Traduction de The Ersatz Nitrogen Crisis or Delusional Expertocracy and the Destruction of Dutch Agriculture (Hanekamp JC, 14 mars 2023N1)
➡ Le partage de cet article ne présuppose pas mon adhésion au convictions philosophiques et politiques des auteurs cités.
Sommaire
⇪ Introduction
⚪️ La « crise de l’azote » aux Pays-Bas repose sur l’idée fausse que la qualité de la nature est principalement déterminée par les dépôts d’azote provenant de l’agriculture. En d’autres termes, les dépôts d’azote sont considérés comme un « thermostat de la qualité de la nature » qui peut être régulé positivement en réduisant fortement l’agriculture néerlandaise.
Il est clair que le gouvernement néerlandais recourt à une expertocratie désastreuse pour tenter de contrôler l’agriculture nationale de haut en bas par le biais de l’azote (ou de ses composés) et de ses conséquences prétendument apocalyptiques sur la nature.
L’agriculture actuelle est « mauvaise », selon l’expertocratie extirpative. Cela vaut pour l’azote, mais aussi pour le dioxyde de carbone, qu’il faut désormais taxer pour « inciter » les gens à renoncer aux produits d’origine animale tels que la viande, le lait et le fromage.
Nous verrons si la population néerlandaise adhère à l’illusion de l’azote — les prochaines élections provinciales, qui auront également un impact sur la politique nationale, en seront un indicateur.
Quoi qu’il en soit, l’illusion néerlandaise sur l’azote porte gravement atteinte à l’activité humaine la plus fondamentale — la production de denrées alimentaires — et constitue un avertissement brutal pour le reste du monde (agricole).
⇪ L’illusion en deux actes – AERIUS et les charges critiques d’azote
La « crise » de l’azote aux Pays-Bas se résume à deux « actes » : un modèle qui simule les dépôts d’azote (N) et une norme qui définit ostensiblement les limites de dépôt d’azote au-delà desquelles des dommages à la nature ne peuvent être exclus. Le modèle est AERIUS et la norme est la charge critique d’azote (Nitrogen Critical Load, NCL). Ces deux éléments combinés ont créé la « crise » telle que nous la connaissons aujourd’hui aux Pays-Bas.
Comme nous le verrons, cette crise est totalement artificielle. Nous devrions l’appeler l’illusion néerlandaise de l’azote.
Néanmoins, elle est présentée par l’expertocratie, les politiciens et les médias comme une véritable urgence que nous devons résoudre à grands frais financiers, économiques, sociaux et personnels. Soit dit en passant, ces dépenses massives ne font l’objet d’aucune analyse coût-bénéfice (voir plus loin) !
Pour comprendre l’illusion, nous devons comprendre ce que sont les NCL et comment fonctionne AERIUS (si tant est qu’il fonctionne). Commençons par le modèle, car il joue un rôle central dans l’illusion néerlandaise sur l’azote.
⇪ AERIUS (OPS) – les mésaventures de la modélisation
L’Institut national pour la santé publique et l’environnement (RIVM) développe et gère les outils de calcul – AERIUS – utilisés pour modéliser l’émission et le dépôt d’azote sur les sites Natura2000. Le modèle des substances prioritaires opérationnelles (Operational Priority Substances model, OPS) est le cœur mathématique d’AERIUS et a été introduit en 1989.
OPS est présenté comme un modèle qui simule la séquence des processus atmosphériques d’émission, de dispersion, de transport, de conversion chimique et de dépôt. Le modèle est conçu comme un cadre universel permettant la modélisation d’une grande variété de polluants, et l’un de ses principaux objectifs est de calculer le dépôt de composés acidifiants sur les Pays-Bas à une résolution spatiale élevée.
La question à un milliard de dollars est la suivante : quel est le degré de précision offert par OPS ?
Il s’agit d’une question importante car, dans l’ensemble, l’OPS permet de réaliser deux choses qui nous intéressent ici : il est censé calculer un dépôt de fond annuel d’azote provenant de toutes les sources (nationales et internationales), et il calcule la contribution au dépôt d’azote d’une activité (source) spécifique — par exemple, une exploitation agricole qui prévoit de modifier le nombre de ses bovins — par rapport au dépôt de fond.
Il convient de noter qu’OPS, dans AERIUS, ne modélise pas les dépôts en tant que tels, mais fait des estimations qui contiennent une certaine dose d’incertitude. La modélisation n’est pas problématique en soi, car la mesure des dépôts secs d’azote (c’est-à-dire les dépôts d’azote qui ne se trouvent pas dans les précipitations) n’est réalisée nulle part avec succès.
