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La bouche, miroir de votre santé

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Source : N1

Dr Bruno Donatini
Flammarion, 2022N1

J’ai étudié cet ouvrage avec beau­coup d’in­té­rêt afin de cerner le cadre théo­rique d’un trai­te­ment par myco­thé­ra­pie (mycé­lium de cham­pi­gnons alimen­taires), sur cette base, qui m’a été pres­crit à l’au­tomne 2022.

Il faut le recon­naître, la lecture en est diffi­cile — voire anxio­gène — car le sujet est complexe, loin du discours simpli­fi­ca­teur et récon­for­tant des « maga­zines de santé »… Médecin et cher­cheur (voir Google Scholar), l’au­teur parle beau­coup des mala­dies auxquelles il est confronté, mais dont l’énu­mé­ra­tion peut paraître inquié­tante à toute personne qui n’a pas une approche posi­tive de son main­tien en forme.

Au-delà des idées qui circulent au sujet des micro­biotes (bacté­ries, cham­pi­gnons, virus, phages…) bien souvent réduites au slogan « l’in­tes­tin, notre deuxième cerveau », l’au­teur attire notre atten­tion sur la bouche comme un « écosys­tème complexe » dont le micro­biote est « la première barrière aux virus, bacté­ries et autres indé­si­rables venus du monde exté­rieur ». C’est la deuxième flore la plus abon­dante de notre orga­nisme, avec dix fois plus de bacté­ries protec­trices que le micro­biote intestinal.

Dans cet écosys­tème inter­viennent aussi la salive, la langue, les muqueuses, les muscles masti­ca­teurs, les dents et les os des mâchoires… L’ouvrage est donc, pour l’es­sen­tiel, un plai­doyer pour une atten­tion parti­cu­lière à l’hy­giène buccale, avec des aver­tis­se­ments a contra­rio de croyances popu­laires, par exemple la consom­ma­tion d’huiles essen­tielles et autres produits anti­sep­tiques (comme l’argent colloï­dal) qui détruisent indis­tinc­te­ment les flores bactériennes.

De nombreux détails, parfois diffi­ciles à saisir en raison du voca­bu­laire spécia­lisé, sont donnés sur l’ac­tion, béné­fique ou délé­tère, des micro­biotes de la bouche, de l’es­to­mac et autres organes du système digestif.

L’auteur décrit (très sommai­re­ment) sa méthode pour le diag­nos­tic de dysbioses (colo­ni­sa­tion par des orga­nismes « inami­caux ») par l’ana­lyse des gaz respi­ra­toires et l’exa­men par lumi­nes­cence (lampe de Wood) de la bouche. C’est ce diag­nos­tic qui lui permet de propo­ser leur trai­te­ment par des cham­pi­gnons alimen­taires (myco­thé­ra­pie), néces­sai­re­ment asso­cié à une réforme de la nutri­tion et d’autres pratiques béné­fiques : exer­cice, etc.

Après ces expli­ca­tions sur la nature et le trai­te­ment des dysbioses, on aime­rait dispo­ser de réfé­rences aux études cliniques confir­mant la vali­dité du diag­nos­tic via les gaz respi­ra­toires, et l’ef­fi­ca­cité de la mycothérapie.

Pour les gaz respi­ra­toires (H2 et CH4), un proto­cole stan­dard a été proposé à l’échelle euro­péenne (Hammer, HF et al., 2021N2). Des études anciennes proposent la mesure du dihy­dro­gène expiré (H2) pour évaluer la capa­cité d’ab­sorp­tion des glucides dans l’in­tes­tin grêle (Feibusch JM & PR Holt, 1982N3). Chu K Yao and Caroline J Tuck (2017N4) écrivent au sujet du test de l’hydrogène : 

Les preuves de la faible repro­duc­ti­bi­lité intra-individuelle des réponses respi­ra­toires lors de tests répé­tés pour le fruc­tose et le lactu­lose sont de plus en plus nombreuses. Compte tenu de ces limites, il n’est pas surpre­nant que le diag­nos­tic de surcrois­sance bacté­rienne de l’in­tes­tin grêle basé sur un test respi­ra­toire au lactu­lose donne un taux de préva­lence élevé et ne soit pas fiable. Enfin, il s’est avéré que l’in­duc­tion de symp­tômes au cours d’un test respi­ra­toire n’est pas en corré­la­tion avec la présence d’une malab­sorp­tion des hydrates de carbone. Les données dispo­nibles suggèrent que les tests respi­ra­toires à l’hy­dro­gène ont une valeur clinique limi­tée pour guider la déci­sion clinique chez les patients souf­frant de troubles fonc­tion­nels de l’intestin.

