➡ Articles publiés dans « Le Canard enchaîné » (5 juillet 2023, page 4). Je suis un lecteur assidu de ce journal depuis plusieurs décennies. À ma connaissance, le seul journal crédible qui — sans renoncer au ton satirique — informe ses lecteurs des incohérences de la politique du nucléaire civil en France. Je n’hésite donc pas à relayer (moyennant une semaine d’embargo) quelques articles susceptibles d’alerter nos concitoyens sur ce grave problème. Bien entendu, sans oublier de recommander la lecture du « Canard » !
⚪️ Concepteur et actionnaire des réacteurs de Taishan, l‘électricien tricolore reste muet sur la solidité des assemblages de combustibles de ses EPR. En Chine comme à Flamanville.
Depuis les révélations du « Canard » (28 juin) sur l’arrêt, voilà cinq mois, de Taishan 1, vitrine chinoise des réacteurs nucléaires EPR conçus par EDF, l’électricien français observe un silence vitrifié.
Non pas parce qu’il conteste nos informations sur cette catastrophe industrielle, mais parce que, indique-t-on en interne, il n’est pas l’exploitant des centrales chinoises. Et aussi pour ne pas perturber une annonce à sensation de Macron ? Le jour même où paraissait le Palmipède, le Président, en visite à Marseille, a émis l’idée qu’en plus des six réacteurs nucléaires de type EPR déjà programmés, la France en ajoute d’autres sur le bassin de Fos !
Manque de bol, la « panne » de Taishan est bel et bien due aux composants de l’EPR fournis aux Chinois par Framatome, dont EDF est propriétaire. Cette fois, il ne s’agit pas d’un problème de fissure dans la cuve du chaudron à neutrons, ni de soudures bâclées ou de malfaçons dans les tuyauteries, mais de gaines trop oxydées.
Ces fameuses gaines, des tubes pas plus gros qu’un doigt mais d’une longueur de 4 mètres, contiennent le combustible sous la forme d’un empilement de pastilles d’uranium enrichi. Pour supporter la pression et les températures grimpant jusqu’à 320 °C, ces mikados sont fabriqués dans une feuille métallique composée d’un alliage de zirconium (98 %) auquel sont ajoutés de l’étain et du fer.
Les tubes fournis par Framatome à Taishan sont fragiles du fait d’un mauvais dosage en fer. L’oxydation accélérée des gaines provoque leur desquamation et produit des débris blanchâtres. Les experts de l’atome redoutent que l’usure précoce ne finisse par fissurer les tubes. Et que les matières radioactives ne se répandent dans le cœur nucléaire. Aïe !
L’emprise de la pastille
Concepteur, EDF est aussi actionnaire de Taishan. Il devra, qu’il le veuille ou non, dédommager les Chinois. Sachant que « chaque assemblage coûte environ 1 million d’euros », comme le précise Jean-Claude Zerbib, membre du groupe d’experts Global Chance, qui a publié sur son site une étude très documentée sur les questions de corrosion de gaines. Or un EPR est doté de 241 assemblages composés chacun de 265 crayons combustibles.
L’arrêt inopiné de Taishan 1 suscite d’autres questions radioactives. Quid des gaines de Taishan 2 ? Et quid de l’EPR normand, copie conforme des réacteurs chinois ? « Flamanville 3, dont le chargement du combustible s’effectuera au premier trimestre 2024, intégrera tous les enseignements tirés de l’exploitation de deux réacteurs EPR de Taishan », indique EDF. Rassurant. Les experts de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire sont moins affirmatifs : « Le risque d’oxydation accélérée dépend des teneurs en fer des coulées utilisées et des conditions d’exploitation », soulignent-ils. Si les tubes livrés à Flamanville en octobre 2020 et à l’été 2021 sont issus de la même « coulée » que ceux de Taishan 1, il ne restera plus qu’à réduire la puissance des réacteurs ou à envoyer les tubes au rebut. Petit hic : « Il faut bien deux ans pour fabriquer de nouveaux éléments combustibles », estime un ponte de l’atome.