De l’aveu même du RIVM, les incertitudes concernant les écosystèmes répartis à l’échelle nationale sont estimées à 25–30 % pour le NOy et le NHx, respectivement. Pour les écosystèmes spécifiques (500 x 500m à 5000 x 5000m), les incertitudes sont plus élevées : 60 à 100 % pour les dépôts de NOy et de NHx, respectivement.
Cependant, la situation s’avère bien pire pour les OPS.
Le Comité consultatif scientifique sur l’azote 2019–2020, dont votre serviteur était membre, a déjà noté qu’AERIUS ne peut pas modéliser les dépôts d’azote liés à des activités spécifiques (exploitations agricoles) avec une précision satisfaisante permettant de fournir ou d’étendre les licences environnementales à cette activité.
Ce verdict clair comme de l’eau de roche est rarement mentionné et n’est toujours pas pris en compte dans la réglementation !
En outre, en mars 2022, les études de validation de l’OPS ont été rendues publiques à la suite d’une demande d’accès à l’information (FOIA). Il est surprenant de constater que ces études n’ont pas été mises à la disposition du Comité consultatif scientifique sur l’azote !
Mon ami et collègue Matt Briggs (2022N2) a analysé ces études de validation de manière approfondie, ce qui a montré que l’OPS n’était qu’un ramassis d’élucubrations. Nos conclusions sont résumées dans Criticizing AERIUS/OPS Model Performance (Briggs WM et al., 2022N3) et dans notre Rebuttal On RIVM’s Critique Of Briggs et al. AERIUS/OPS Model Performance (Briggs WM et al., 2022N4).
Cette dernière a été publiée après que le RIVM ait fourni les données sous-jacentes des études de validation et publié une sorte de « réfutation » de notre première analyse. Voici nos principales conclusions :
- Les études de validation authentiques reconnaissent que le modèle est peu performant ;
- AERIUS/OPS ne peut souvent pas surpasser un modèle simple « moyen » ; c’est-à-dire qu’un modèle simple bat les prévisions d’AERIUS/OPS. AERIUS/OPS n’a donc aucune compétence et devrait donc être abandonné ;
- Les mesures de vérification utilisées dans les études antérieures sont inférieures aux normes et incomplètes, ce qui se traduit par des performances médiocres, considérées comme satisfaisantes d’un point de vue esthétique ;
- L’incertitude est mal prise en compte dans les simulations de l’OPS ;
- Le calcul de scénarios simples sur AERIUS produit des résultats insignifiants et non mesurables. Par exemple, la réduction de 50 % du cheptel bovin d’une exploitation agricole a diminué les dépôts d’azote de 0.1 %, un « événement » bien en deçà de la marge d’erreur des mesures et de la modélisation ;
- Compte tenu de ses nombreux échecs, de son manque de compétences et de ses piètres performances générales, AERIUS/OPS ne devrait pas être utilisé pour la prise de décision. Une vérification complète, et des améliorations découlant de ces vérifications, sont nécessaires avant que l’on puisse faire confiance au modèle.
Il est clair que l’OPS au sein d’AERIUS ne devrait pas être opérationnel en premier lieu. Il s’est avéré dépourvu de compétences dès sa création. Il est incapable de simuler le dépôt d’azote avec une précision significative.
Quoi qu’il en soit, AERIUS est toujours utilisé à ce jour et produit des images « brillantes » et dénuées de sens, telles que celle présentée ci-dessous, sur la base desquelles des décisions réglementaires de grande portée sont prises :
La solution à tous ces problèmes, et à d’autres encore, consiste à concevoir des expériences et à tester l’OPS de manière indépendante (indépendamment du RIVM !) sur des données entièrement nouvelles. En attendant ces expériences, l’OPS doit être mis de côté afin d’éviter les dommages sociétaux et économiques considérables résultant de son utilisation continue dans l’élaboration des politiques.
Deux événements intéressants se sont produits récemment en ce qui concerne ce modèle : une action en justice contre l’État néerlandais a été engagée pour mettre AERIUS en veilleuse, et un membre du Parlement — Pieter Omtzigt — a demandé au gouvernement néerlandais d’analyser juridiquement l’adéquation d’AERIUS à l’objectif poursuivi.
⇪ Charges critiques d’azote (NCL) – l’exactitude écologique fabriquée
Les charges critiques constituent les normes auxquelles les dépôts d’azote, tels qu’ils sont (mal !) modélisés par AERIUS, sont comparés. Comment comprendre les charges critiques d’azote d’un point de vue écologique ? Voyons cela de plus près.
