Le domaine du coaching pour la santé (health coaching) est en nette croissance dans les pays à haut PIB. Nombreux sont celles et ceux qui voudraient se nourrir sainement, et pratiquer de l’exercice tout en bénéficiant d’un encadrement.
Cette croissance coincide avec l’arrivée sur le « marché » de baby-boomers nés au siècle dernier. Ils ont atteint un âge où la question de l’espérance de vie commence à se poser concrètement. Or, tous ne se satisfont pas des réponses de la médecine dite « préventive ».

Les sites qui proposent des solutions « en ligne » sont tous construits sur un modèle d’entrepriseN1 plus ou moins explicite. J’utilise le terme “business model” pour rappeler que ces notions ont vu le jour en Amérique du Nord, dans une culture qui, plus que la nôtre, juge acceptable de privilégier l’optimisation du profit sur celle de la qualité du service.
La maîtrise du business model est indispensable pour assurer la rentabilité — donc la survie — de toute entreprise. Le problème que je vais exposer ici est celui de dérives du modèle dans des entreprises supposées entretenir une relation de confiance avec des personnes en demande de soutien (coaching).
Sommaire
⇪ Capture d’adresses

Les auteurs des sites les plus modestes font appel à des donations via un bouton PayPal, simple transposition de l’approche shareware utilisée pour la distribution de logiciels. D’autres proposent un produit « gratuit » — par exemple un simple fichier PDF à télécharger — moyennant l’inscription de l’internaute.
La gratuité du produit est illusoire : son prix réel est la capture de l’adresse électronique (et autres données personnelles) d’un·e internaute intéressé·e par le contenu du site. Cette adresse pourra par la suite être utilisée pour des offres publicitaires ou des relances. C’est un « trésor de guerre » d’une telle importance que les spécialistes de web-marketting proposent des outils (logiciels de capture) et des stratégies pour en augmenter le volumeN2.
Il est prudent de vérifier que la cession d’une adresse électronique est en conformité avec les règles que la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) avait instaurées en France dès 2009N3, aujourd’hui étendues à tous les pays de l’Union Européenne dans le cadre du Règlement général pour la protection des données (RGPDN4) : on ne peut demander l’adresse d’un internaute qu’en précisant toutes les conditions de son utilisation, en déclarant qu’elle ne sera jamais cédée à des tiers et en lui permettant à tout moment d’annuler son inscription sans fournir de justification. La non-conformité au RGPD est un critère suffisant pour ôter toute crédibilité aux responsables du site : soit ils ignorent la règlementation, soit ils ont négligé de mettre à jour leurs outils de communication.
Les adresses collectées peuvent aussi générer du profit en étant vendues à des « trafiquants d’adresses ». Une pratique très répandue, condamnable selon la législation actuelle, mais difficile à contrôler.
⇪ Vente de produits
Sur les sites de santé, la vente de compléments alimentaires et d’articles pour la « salle de bains » (jusqu’au papier toilette en fibre de bambou !) est une activité plus lucrative que le coaching. Les propriétaires des sites utilisent leur notoriété — parfois sous le titre abusif de « docteur » — pour promouvoir ces articles, en marge de conseils diffusés gratuitement. Par exemple, un texte sur le massage se termine par un bouton à cliquer pour acheter de l’huile d’avocat californienne ; tout est bon à prendre !
Souvent, le gourou-médecin n’utilise pas les produits dont il chante les vertus : il suffit de faire le décompte des vitamines et flacons magiques agités comme « indispensables » pour réaliser qu’il ne pourrait pas tous les ingérer au quotidien ! D’autant plus que les vendeurs admettent qu’il peut être inefficace ou dangereux de les consommer simultanément.
Le plus profitable est de vendre directement les produits, mais on peut aussi déléguer ce service (moyennant dividendes) à un site partenaire.
Les produits sont mis en valeur par des publications supposées attester leurs vertus curatives ou préventives. Il est rare que des liens soient inclus, mais on peut les localiser en s’aidant d’un moteur de recherche. Quand l’article scientifique démontre au contraire l’absence de preuve d’efficacité, il est assez commun d’en détourner les conclusions ou le résumé, comme je l’ai expliqué sur mon article Compléments alimentaires (casse-tête) au sujet de probiotiques pour le traitement de l’obésité.
➡ On assiste en ce moment à une bataille rangée médiatique orchestrée par des « experts », entre le commerce florissant de l’huile de noix de coco et celui des autres huiles végétales (colza, soja…) qui représente un enjeu considérable aux USA. Tous les arguments sont bons à prendre, y compris celui d’un professeur d’Harvard qui remet le couvert sur le « cholestérol [des graisses saturées de l’huile de coco] qui bouche les artères » — voir mon article Pourquoi diminuer le cholestérol ?
Exploiter la notoriété de scientifiques renommés est un excellent investissement pour vendre un produit, ou dénigrer la concurrence, comme nous venons de le voir. La supercherie peut prendre une dimension spectaculaire quand il s’agit d’anciens prix Nobel à la recherche d’un regain de popularité — à moins qu’ils aient déjà « claqué leur pognon » ? Voir par exemple Louis J. Ignarro, co-primé en 1998 pour des découvertes au sujet de « l’oxyde nitrique comme molécule de signalement dans le système cardiovasculaire »N6. Selon un rapport de Pershing Square Capital Management, ce chercheur a su monétiser ses découvertes en recevant plus de 15 millions de dollars du marchand de compléments alimentaires HerbalifeN7. Or Ignarro s’appuie, pour la promotion de ses produits, sur des publications scientifiques où il apparaît en co-auteur et dont les figures ont été grossièrement falsifiées — une fraude récurrente en biomédecine. Ceux qui connaissent le domaine peuvent en contempler les détails sur le site de Leonid Schneider : N8. Depuis 2004, la démarche commerciale d’Ignarro est concurrencée par celle de Ferid Murad, son ancien coéquipier du prix Nobel qui s’est lui aussi lancé dans la promotion d’un produit de composition similaire.
De manière générale, toute page qui se termine par une offre commerciale — à l’exception peut-être du bouton « donation » — devrait être lue avec une « pincée de sel ». Il est nécessaire de recouper les informations avec d’autres sources plus fiables et moins directement intéressées, le plus sage étant de consulter un large éventail de publications scientifiques… Ce n’est pas facile pour celles et ceux qui ne lisent pas l’anglais, principale langue de communication académique, ou ne bénéficient pas d’un bagage suffisant en matière de documentation. C’est pour cette raison que le web francophone sur la santé est d’une affligeante pauvreté. La plupart des pages y sont fabriquées en copiant-collant d’autres pages, les plus anciennes étant de mauvaises traductions… de mauvais résumés. Je souhaite contribuer à quelques gouttes de discernement dans cet océan de confusion !
⇪ Faux commentaires