Je reste dubi­ta­tif au vu de la rareté de la docu­men­ta­tion scien­ti­fique dans cet ouvrage : dans les six pages de réfé­rences biblio­gra­phiques, aucune publi­ca­tion — sauf deux de Donatini — n’aborde ces sujets. On peut néan­moins consul­ter d’autres articles acces­sibles par Google Scholar : sur les tech­no­lo­gies ambu­la­toires préco­ni­sées pour le diag­nos­tic de la pullu­la­tion bacté­rienne du grêle (Donatini B, 2015N5), sur le trai­te­ment par myco­thé­ra­pie du papil­lo­ma­vi­rus humain (HPVN6) (Donatini B, 2014N7) ou celui de la mala­die de CrohnN8 (Donatini B, 2019N9).

Au niveau du travail édito­rial, il est regret­table — mais c’est le cas de la plupart des ouvrages fran­co­phones — que les DOI faci­li­tant l’ac­cès aux articles ne figurent pas dans la biblio­gra­phie. De plus, pour un exposé d’une telle densité, il aurait été souhai­table de dispo­ser d’un index, d’un glos­saire, ainsi que d’ap­pels (numé­ro­tés) à la biblio­gra­phie dans le corps du texte. Ce sont des sugges­tions pour une prochaine édition…

Enfin, l’au­teur fait parfois réfé­rence à des études obser­va­tion­nelles dont les résul­tats (de simples corré­la­tions) sont contre­dits par des études pros­pec­tives rando­mi­sées. Celles-ci ne font que renfor­cer des croyances popu­laires, par exemple « la consom­ma­tion de produits bio dimi­nue le risque de cancer » (page 157) appuyée par une publi­ca­tion de piètre qualité (Baudry J et al., 2018N10). L’épidémiologie nutri­tion­nelle ne devrait pas prétendre à la détec­tion de liens de causa­lité entre alimen­ta­tion et santé. Voir à ce sujet l’ar­ticle Consommation d’aliments bio et risque de cancer.

Cela dit, je privi­lé­gie le « bio », mais pour de toutes autres raisons ! Cet exemple illustre seule­ment la cita­tion d’ar­ticles sans examen critique, avec un biais de confir­ma­tion de convic­tions personnelles.

Je crains qu’il ne faille encore patien­ter long­temps avant de dispo­ser d’un ouvrage en fran­çais abor­dant ce sujet sur une base scien­ti­fique. Publications à l’appui, répondre aux ques­tions suivantes :

  • Toute mala­die méta­bo­lique est-elle asso­ciée à une (des) dysbiose(s) ? Le lien causal est-il prouvé, et dans quel sens ?
  • Quelle est la fiabi­lité des mesures de gaz respi­ra­toires ? Par exemple, varia­tions à 24 heures d’intervalle…
  • La mesure des gaz caractérise-t-elle à coup sûr chacune des flores micro­biennes, indé­pen­dam­ment d’autres para­mètres ? Quelles sont les marges d’in­cer­ti­tudes ?
    Quand un théra­peute annonce une « préci­sion » de 0.01 ppm (un centième de parties par millions), à suppo­ser que la mesure soit celle d’un appa­reil, elle se situe­rait dans la « zone de bruit »… C’est donc de la pseudoscience.
  • Les pres­crip­tions de mycé­liums sont-elles variables d’un prati­cien à un autre ? Quelle est leur effi­ca­cité ? Comment les doser ?
  • Les prati­ciens paraissent précis et affir­ma­tifs dans leurs diag­nos­tics. Leurs trai­te­ments ont-ils démon­tré leur efficacité ?

À ce jour, je n’ai trouvé aucune réponse à ces ques­tions sur les bases de données biblio­gra­phiques de méde­cine et de biolo­gie humaine. Aucune trace non plus dans les 28 numé­ros de la Revue des Microbiotes que j’ai reçus à ce jour.
➡ Merci d’avance pour toute indi­ca­tion de sources documentaires !

