Agroécologie

Pourquoi les poulets sont-ils si malades ?

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Joel Salatin

Source : https://​browns​tone​.org/​a​r​t​i​c​l​e​s​/​w​h​y​-​a​r​e​-​t​h​e​-​c​h​i​c​k​e​n​s​-​s​o​-​s​i​ck/
14 mars 2023

⚪️ Alors que notre pays [les USA] souffre d’une nouvelle épidé­mie de grippe aviaire haute­ment patho­gène (High Pathogenic Avian Influenza, HPAI), il est plus impor­tant que jamais de remettre en ques­tion le discours ortho­doxe. À l’heure où l’on crie à la surpo­pu­la­tion et à l’in­ca­pa­cité du monde à se nour­rir, nous, les humains, devrions certai­ne­ment trou­ver le moyen de réduire ce type de pertes.

Les chiffres changent chaque jour, mais au dernier recen­se­ment, envi­ron 60 millions de poulets — prin­ci­pa­le­ment des poules pondeuses — et de dindes sont morts au cours de l’an­née écou­lée. Il y a un peu plus de dix ans, ce chiffre était de 50 millions. Ces cycles sont-ils inévi­tables ? Les experts qui trans­mettent les infor­ma­tions au public sont-ils plus dignes de confiance que ceux qui ont contrôlé les commu­ni­qués de presse lors de l’épi­dé­mie de CoVID en 2020 ?

Si les gens qui réflé­chissent n’ont appris qu’une seule chose de la pandé­mie de CoVID, c’est que les récits offi­ciels des gouver­ne­ments sont poli­ti­que­ment orien­tés et souvent erro­nés. Dans ce dernier foyer d’HPAI, l’écart le plus flagrant par rapport à la vérité est peut-être l’idée que les oiseaux sont morts des suites de la mala­die, et que l’eu­tha­na­sie pour les survi­vants était la meilleure et la seule option.

Tout d’abord, sur les quelque 60 millions d’oi­seaux décla­rés morts, seuls quelques millions sont effec­ti­ve­ment morts de la grippe aviaire. Les autres ont été abat­tus dans le cadre d’un proto­cole de stéri­li­sa­tion draco­nien. L’utilisation du mot « eutha­na­sié », au lieu du mot « exter­miné », plus appro­prié, brouille les pistes. L’euthanasie consiste à mettre fin aux souf­frances d’un animal. En d’autres termes, il va mourir, souffre ou est atteint d’une mala­die incurable.

Très peu d’oi­seaux tués souffrent ou même sont symp­to­ma­ti­que­ment malades. Si, dans un poulailler d’un million d’in­di­vi­dus, un seul poulet est testé posi­tif à l’HPAI, le gouver­ne­ment fait inter­ve­nir les forces de l’ordre dans l’ex­ploi­ta­tion pour garan­tir l’abat­tage de tous les oiseaux vivants. Rapidement.

Dans aucun élevage tous les oiseaux ne sont morts de la grippe. Chaque élevage compte des survi­vants. Certes, la plupart sont exter­mi­nés avant que les survi­vants ne soient iden­ti­fiés. Mais, dans des cas d’ex­ter­mi­na­tion tardive, quelques oiseaux semblent immu­ni­sés contre la mala­die. L’HPAI est, certes, poten­tiel­le­ment mortelle, mais elle ne tue jamais tout.

Source : lien:vn83

Cette poli­tique d’ex­ter­mi­na­tion de masse, sans tenir compte de l’im­mu­nité, sans même cher­cher à savoir pour­quoi certains oiseaux pros­pèrent alors que tous les autres meurent, est insen­sée. Les prin­cipes les plus fonda­men­taux de l’éle­vage et de la repro­duc­tion des animaux exigent que les agri­cul­teurs sélec­tionnent des systèmes immu­ni­taires sains. C’est ce que nous, agri­cul­teurs, faisons depuis des millé­naires. Nous choi­sis­sons les spéci­mens les plus robustes comme maté­riel géné­tique à propa­ger, qu’il s’agisse de plantes, d’ani­maux ou de microbes.

