➡ Trois articles publiés dans « Le Canard enchaîné » (15 mars 2023, page 3). Je suis un lecteur assidu de ce journal depuis plusieurs décennies. À ma connaissance, le seul journal crédible qui — sans renoncer au ton satirique — informe ses lecteurs des incohérences de la politique du nucléaire civil en France. Je n’hésite donc pas à relayer (moyennant une semaine d’embargo) quelques articles susceptibles d’alerter nos concitoyens sur ce grave problème. Bien entendu, sans oublier de recommander la lecture du « Canard » !
⚪️ « L’âge d’or » de l’atome tricolore, que veut aujourd’hui ressusciter Macron, était aussi celui de drôles de bricolages.
Le calvaire des réacteurs ne fait que commencer
DEPUIS le début de l’épidémie de corrosion qui frappe le parc nucléaire, EDF et le gouvernement serinent une jolie ritournelle : ces pannes et ces malfaçons ne sont que la conséquence d’« une perte de compétence » due à une trop longue pause dans la construction de nouveaux réacteurs. Et de vanter cet âge d’or où la France maîtrisait si parfaitement la technologie atomique qu’elle avait pu mettre 58 réacteurs en service en moins de trente ans…
En réalité, les artisans du glorieux nucléaire made in France de jadis se sont, parfois, montrés encore moins pros que leurs actuels successeurs. En témoigne la récente découverte d’une profonde et très dangereuse fissure sur le réseau chargé de refroidir, en cas d’urgence, le réacteur 1 de Penly (Seine-Maritime). Après étude, EDF a découvert que les ouvriers chargés du montage des tuyaux, dans les années 80, avaient travaillé comme des bricoleurs du dimanche tripatouillant la plomberie de leur salle de bains. Ces petits malins avaient carrément forcé le métal pour en aligner les tronçons et les souder plus facilement. Le métal tordu ayant une fâcheuse tendance à se fragiliser, ce genre de facilité ne pardonne pas quand il s’agit du nucléaire…
Ingénieurs mal tuyautés
Autre exemple du génie national ? Les fameuses corrosions sous contrainte, qui ont attaqué d’autres canalisations, sont la conséquence d’une énorme bévue des ingénieurs du présumé « âge d’or ». Ces finauds avaient décidé, au début des années 80, de franciser l’architecture des réacteurs américains Westinghouse en modifiant leurs tuyauteries. Résultat : l’eau ne circulait plus comme elle aurait dû le faire, et la pression a créé des contraintes dommageables pour le métal. Aujourd’hui, la réfection de ces vieilles soudures coûte plusieurs milliards d’euros à EDF…
Les fabricants de cuves nucléaires (où a lieu la réaction en chaîne) n’étaient pas forcément plus dégourdis dans les années 70 qu’en 2015, lorsque de graves malfaçons ont été découvertes sur la cuve de l’EPR de Flamanville (Manche). Ainsi, celle de Tricastin 1 (Drôme) a été si bien forgée qu’elle comporte plus de 20 microfissures, obligeant l’exploitant à les surveiller comme le lait sur le feu…
Cette litanie des malfaçons cachées n’en est sans doute qu’à ses prémices. De nombreuses pièces présumées alors en bon état par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) ne le sont, en effet, plus aujourd’hui, au vu des derniers incidents survenus là où aucun expert ne les attendait.
Du coup, le gendarme du nucléaire s’apprête à demander à l’électricien national de revoir, une fois encore, toute sa politique de maintenance. Ce coup-ci, en portant une attention particulière à un mécanisme des plus cruciaux pour la sûreté : le circuit primaire principal, qui transporte l’eau bouillante et radioactive venue du réacteur.
Jusqu’à présent, l’ASN et l’électricien se contentaient d’examiner, une fois tous les dix ans, une seule des 42 ou 56 soudures présentes sur ce circuit censé ne jamais présenter de fuite. Aucune fissure n’avait alors été détectée. « Nous avions pris l’habitude de ne vérifier que la soudure considérée comme la plus fragile, confesse un expert, mais ce raisonnement était fondé sur l’hypothèse que tous les travaux avaient été effectués correctement. Aujourd’hui, nous découvrons que rien n’est moins sûr et qu’il faudra tout regarder… »
Il était vraiment temps de s’en apercevoir !
Macron atomise l’IRSN
« C‘EST UNE DÉCISION présidentielle ! » L’un des principaux acteurs du nucléaire ne le cache pas au « Canard » : la décision de dissoudre l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) a été prise par Macron en personne. Cette mesure, qui doit s’accompagner d’une absorption des activités de recherche et d’expertise de l’IRSN par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), a été entérinée lors d’un Conseil de politique nucléaire consacré à la construction de nouveaux réacteurs EPR, qui s’est tenu à l’Elysée le 3 février [2023].
