⚪️ Dans les EPR, même la « conception » de la chaudronnerie est à reprendre. Sous peine de voir le cœur du réacteur partir en sucette.
Annoncé le 12 janvier par EDF, le retard de la mise en route de la centrale EPR de Flamanville est le septième enregistré en onze ans. Et il n’est sans doute pas le dernier, car l’énergéticien doit faire face à un redoutable casse-tête rencontré sur la cuve du réacteur, là où s’opère la fission nucléaire.
Ce gros pépin a été découvert à l’occasion d’un accident survenu l’an passé sur l’EPR chinois de Taishan, construit exactement sur le même modèle que le français. En juillet 2021, l’engin a dû être arrêté en urgence — EDF a dû forcer la main aux autorités locales — en raison de la présence de nombreux et dangereux débris dans l’eau du circuit primaire baignant le cœur du réacteur.
Vérification faite, une partie des « crayons » de combustible se sont révélés en piteux état. Voire à moitié démantibulés, comme l’a révélé, en décembre dernier, la Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radio-activité (Criirad) dans un courrier adressé au gendarme de l’atome, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN).
La source des dégâts a été identifiée grâce aux renseignements transmis à la Criirad par « un lanceur d’alerte qui travaille dans l’industrie nucléaire » et a requis l’anonymat.
Le très officiel Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) confirme ces informations au « Canard » : « L’EPR a un problème de conception de sa cuve : la circulation de l’eau sous pression ne s’y passe pas comme prévu et entraîne des vibrations qui usent précocement les assemblages de combustible », explique Karine Herviou, directrice générale adjointe de l’IRSN.
L’industrie nucléaire a déjà fabriqué des centaines de cuves de réacteur sans trop de soucis, mais celles des EPR ne sont pas fichues comme les autres. Leur fond n’étant pas percé pour laisser passer des tuyaux, l’eau chaude, qui y circule sous haute pression à plus de 300°C, ne suit pas les mouvements de flux observés sur les réacteurs classiques.
Ça fait mal aux cuves
Pour éviter les mauvaises surprises, les ingénieurs d’EDF avaient cru trouver la parade en installant dans chaque fond de cuve un « déflecteur » — une pièce de métal destinée à réorienter correctement la flotte. A en croire la Criirad, l’efficacité de cet outil aurait cependant été mal calculée.
La Criirad et l’IRSN s’attendent tous deux aux mêmes difficultés sur les autres EPR (Taishan 2, Olkiluoto, en Finlande — qui vient de démarrer — et Flamanville). Et les solutions de dépannage ne sont pas légion. « Les assemblages de combustible ont été conçus de façon diffërente à Olkiluoto ; s’ils résistent mieux à la pression qu’en Chine, EDF pourrait s’en inspirer pour Flamanville », espère Karine Herviou. Une hypothèse mise en doute par l’électricien. De longs mois d’études, assortis d’une impressionnante rallonge budgétaire, seraient de toute façon nécessaires.
En cas d’échec, la vice-patronne de l’IRSN ne voit pas d’autre issue que de changer le déflecteur du fond de cuve avec, à la clé, un travail de mise au point aussi complexe que ruineux. Raffinement supplémentaire : personne n’est sûr, vu l’étroitesse de la place disponible dans une cuve d’EPR, que cette réparation soit techniquement envisageable.
En interne, EDF reconnaît que ses cuves ont été mal conçues. Un bricolage maison est déjà à l’étude : un renforcement des grilles de protection entourant le combustible. Comme l’ASN pourrait y mettre son veto, l’électricien planche sur une solution de repli. Il s’agirait, pour limiter les coups de boutoir de l’eau, de faire tourner l’EPR français et ses jumeaux chinois à seulement 60 % de leur puissance. Flamanville passerait alors d’une capacité de 1 650 mégawatts à moins de 1 000 et se retrouverait — pour une facture record de 13 milliards d’euros — moins performante que les réacteurs construits il y a cinquante ans. Encore une éclatante réussite française… ⚪️
🔵 Hervé Liffran
Lu dans Le Canard Enchaîné, 19/01/2022, p. 3
EDF très mal tuyauté
⚪️ EMPÊTRÉ depuis un an dans des problèmes de corrosion qui grignote la tuyauterie de ses centrales nucléaires, EDF pensait tenir une solution définitive : tronçonner les morceaux de tuyaux corrodés détectés dans un quart de ses réacteurs et les remplacer par des neufs. Simple mais titanesque.
Il a fallu recruter jusqu’aux États-Unis des soudeurs spécialisés, capables d’intervenir en zone contaminée. Une main‑d’œuvre très rare et qui ne peut jamais bosser très longtemps, car, une fois que le dosimètre mesurant les radiations reçues a viré au rouge, plus question de pénétrer dans la centrale pendant un an ! Sauf que ce plan est un peu rouillé…
Dans un courrier envoyé le 7 novembre à la direction d’EDF, l’Autorité de sûreté nucléaire révèle que les précieuses pièces de rechange, commandées par l’électricien à son sous-traitant italien Tectubi, sont elles aussi susceptibles d’être atteintes par la corrosion. Et pour cause : « faute de retour d’expérience incriminant les matériaux ou les procédés de fabrication », les nouveaux tuyaux ont été conçus « à l’identique », s’étrangle l’ASN.
Le gendarme reproche à l’énergéticien de ne pas avoir surveillé d’assez près le travail de son sous-traitant. Et l’ASN de dénoncer un manque de « traçabilité » et « un niveau d’approfondissement des gestes qui ne paraît pas en lien avec l’importance des enjeux ».
Interrogé sur les conséquences de ce ratage, EDF botte en touche. Ennuyeux. À ce jour, 13 réacteurs sont concernés par ce cancer de l’acier qui lézarde les circuits de refroidissement du cœur nucléaire. Et deux autres sont suspectés d’être rongés par ce mystérieux mal. La cécité d’EDF est d’autant plus fâcheuse que huit de ses réacteurs ont déjà été équipés avec les tuyauteries de remplacement…
L’électricien tricolore a‑t-il confondu morceaux de tuyaux et bouts de-ficelle ? ⚪️
🔵 O.B.-K. et C.L.
Lu dans Le Canard Enchaîné, 14/12/2022
Voir aussi : Le nucléaire français rayonne de moins en moins.
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Article créé le 10/02/2022 - modifié le 22/07/2023 à 18h48