Mais dans sa grande sagesse, le minis­tère améri­cain de l’agri­cul­ture (USDAUsduh) n’a aucun inté­rêt à sélec­tion­ner, proté­ger ni propa­ger les survi­vants sains. La poli­tique est claire et simple : tuer tout ce qui est entré en contact avec les oiseaux malades. La deuxième partie de la poli­tique est égale­ment simple : trou­ver un vaccin pour mettre fin à l’épi­dé­mie de grippe aviaire.

Si un éleveur voulait sauver les survi­vants et effec­tuer lui-même un test pour tenter d’éle­ver des oiseaux immu­ni­sés contre la grippe aviaire haute­ment patho­gène, des agents gouver­ne­men­taux armés le lui inter­di­raient. La poli­tique de la terre brûlée est la seule option possible, même si elle ne semble pas fonc­tion­ner. En effet, les cycles s’ac­cé­lèrent et semblent toucher davan­tage d’oi­seaux. Quelqu’un devrait s’in­ter­ro­ger sur l’ef­fi­ca­cité de cette politique.

Certains le font. Lorsque la grippe aviaire haute­ment patho­gène a touché notre région de Virginie il y a une quin­zaine d’an­nées, des vété­ri­naires fédé­raux venus des quatre coins du pays sont venus super­vi­ser l’ex­ter­mi­na­tion. Deux d’entre eux avaient entendu parler de notre élevage de volailles de pâtu­rage et ont demandé à venir nous rendre visite pendant leur temps libre. Ils n’étaient pas ensemble ; ils sont venus à quelques semaines d’in­ter­valle, indé­pen­dam­ment l’un de l’autre. Tous deux m’ont dit qu’ils connais­saient la raison de l’épi­dé­mie : trop d’oi­seaux, trop densé­ment entas­sés dans des poulaillers trop proches géogra­phi­que­ment. Mais ils m’ont tous deux dit que s’ils expri­maient publi­que­ment cette idée, ils seraient licen­ciés le lendemain.

C’est ce qu’on appelle de la censure. Dans son édition du 24 février, le Wall Street Journal titrait « L’Amérique perd la bataille de la grippe aviaire ». Il est inté­res­sant de noter que, alors que l’ar­ticle présente la version offi­cielle selon laquelle les oiseaux sauvages propagent la mala­die et les agri­cul­teurs la trans­portent avec leurs chaus­sures, un agri­cul­teur ose dire que « sa plus grande instal­la­tion abrite envi­ron 4 millions de poulets élevés en cage, ce qui repré­sente un nombre trop élevé de poulets dans un seul endroit. Nous ne ferons plus jamais cela », a‑t-il déclaré. « Les nouvelles instal­la­tions seront plus petites, abri­tant envi­ron un million de poulets chacune, et plus espa­cées les unes des autres pour aider à contre­car­rer la menace d’une épidé­mie continue. »

Pourtant, quelques para­graphes plus loin, l’ar­ticle cite le Dr John Clifford, ancien vété­ri­naire en chef des États-Unis, qui affirme que « la mala­die est partout ». Si c’est le cas, quelle diffé­rence cela fait-il de réduire la taille des élevages et d’aug­men­ter l’es­pace entre les maisons ? Il est clair que l’agri­cul­teur dont il est ques­tion ici a la même intui­tion que les deux vété­ri­naires fédé­raux que j’ai visi­tés il y a de nombreuses années : trop d’ani­maux, trop denses, trop proches.

Certes, même les élevages de basse-cour sont suscep­tibles d’être infec­tés par l’HPAI, mais un grand nombre de ces élevages minia­tures sont situés sur des terrains sales et souffrent de condi­tions d’hy­giène déplo­rables. Néanmoins, il est plus diffi­cile d’as­su­rer le bonheur et l’hy­giène d’un million d’oi­seaux dans une exploi­ta­tion d’ali­men­ta­tion animale concen­trée que dans un élevage de basse-cour, et les données rela­tives à la mala­die le confirment. L’USDA et l’in­dus­trie veulent déses­pé­ré­ment reje­ter la faute sur les oiseaux sauvages, les élevages de basse-cour et les chaus­sures sales, au lieu de se regar­der dans le miroir et de se rendre compte que c’est la façon dont la nature crie « Assez ! »

« Assez d’abus. Assez de manque de respect. Assez de parti­cules fécales créant des fissures sur mes tendres muqueuses. » Lorsque Joel Arthur Barker a écrit Paradigmes, faisant entrer ce mot dans l’usage courant, l’un de ses axiomes était que les para­digmes finissent toujours par dépas­ser leur point d’ef­fi­ca­cité. L’industrie avicole partait du prin­cipe que si 100 volailles dans un poulailler c’était bien, alors 200 c’était mieux. Avec l’avè­ne­ment des anti­bio­tiques et des vaccins, la taille des poulaillers et la densité des oiseaux ont augmenté. Mais la nature a le dernier mot.