Des pratiques plus insidieuses apparaissent sur certains sites à grande fréquentation. Il est important de les repérer pour ne pas trop se « faire avoir ». Par exemple, ouvrir un fil de commentaires renseigné en premier par des commentateurs (rétribués) allant dans le sens du contenu de l’article, sous le couvert de prétendus débats sur des détails annexes. Sur un des sites anglophones les plus réputés de « médecine naturelle », je vois surgir les commentaires d’un même intervenant dans les minutes qui suivent la publication de chaque article. Ses interventions sont documentées, souvent constituées de fragments en provenance d’autres sources (par exemple Wikipedia) et suscitent donc les réponses élogieuses de lecteurs bernés par ce processus. Celles (mais le plus souvent ceux) qui interviennent positivement finissent pas se voir attribuer le grade de “super user” ou “super savvy” !
Il est matériellement impossible que cette personne rédige des commentaires aussi détaillés en si peu de temps. Un surdoué (super savvy) de son calibre devrait trouver mieux à faire que passer ses journées à surveiller les publications du site pour cirer les pompes de l’auteur ! Il s’agit probablement d’une personne réelle, incidemment bilingue anglais-espagnol comme le site… Ce monsieur “super savvy” n’a pas réagi à mes soupçons d’association avec les auteurs du site, et mon commentaire a été immédiatement supprimé. Je n’ai donc plus aucun espoir de qualification comme “super user” !
Cette manière de procéder peut être automatisée sans difficulté. Elle l’est certainement sur d’autres sites : programmer la publication d’un article et, dans les minutes qui suivent, l’envoi de commentaires d’abonnés virtuels, préparés à l’avance, qui ouvrent un (faux) débat afin d’attirer du traffic vers la publication — avec les offres commerciales qui lui sont associées…
Sur des sites de vente en ligne comme Amazon, la publication de faux commentaires destinés à faire la promotion (ou la contre-publicité) d’un produit peut conduire à des actions en justiceN9 en application de lois américaines qui défendent la libre concurrence loyale. Des dispositifs techniques (algorithmes de recherche) ont été mis en place pour détecter et empêcher ces pratiques. Toutefois, sur un site de « santé », rien ne prouve que les mêmes précautions aient été prises, ni que les auteurs du site ne s’y adonnent pas eux-mêmes.
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