clé en main, d’une entre­prise appe­lée à des “six-figure reve­nues” : en bon fran­çais, des profits de l’ordre du million de dollars. Elle est pas belle la vie ? 🙂

Personne ne trouve bizarre qu’un athlète de haut niveau, après un demi-siècle d’une brillante carrière, puisse trans­mettre ses compé­tences en moins de six mois par le seul prodige d’un ensei­gne­ment on-line. Un peu comme si Olivier Giroud (choisi au hasard) nous donnait accès (pour quelques milliers d’eu­ros) à un site faisant de nous, en quelques semaines, un entraî­neur d’équipe de football…

Les 6 mois incluent même l’ap­pren­tis­sage de la gestion de l’en­tre­prise, mais cette partie est jouable puisque tout est auto­ma­tisé. Je peux ensei­gner rapi­de­ment à n’im­porte qui comment publier des livres sur Amazon ou IngramSpark, mais pas ce qui sera écrit dans ses livres !

L’effet pyra­mi­dal démarre avec la vente, non plus des produits ou des services dont on possède l’ex­per­tise, mais de l’ou­til, du busi­ness plan qui est supposé renta­bi­li­ser cette vente. Les produits ne sont plus que des items à ranger dans les tiroirs du « cabi­net de curio­si­tés ». En fonc­tion des profils de clients, on en prévoit pour des élèves véganes, paléo ou céto­gènes, les jeunes et les moins jeunes… En réalité, les tiroirs ne contiennent rien d’autre que des frag­ments recy­clés et packa­gés d’en­sei­gne­ments extraits des livres précé­dem­ment publiés. Vendre le même contenu dans un trai­ning à 3000 dollars est quand même plus rentable que dans 2 ou 3 ouvrages à 15 dollars… Mais les gens ne lisent plus, que voulez vous !

L’étape ultime consiste à vendre et confi­gu­rer les plate­formes infor­ma­tiques sur ce modèle, ou mieux à en conce­voir de nouvelles. On est entré de plain pied dans un proces­sus de « post-humanisation » d’ac­ti­vi­tés qui, au départ, suppo­saient une proxi­mité physique et affec­tive (quel vilain mot !) entre le coach et son trai­nee.

Demain on rase gratis…

Get started!

En marge du marché du health coaching, on trouve en embus­cade des « marchands de bonheur » qui enseignent comment s’en­ri­chir, ou pour le moins mettre du beurre dans les épinards, par le simple truche­ment de machines qui servent à capter une audience, construire un fan club puis fidé­li­ser une clien­tèle à la recherche d’une vie déga­gée de toute contrainte. Devenir tous des « premiers de cordée » !

Ceux-là (des hommes pour la plupart) ne s’embarrassent pas de la noto­riété de cher­cheurs scien­ti­fiques, de méde­cins média­ti­sés ni de vedettes du sport de compé­ti­tion. Leurs jolies gueules et un bagout inépui­sable leur suffisent à de faire des émules sur une chaîne Youtube… Il reste que, en privi­lé­giant la forme sur le contenu, certains sites de santé ne sont pas loin d’at­teindre la même vacuité.

▷ Liens

🔵 Notes pour la version papier :
- Les iden­ti­fiants de liens permettent d’atteindre faci­le­ment les pages web auxquelles ils font réfé­rence.
- Pour visi­ter « 0bim », entrer dans un navi­ga­teur l’adresse « https://​leti​.lt/0bim ».
- On peut aussi consul­ter le serveur de liens https://leti.lt/liens et la liste des pages cibles https://leti.lt/liste.

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Article créé le 22/08/2018 - modifié le 24/02/2024 à 10h59

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