Pour mémoire, tout système agri­cole qui consi­dère la faune sauvage comme un danger est un modèle intrin­sè­que­ment anti-écologique. L’article du Wall Street Journal note que « les ouvriers ont installé des filets au-dessus des fosses [à purin] et d’autres endroits où les oiseaux sauvages se rassemblent ». Les fosses à purin sont intrin­sè­que­ment anti-écologiques. Ce sont des puits de mala­dies et d’im­mon­dices ; la nature ne crée jamais de fosses à purin. Dans la nature, les animaux répandent leurs déjec­tions sur le paysage où ils peuvent être une béné­dic­tion, et non une malé­dic­tion comme une fosse. Le vrai coupable est peut-être l’in­dus­trie qui crée des fosses à purin infec­tant les canards sauvages, et non l’in­verse. C’est de la culpa­bi­lité par asso­cia­tion, comme de dire que puisque je vois des camions de pompiers à côté de voitures acci­den­tées, les camions de pompiers doivent être à l’ori­gine des acci­dents de voitures.

Remarquez l’angle d’at­taque de cette phrase du Wall Street Journal : « Les buses, les canards sauvages ou les animaux nuisibles qui se faufilent dans les granges peuvent égale­ment trans­mettre le virus de la grippe par le mucus ou la salive. » Cela ne ressemble-t-il pas à une conspi­ra­tion prover­biale, avec des animaux sauvages qui se faufilent partout ? Tout cela ressemble étran­ge­ment au virus des covi­dés qui se faufile partout et qu’il faut conte­nir à l’aide de quaran­taines et de masques. Une seule plume contient suffi­sam­ment d’HPAI pour affec­ter un million d’oi­seaux. Il est impos­sible de verrouiller un poulailler à cause d’une plume errante ou de ses molé­cules micro­sco­piques qui s’in­filtrent dans le poulailler. C’est absurde.

Si notre poli­tique agri­cole actuelle est insen­sée, quelle est la meilleure solu­tion ? Ma première sugges­tion est de sauver les survi­vants et de commen­cer par les élever. C’est une évidence. Si un élevage est atteint par la grippe aviaire, il faut le lais­ser suivre son cours. Elle tuera ceux qu’elle tuera, mais dans quelques jours, les survi­vants seront évidents. Gardez-les et mettez-les dans un programme de repro­duc­tion. Ce qu’il y a de bien avec les poulets, c’est qu’ils gran­dissent et se repro­duisent assez vite pour qu’en un an, on puisse faire naître deux géné­ra­tions. C’est rela­ti­ve­ment rapide. Laissez la survie déter­mi­ner le patri­moine géné­tique de demain.

Deuxièmement, pour­quoi ne pas travailler sur les condi­tions qui augmentent l’hy­giène et le bonheur ? Oui, j’ai bien dit « bonheur ». Tous les animaux ont des tailles de trou­peaux opti­males. Par exemple, on ne voit jamais plus de deux cents dindes sauvages ensemble. Même lorsque les popu­la­tions sont impor­tantes dans une région, elles se divisent en petits groupes plutôt que de se rassem­bler en trou­peaux de 1 000 indi­vi­dus. D’autres oiseaux se rassemblent en grandes bandes. Pourquoi cette différence ?

Personne n’a étudié de manière défi­ni­tive les raisons de cette diffé­rence, mais nous savons qu’il existe des tailles opti­males pour une vie sans stress. Pour les poulets, c’est envi­ron 1 000. Un vieux scien­ti­fique de l’in­dus­trie avicole a visité notre ferme un jour et m’a dit que si les maisons divi­saient les poulets en groupes de 1 000 oiseaux, les mala­dies seraient quasi­ment élimi­nées. Il m’a dit qu’il n’y avait pas de problème à avoir 10 000 volailles dans un poulailler, à condi­tion qu’elles soient répar­ties en groupes de 1 000 volailles. De cette manière, leur struc­ture sociale peut fonc­tion­ner selon une inter­ac­tion natu­relle. Les animaux ont une hiérar­chie de brutes et de timides. Cette struc­ture sociale s’ef­fondre au-delà de la taille optimale.