Une charge critique (CL) est un niveau officiel d’exposition à une substance au-delà duquel on estime qu’un dommage environnemental est susceptible de se produire. Ces charges sont généralement présentées sous la forme de taux de dépôt atmosphérique en kilogrammes par hectare et par an. L’accent étant mis sur les composés azotés (N), les NCL figurent dans ce tableau. Le rapport de 1988 sur les charges critiques de soufre et d’azote définit les charges critiques comme suit :
Une estimation quantitative de l’exposition à un ou plusieurs polluants en dessous de laquelle, selon les connaissances actuelles, il n’y a pas d’effets nocifs significatifs sur des éléments sensibles spécifiés de l’environnement.
Cette définition de la charge critique, datant de 1988, est qualifiée de plus ou moins canonique. Il n’en reste pas moins que les définitions de la CL ont une portée générale, et nécessitent pour le moins quelques spécifications, en ce qui concerne les objectifs et les « écologies » (types d’écosystèmes).
Les premiers sont principalement décrits comme l’eutrophisation, l’acidification et les pressions sur la biodiversité (richesse des espèces). Les seconds font référence à toutes sortes d’habitats, tels que les habitats marins (classe A d’EUNIS), les habitats côtiers (classe B d’EUNIS), les habitats des eaux de surface intérieures (classe C d’EUNIS), etc. EUNIS est l’acronyme de European Nature Information System (système européen d’information sur la nature).
De manière inexpliquée, aux Pays-Bas, les NCL sont présentés comme des « valeurs singulières uniques », utilisées pour déterminer ostensiblement la détérioration des écosystèmes une fois que les dépôts d’azote, tels que simulés par AERIUS (!), dépassent ces valeurs singulières. Comme indiqué récemment dans ce rapport de 2022 (p. 326 ; c’est nous qui soulignons) :
Ces charges critiques pour les dépôts d’azote (…) sont la norme en vigueur aux Pays-Bas et sont également acceptées par le gouvernement et par les juges de la plus haute cour administrative. Et parce que ces charges critiques ont des valeurs uniques au lieu de fourchettes, il apparaît clairement que la charge critique d’un habitat spécifique est dépassée ou non.
D’un point de vue scientifique, le fait que les NCL soient ou non acceptées par les gouvernements et/ou les instances juridiques n’a aucune importance. Ces approbations ne peuvent pas soutenir et ne soutiennent pas les affirmations écologiques faites avec la NCL, et les conséquences écologiques supposées en cas de dépassement.
En fait, ceux qui établissent les NCL semblent avoir besoin de revenir au sophisme de l’appel à l’autorité pour étayer leur travail.
Dans un article publié l’année dernière (Briggs WM & JC Hanekamp, 2022N5), [nous] avons recensé les nombreuses lacunes de certains articles paradigmatiques sur la NCL. Par exemple, les définitions des charges critiques ne sont pas claires en ce qui concerne les mesures répétables ou cohérentes sur les mesures des plantes ou la chimie. Par exemple (c’est nous qui soulignons) :
Quelle que soit la charge critique, elle ne peut pas changer d’une chose à l’autre, c’est-à-dire changer de mesure. Le changement en soi n’est ni bon ni mauvais. Le fait que les différentes études qui ont montré, par exemple, comment la longueur d’une espèce particulière de Sphaigne est modifiée en moyenne d’une certaine manière n’est pas, en soi, intéressant. Il faut préciser pourquoi un certain niveau de croissance, si l’on ne considère que la croissance, est bon ou mauvais d’une manière ou d’une autre.
Ce n’est que le début de série d’erreurs de la NCL que nous avons trouvées dans les documents sur la NCL que nous avons évalués. L’incertitude et la manière dont elle n’est pas abordée dans le discours sur la CL se sont avérées être un sujet très préoccupant. L’incompréhension généralisée des statistiques dans la communauté écologique — Briggs peut tout expliquer sur l’erreur de signification — ne fait qu’empirer les choses.
Les facteurs d’incertitude non reconnus dans le NCL nous ramènent aux prétendues « valeurs uniques » pour la NCL. Il ne s’agit de rien d’autre que de pseudo-science. La précision écologique suggérée dans ces « valeurs uniques de NCL » est bidon et inventée de toutes pièces.
⇪ Détruire la société avec de la fausse science
Le pouvoir en place aux Pays-Bas a donc choisi une approche « unique » à l’égard de sa communauté agricole et, par conséquent, du reste de la population. Il a choisi de réduire de force sa capacité séculaire à fournir des produits alimentaires de qualité aux marchés néerlandais et européen, pour des raisons écologiques purement chimériques, sans même procéder à une analyse coûts-bénéfices appropriée.
Cette décision est insensée et dangereuse pour de nombreuses raisons. J’en aborderai cinq.