Vu les retards colossaux qu’accuse déjà le programme EPR, on n’est plus à ça près ! ⚪️
🔵 Odile Benyahia-Kouider et Christophe Labbé
Rosatom, maillot jaune de l’atome
Casse-tête chinois ou… signe indien ? Depuis quinze ans, EDF tente vainement de vendre six exemplaires de son EPR à New Delhi. Les nombreuses visites en Inde de Luc Rémont, le pédégé d’EDF, et de Bruno Le Maire n’ont pas permis de débloquer les contrats (« Les Echos », 26 juin). Emmanuel Macron compte sur le défilé du 14-Juillet pour convaincre son invité d’honneur, Narendra Modi, le Premier ministre indien. Dans l’espoir d’une réaction en chaîne ?
Car, pour l’instant, le roi du nucléaire reste de loin Rosatom. D’après les données publiques compilées par le consultant Mycle Schneider dans son rapport 2022, le groupe russe a vendu 17 réacteurs à l’étranger, dont quatre en Chine, trois en Turquie, un en Biélorussie, un en Iran et… quatre en Inde.
Autre concurrent de taille pour EDF, la Chine, qui construit à tour de bras sur son territoire : 37 réacteurs ont poussé entre 2012 et 2021. Avec un temps moyen de construction de… six ans par tranche seulement. Les Chinois seraient-ils plus efficaces ou moins stricts sur la sécurité, ou les deux ?
⚪️ Le nucléaire, plus c’est gros, plus ça casse…
Pékin et EDF sont en train de le découvrir à leurs dépens : l’EPR chinois de Taishan 1 est tout à la fois — comme son frère jumeau de Taishan 2 — le réacteur le plus puissant (1 750 MW) et l’un des plus fragiles du monde… L’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) l’a déjà souligné : le risque de desquamation des barres de combustible repéré à Taishan 1 (lire ci-dessus) se révèle directement proportionnel à la taille du réacteur. En pratique : plus Taishan 1 tourne à plein régime, plus un phénomène d’« ébullition nucléée » se développe autour des gaines et entraîne leur corrosion accélérée. À la longue, si rien n’est fait, l’oxydation peut conduire à la rupture de certaines barres de combustible et mettre en péril la sûreté du réacteur.
Pour diminuer le danger sans arrêter la production d’électricité, il est possible de ralentir la réaction en chaîne. C’est la solution choisie par EDF et ses homologues chinois pour « ménager » la santé de l’autre EPR — Taishan 2 —, qui ne tourne plus qu’à environ 90 % de sa puissance initiale, quand Taishan 1 reste obstinément à l’arrêt… En 2021, la trop grande puissance des EPR avait déjà joué un vilain tour à l’empire du Milieu. Les ingénieurs locaux avaient alors découvert dans le circuit primaire des bouts de ressorts corrodés, arrachés par les vibrations et la force de la flotte circulant dans la cuve nucléaire de Taishan 1. Le réacteur avait dû être mis à l’arrêt, une première fois, durant un an.
En attendant 2024 — et de nouveaux tracas avec la mise en service des 1 600 MW de l’EPR de Flamanville ? —, la France collectionne déjà les ennuis dans ses 24 super-réacteurs qui atteignent ou dépassent la barre des 1 300 MW (bien loin de la norme mondiale, qui tourne autour de 900 MW).
Cette partie du parc — pourtant la plus récente — a été la plus frappée par les problèmes de « corrosion sous contrainte », avec des arrêts en cascade durant l’hiver dernier et plusieurs milliards d’euros de pertes pour l’électricien. De même, le phénomène chinois de desquamation des gaines a été observé dès 2021 dans les centrales de Chooz et de Civaux (1 450 MW). La puissance de ces installations avait alors été baissée sur injonction de l’Autorité de sûreté nucléaire. Faute de mieux. ⚪️
🔵 H. L.
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Article créé le 22/07/2023 - modifié le 22/07/2023 à 19h07