Qu’y a‑t-il dans ma lasagne ?
⚪️ C’est fait ? pas encore… Sitôt reçue la lettre du commissaire européen à la Santé et à la Sécurité alimentaire, notre ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, a livré au Conseil d’Etat, comme le veut la procédure, son fameux projet d’étiquetage des plats cuisinés à base de lait ou de viande. Le consommateur va enfin savoir d’où viennent la viande de sa barquette de hachis parmentier ou de ses raviolis en boîte et les ingrédients laitiers de ses barres pâtissières industrielles.
Une catastrophe pour l’agroalimentaire, qui touille ses produits avec de la poudre de lait ou les fourre au minerai de viande, ce mélange désossé et congelé de muscles et de tissus graisseux provenant de multiples vaches tuées dans des abattoirs allemands, polonais ou roumains. Quand, en février 2013, François Hollande annonce qu’il veut « un étiquetage obligataire sur les viandes insérées dans les plats cuisinés », les éleveurs applaudissent, tandis que le lobby agroalimentaire s’étrangle à l’idée de devoir informer le consommateur que ses cannellonis surgelés ont été confectionnés avec du minerai issu de huit vaches de diverses nationalités. Et brandit la menace d’un surcoût de 50%.
Visiblement sensible aux sirènes des industriels, Bruxelles a produit, six mois plus tard, un rapport pour dire à quel point mentionner l’origine des ingrédients dans les plats cuisinés allait s’avérer extrêmement difficile et coûteux, et qu’il valait mieux conserver les très limpides mentions « Origine Union européenne » ou « Origine Non Union européenne ». C’est là qu’en mars, contre toute attente, Le FoIl est remonté au créneau en demandant à la Commission le droit d’expérimenter chez nous l’étiquetage d’origine. Mais la France n’a pas définitivement emporté le morceau…
D’abord, l’étiquetage expérimental ne débutera qu’en janvier 2017, et que sera-t-il décidé deux ans plus tard, à la fin du test ? Ensuite, seuls les produits fabriqués et vendus en France sont concernés. Une sauce bolognaise concoctée avec du minerai communautaire se contentera de la précision « Origine Union européenne ». Enfin, il reste à trancher cette question : à partir de quel pourcentage de viande ou de lait l’étiquette devient-elle transparente ?
Le ministère mise sur au moins 50%. Un seuil jugé trop élevé par les associations de consommateurs, qui font valoir que tout un tas de plats industriels passeraient à l’as, tels les raviolis de bœuf, les cordons bleus, les lasagnes de bœuf, symbole de la malbouffe mondialisée depuis qu’on y a trouvé du cheval, qui ne comptent que 10% de viande…
Le Foll va vraiment devoir prendre le taureau (européen) par les cornes ! ⚪️
🔵 Le Canard enchaîné, 13 juillet 2016, p. 5
Ah ça Inra !
⚪️ Jamais l’Institut national de la recherche agronomique (Inra), avec ses 8000 agents, dont près de 2000 chercheurs, n’avait connu ça : une violente bataille de succession pour prendre la tête de ce qui représente, selon la Confédération paysanne, l’outil d’ « accompagnement du modèle productiviste des dernières décennies ». Deux candidats : d’un côté, François Houiller, l’actuel président, qui, après quatre ans de mandat, veut remettre ça. De l’autre, Philippe Mauguin, l’actuel directeur de cabinet du ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, déjà pressenti à ce poste en 2012. Le premier, soutenu par un collectif de personnels et de chercheurs, qui se sont mobilisés sous le nom de « @InraAlerte », a aussi reçu l’appui public de Xavier Beulin, le patron de la FNSEA, syndicat surpuissant du secteur. Vendredi 1er juillet, ils y sont carrément allés de leur communiqué de presse pour interpeller directement le gouvernement.
Quel est l’enjeu du débat ? S’agit il là du grand affrontement attendu entre les tenants de l’agro industrie chimique et productiviste et ceux d’une agriculture plus respectueuse de la nature ?
Non. Entre les deux prétendants, seule l’épaisseur d’une feuille de papier peut départager leur vision de l’agriculture. François Houiller, qui n’a rien contre les fermes usines, a laissé publier durant son mandat un rapport de l’Inra très critique à l’égard de l’agriculture biologique. « Ce n’est pas le candidat de la rupture, il n’a pas révolutionné l’agriculture », glisse au Canard Laurent Pinatel, le porte parole de la Confédération paysanne. Son ami Xavier Beulin ne dira pas le contraire. Quant à Philippe Mauguin, il est l’un des principaux artisans des politiques agricoles défendues par Le Foll, qui, depuis 2012, n’ont eu d’agroécologique que le nom.
Alors ? Alors c’est tout simplement que, à moins d’un an de la prochaine présidentielle, les temps sont durs dans les cabinets socialistes. Beaucoup cherchent à se recaser. Après Philippe Vinçon, conseiller agriculture de Hollande, qui a pris la direction de la recherche au ministère de l’Agriculture, c’est au tour de Philippe Mauguin. Et, à l’Inra, ça ne passe pas. Il y aurait conflit d’intérêts : la nomination de Philippe Mauguin serait illégale car il postule « à la tête d’un établissement public dont il exerce la tutelle par délégation de son ministre ». Et de brandir la menace d’un recours devant le Conseil d’Etat. Aux armes !
Le duel fratricide entre productivistes accouchera sans doute d’un statu quo. La recherche sur le bio ou sur la séquestration du carbone par les sols grâce à de bonnes pratiques agricoles, sujet sur lequel l’Inra avait pondu un rapportN1 sans suite en 2003, risque de garder encore longtemps son allure d’escargot… ⚪️
🔵 Professeur Canardeau
Le Canard enchaîné, 13 juillet 2016, p. 5
➡ Philippe Mauguin a été nommé président de l’INRA au Conseil des ministres du 19 juillet 2016.
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- N1 · b0y5 · Contribution à la lutte contre l’effet de serre : stocker du carbone dans les sols agricoles de France ?
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Article créé le 21/07/2016 - modifié le 23/07/2021 à 20h13