Un auteur qui se répand en affir­ma­tions sans en préci­ser les sources fait acte de négli­gence ou d’in­com­pé­tence en matière de publi­ca­tion. Mais on est aussi en droit de suppo­ser que ses « sources » n’existent pas… 😣

La science en est à ses débuts dans la connais­sance des micro­biotes et des proces­sus physio­lo­giques ou patho­lo­giques auxquels ils sont asso­ciés. Ce qui laisse de nombreuses ques­tions ouvertes aux équipes de recherche. Mais, dans cet espace d’in­cer­ti­tude, les pseu­dos­ciences peuvent glis­ser des affir­ma­tions péremp­toires comme par exemple : « 90% des mala­dies méta­bo­liques dégé­né­ra­tives chro­niques sont corré­lés à un micro­biote perturbé » suivi de « Maladies cardio­vas­cu­laires, neuro­dé­gé­né­ra­tives, et nombre de cancers sont dus à une immu­nité pertur­bée par un micro­biote altéré et agres­sif. » Exemple flagrant d’une confu­sion (inten­tion­nelle ?) entre corré­la­tion et causalité…

Pour en reve­nir à l’ou­vrage, il était diffi­cile de décrire en si peu de pages cette méde­cine « inté­gra­tive ou fonc­tion­nelle », selon les termes de Bruno Donatini, incom­pa­tible avec la segmen­ta­tion anato­mique des pratiques médi­cales conven­tion­nelles. « Tous les organes sont inter­con­nec­tés » résume bien cette approche.

➡ De nombreux spécia­listes se sont expri­més sur le même sujet lors de la Journée mondiale de la santé bucco-dentaire, le 20 mars 2023. Voir cet article sur Top Santé.

Lectures complémentaires

▷ Liens

🔵 Notes pour la version papier :
- Les iden­ti­fiants de liens permettent d’atteindre faci­le­ment les pages web auxquelles ils font réfé­rence.
- Pour visi­ter « 0bim », entrer dans un navi­ga­teur l’adresse « https://​leti​.lt/0bim ».
- On peut aussi consul­ter le serveur de liens https://leti.lt/liens et la liste des pages cibles https://leti.lt/liste.

  • N1 · umd4 · Ouvrage “La bouche, miroir de votre santé” – Bruno Donatini
  • N2 · ru6w · Hammer, HF et al. (2021). European guide­line on indi­ca­tions, perfor­mance, and clini­cal impact of hydro­gen and methane breath tests in adult and pedia­tric patients : European Association for Gastroenterology, Endoscopy and Nutrition, European Society of Neurogastroenterology and Motility, and European Society for Paediatric Gastroenterology Hepatology and Nutrition. UEG Journal 10, 1 : 15–40.
  • N3 · b1cg · Feibusch, JM & PR Holt (1982). Impaired absorp­tive capa­city for carbo­hy­drate in the aging human. Digestive Diseases and Sciences 27 : 1095–1100.
  • N4 · q17l · Yao, CK & CJ Tuck (2017). The clini­cal value of breath hydro­gen testing. Journal of Gastroenterology and Hepatology 32, S1 : 20–22.
  • N5 · a248 · Donatini, B (2015). Pullulation bacté­rienne du grêle. Intérêt des nouvelles tech­no­lo­gies ambu­la­toires : test respi­ra­toire couplé à l’élastométrie hépa­tique, à la recherche des herpès virus dans la salive ou de l’échographie gastro-intestinale. Hegel 2, 2 : 92–99.
  • N6 · m44t · Papillomavirus humain – Wikipedia
  • N7 · xb2y · Donatini, B (2014). Control of Oral Human Papillomavirus (HPV) by Medicinal Mushrooms, Trametes versi­co­lor and Ganoderma luci­dum : A Preliminary Clinical Trial. International Journal of Medicinal Mushrooms 16, 5 : 497–498.
  • N8 · ajb0 · Maladie de Crohn – Wikipedia
  • N9 · pg34 · Donatini, B (2019). Medicinal Sulphur Polypore Mushroom Laetiporus sulphu­reus (Agaricomycetes) Plus Tiny Amounts of Essential Oils Decrease the Activity of Crohn Disease. International Journal of Medicinal Mushrooms 21, 3 : 267–273.
  • N10 · ir6u · Baudry, J et al. (2018). Association of Frequency of Organic Food Consumption With Cancer Risk : Findings From the NutriNet-Santé Prospective Cohort Study. JAMA Intern Med. 178, 12 : 1597–1606.
  • N11 · o10s · Ouvrage “Du gaz dans les neurones” – Taty Lauwers
  • N12 · x14h · Ouvrage “Sortir de la caco­pho­nie gastrique” – Taty Lauwers

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Article créé le 9/02/2023 - modifié le 13/04/2024 à 14h27

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