Premièrement, tous les peuples, dans l’histoire du monde, ont essayé de prendre en charge leur propre production alimentaire. L’histoire de Joseph en Égypte, telle qu’elle apparaît à partir de la Genèse 41 [voir lien], n’est qu’un exemple très ancien. Il importe peu de savoir si cette histoire est historique dans une certaine mesure ou non. Ce qui importe ici, c’est que la production de denrées alimentaires (et leur stockage adéquat) a toujours eu une valeur stratégique considérable et reconnue ! Rien n’a changé depuis l’Antiquité.
Ignorer la valeur stratégique de la production alimentaire nationale est tout simplement stupide et mène au désastre.
Deuxièmement, l’expertocratie ne remplace pas une bonne agriculture. La science peut être d’une grande aide pour améliorer l’agriculture, et les Pays-Bas sont un exemple fantastique à cet égard. Toutefois, l’expertocratie hypertrophiée que nous observons dans l’illusion de l’azote nuira au secteur agricole néerlandais, et à la population néerlandaise, tandis que l’expertocratie se tiendra à l’écart du danger.
Un exemple classique d’expertocratie qui n’engage pas sa responsabilité dans le match. C’est évident.
Troisièmement, la connaissance scientifique en elle-même, même de la plus haute qualité, n’est jamais […] une raison suffisante pour prendre une décision, quelle qu’elle soit. La connaissance scientifique n’est qu’un aspect parmi d’autres. Les enjeux en question sociaux, économiques, culturels, religieux, historiques et stratégiques doivent être pris en compte pour prendre une décision éclairée.
Un exemple simple suffira : est-ce que le fait de comprendre scientifiquement le « modèle du dé » (la probabilité de lancer un 6 avec un dé est de 1/6) m’oblige à parier sur un jeu qui utilise ce « modèle » ?
Bien sûr que non !
De nombreux autres aspects influencent ce choix. Je peux être très opposé aux paris en raison de mes croyances religieuses, ou je ne veux tout simplement pas mettre mon argent en jeu pour un jeu futile, ou je n’ai aucune confiance en ma capacité à lancer correctement un dé (pour quelque raison que ce soit), et ainsi de suite.
Quatrièmement, la « science » utilisée dans l’illusion de l’azote néerlandais est de la pire espèce. Je le répète, les simulations NCL et AERIUS sont présentées avec une précision numérique inexistante qui ne donne aucune idée de la qualité de la nature. Bien sûr, l’incertitude est discutée dans le discours sur l’azote, mais elle n’a aucune incidence sur l’utilisation réelle des deux.
Cinquièmement, même si nous admettons que « la science » est incontestable, ce qui n’est pas le cas (!), l’illusion néerlandaise sur l’azote n’est accompagnée d’aucune analyse des coûts et bénéfices pour la société. Pire encore, avec tout l’argent déversé dans cette illusion, il n’y a aucune évaluation à venir pour savoir si la nature profitera d’une réduction de l’agriculture néerlandaise.
En réalité, tout ce qui est dit sur les avantages pour la nature de la diminution des dépôts d’azote par la réduction des activités agricoles revient à la pseudo-science de la « valeur unique NCL » et aux simulations médiocres d’AERIUS.
Ce n’est rien d’autre qu’un raisonnement circulaire !
Il n’est pas étonnant que cette motion de la Chambre des députés sur les analyses coûts-bénéfices liées à la protection de la nature et aux dépôts d’azote n’ait jamais été exécutée. Les régulateurs et leur expertocratie savent qu’ils se présentent les mains vides !
La conclusion est inévitable : l’illusion néerlandaise sur l’azote est une dystopie prototypique résultant d’une demande scientiste, autoritaire et donc utopique d’une « agriculture reconstruite » — voir ma deuxième dissertation Utopie et Évangile.
Cette « agriculture nouvelle et améliorée » inexistante est, un deus ex machina, « bien meilleure » que l’actuelle. Cet argumentaire nirvana est présenté, évidemment, sans la moindre preuve. Et cela fait de l’expertocratie impliquée rien d’autre que des magiciens, fabriquant un monde futur qui est sciemment incohérent. ⚪️
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- N1 · u7u1 · The Ersatz Nitrogen Crisis or Delusional Expertocracy and the Destruction of Dutch Agriculture
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- N3 · qu32 · Criticizing AERIUS/OPS Model Performance
- N4 · i71s · Rebuttal On RIVM’s Critique Of Briggs et al. AERIUS/OPS Model Performance
- N5 · p5xj · Nitrogen Critical Loads : Critical Reflections on Past Experiments, Ecological Endpoints, and Uncertainties
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Article créé le 16/03/2023 - modifié le 1/04/2024 à 10h51