Chez la plupart des herbi­vores, cette taille est énorme, comme en témoignent les tailles de trou­peaux du Serengeti ou celles des bisons des plaines améri­caines. Les abeilles melli­fères se divisent lorsque la ruche atteint une certaine taille. Les élans ont des trou­peaux de taille opti­male. Les chèvres de montagne forment de petits trou­peaux. Les cochons sauvages aspirent eux aussi à une taille de groupe dépas­sant rare­ment 100 indi­vi­dus. La première ligne de défense consiste donc à déter­mi­ner où se trouve la zone de tran­quillité sans stress et à la respecter.

Enfin, trai­tez les poules comme des poules. En plus d’une taille d’éle­vage appro­priée, donnez-leur des pâtu­rages frais pour courir et grat­ter. Pas des cours en terre battue. Pas des petits espaces autour d’un bâti­ment de confi­ne­ment. Avec les abris mobiles, dans notre ferme, nous dépla­çons les élevages tous les jours ou presque vers de nouveaux pâtu­rages. Cela leur permet de rester sur un sol neuf, exempt d’hôtes pendant une longue période de repos. Ils ne dorment pas, ne mangent pas et ne vivent pas en perma­nence sur leurs déjections.

LAmerican Pastured Poultry Producers Association (APPPA) est une orga­ni­sa­tion commer­ciale qui promeut des proto­coles pour ce type de modèle de renfor­ce­ment du système immu­ni­taire. Des milliers de profes­sion­nels adoptent une infra­struc­ture mobile qui permet à des élevages de taille appro­priée d’avoir accès à l’air frais, à la lumière du soleil, aux insectes, aux vers et à des matières vertes succu­lentes. Dans notre ferme, nous utili­sons le Millennium Feathernet et l’Eggmobile, accueillant des canards sauvages et des carouges à épau­lettes dans les envi­rons, dans le cadre d’un nid écolo­gique symbiotique.

Bien que je ne veuille pas paraître désin­volte et ne pas mettre en avant la gravité de l’HPAI, les taux d’in­ci­dence démontrent clai­re­ment une vulné­ra­bi­lité moindre dans les élevages de pâtu­rage bien gérés. La créa­tion d’un proto­cole de renfor­ce­ment du système immu­ni­taire mérite certai­ne­ment des recherches, tout autant que le fait de surchar­ger le système immu­ni­taire avec des vaccins et d’es­sayer de devan­cer les muta­tions et les adap­ta­tions de la mala­die grâce à l’in­gé­nio­sité humaine. Pourquoi ne pas deman­der humble­ment des solu­tions à la nature plutôt que de s’en remettre à l’hybris ?

Les paral­lèles entre l’or­tho­doxie des experts de grippe aviaire et de la CoVID sont trop nombreux pour être mention­nés. La mani­pu­la­tion des foules par la peur est omni­pré­sente dans notre culture. L’inquiétude liée à l’HPAI alimente l’in­quié­tude liée à l’ali­men­ta­tion, qui pousse les gens à récla­mer au gouver­ne­ment plus de sécu­rité. Les gens acceptent à peu près n’im­porte quoi s’ils ont peur. Quelqu’un pense-t-il vrai­ment que l’in­tel­li­gence humaine va vaincre les canards migra­teurs ? Pour de vrai ? Réfléchissez bien et adop­tez un remède plus natu­rel : des volailles de pâtu­rage décen­tra­li­sées et bien gérées, avec des élevages de taille appro­priée. ⚪️


Joel F. Salatin est agri­cul­teur, confé­ren­cier et auteur améri­cain. Il élève du bétail dans sa ferme Polyface à Swoope, en Virginie, dans la vallée de la Shenandoah. La viande de la ferme est vendue direc­te­ment aux consom­ma­teurs et aux restaurants.

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Article créé le 19/03/2023 - modifié le 3/04/2023 à 21h00

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