Le Conseil en question s’est prononcé sur la base d’un rapport qui a été aussitôt classé confidentiel-défense, comme le reconnaît la Présidence. Plutôt curieux, pour un document censé traiter d’un dossier purement civil, à même d’intéresser l’Assemblée nationale, qui débat cette semaine du projet de loi sur l’accélération du nucléaire et de la fin de l’IRSN…
Plusieurs interlocuteurs du « Canard » précisent que ce rapport secret, rédigé par Daniel Verwaerde, ancien patron du Commissariat à l’énergie atomique, a été modifié sur l’intervention de Macron en vue d’y ajouter au dernier moment la disparition de l’Institut de radioprotection.
Cette dissolution n’est que la conclusion d’une intense campagne de dénigrement menée par le lobby du nucléaire. « L’IRSN s’est comporté parfois comme une autorité indépendante, alors qu’il n’est là que pour donner son avis sur des dossiers techniques », peste un cador d’EDF. Surtout, l’électricien n’a pas apprécié de voir l’Institut publier — le plus légalement du monde — des études techniques susceptibles de fragiliser les petits arrangements qu’il cherchait à négocier avec l’ASN pour limiter le coût de la sûreté.
Le secret et le silence sont tellement plus rassurants… ⚪️
🔵 Hervé Liffran
⚪️ Comment Emmanuel a plaqué Astrid
MACRON plus fort que la loi. En 2018, le Président — qui n’avait pas encore effectué sa spectaculaire conversion à l’atome — a fait fermer, en toute discrétion, un programme nucléaire d’avant-garde baptisé « Astrid », à Marcoule (Gard). C’est la commission d’enquête parlementaire sur la perte de souveraineté énergétique de la France qui a braqué les projecteurs sur cette décision, s’étonnant de « la discrétion qui l’a entourée ».
En éteignant Astrid, Macron s’est tout bonnement assis sur un vote du Parlement qui prévoyait la construction d’un réacteur à neutrons rapides (RNR). Un « surgénérateur » qui se nourrit de ses propres déchets et pourrait donc aider à régler la question de l’élimination des résidus nucléaires et celle de la souveraineté dans l’approvisionnement en combustible. Une technique sur laquelle Américains, Chinois, Japonais et Russes (lesquels possèdent deux RNR) font de nombreuses expérimentations depuis plus de soixante-dix ans, parfois stoppées pour des raisons politiques et écologiques : huit RNR sont aujourd’hui à l’arrêt. Mais cinq sont en fonctionnement et ces pays ont relancé leurs recherches avec… énergie.
D’art et déchets
En France, l’histoire commence le 28 juin 2006, lorsque Chirac fait voter une loi de « programmation de gestion durable des déchets radioactifs ». Il y est décidé de « mettre en exploitation avant le 31 décembre 2020 » un RNR. Le projet, lancé en 2010, bénéficiera à terme d’un budget de 7 milliards.
Selon l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), qui rendra un rapport sur la question en juillet 2021, « Astrid était le projet phare de la recherche et développement nucléaire en France ». Le RNR, selon l’un des responsables du projet au Centre de l’énergie atomique (CEA), devait à la fois diviser par 10 la masse des déchets et diminuer leur durée de radiotoxicité (de plusieurs centaines de milliers d’années à cinq cents ans).
Enfin, selon ce responsable, les 400 000 tonnes de déchets nucléaires existant en France permettraient de produire plusieurs milliers d’années de consommation électrique française au niveau actuel. Mais le projet s’est heurté à l’opposition résolue d’Orano (ex-Areva). Le groupe réalise un chiffre‑d’affaires de 5 milliards en produisant de l’uranium et du MOX, qui alimentent les centrales actuelles, dont on n’a plus besoin avec les RNR.
Dès 2017, écrit l’Opecst, il est décidé en douce de « diviser par 4 la puissance du futur prototype ». « On est alors en pleine sortie du nucléaire », explique un responsable d’EDF. Et, le 29 mars 2018, Matignon raie carrément Astrid du Programme d’investissements d’avenir (PIA). En raison d’« une impasse budgétaire », expliquera le 29 janvier 2023 à la commission d’enquête parlementaire Benoît Ribadeau-Dumas, ex-directeur de cabinet du Premier ministre Edouard Philippe. Pour la plus grande satisfaction d’Areva, qui faisait un lobby intensif, soulignant le coût élevé du programme Astrid et le « prix bas » de l’uranium.
Pourquoi, dès lors, l’économiser ? La cellule qui coordonnait le programme à Marcoule est fermée, sans la moindre annonce officielle. Il faudra attendre un article du « Monde », en août 2019, pour apprendre l’abandon du fleuron de la recherche nucléaire française, dans lequel l’Etat avait mis 800 millions d’euros. Et sans que le Parlement ait voté de loi annulant celle qui, treize ans auparavant, avait lancé Astrid.
À quoi bon ces formalités inutiles ? ⚪️
🔵 Hervé Martin
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Article créé le 26/03/2023 - modifié le 22/07/2023 à 19h22