Le mot « élevage » accolé à l’adjectif « intensif » est un oxymore, et tout est mis en œuvre pour que vous fassiez des amalgames ! Rares sont les médias qui font la distinction. Mais pourquoi donc entretenir ces amalgames ?
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Article de Jocelyne Porcher
🔵 Source : la page Facebook La Ferme d’Émilie
⚪️ Nous sommes dans un contexte actuel très critique envers l’élevage et les relations aux animaux, porté par des associations mais aussi largement relayé par les médias.
Cette critique n’est pas si récente. Dans les années 2005–2006, un rapport de la FAO, titré « L’Ombre portée de l’élevage » est très critique des impacts environnementaux de l’élevage sur la planète.
D’autres rapports européens critiquent aussi l’élevage au nom du traitement aux animaux. Ce sont les systèmes industriels et intensifiés qui sont en cause mais le mot utilisé est toujours « élevage ». Or ce dont il est question n’est justement pas d’élevage mais de la transformation industrielle de l’élevage, que j’appelle « productions animales ». Cette transformation s’est faite au milieu du 19e siècle avec la naissance du capitalisme industriel et le fait que la relation de travail des paysans à leurs animaux a été prise en main par l’industrie, par la science, par les banquiers.
Cela est passé par le biais d’une discipline que je connais bien : la zootechnie, la science de l’exploitation des machines animales. C’est alors qu’on transforme le statut de l’animal et qu’on dit que le but du travail avec des animaux, c’est de faire du profit. C’est à cette époque que, conceptuellement, cette relation de travail de l’éleveur avec l’animal est transformée du point de vue de son sens, du statut animal, du statut des paysans. (…)
Ce qui est caractéristique des productions animales, c’est que le travail avec les animaux est réduit à la seule rationalité productive, contrairement à l’élevage qui est un rapport historique de travail avec les animaux, rapport qui sert aussi à produire mais la première rationalité est ici le vivre ensemble, sur la durée. Ce sont deux mondes qui n’ont absolument rien à voir l’un avec l’autre. Aujourd’hui, la critique de l’élevage est celle des productions animales mais on ne fait pas de différence.
A partir de cette critique légitime des productions animales — que je fais moi aussi depuis 15 ans car ces systèmes industriels sont odieux, moralement insoutenables, économiquement inadmissibles — il y a une orientation vers la défense d’une agriculture sans élevage.
L’élevage apparaît aujourd’hui comme une calamité économique, écologique, morale du point de vue de la relation aux animaux. La critique des systèmes industriels n’est pas nouvelle, elle existe depuis 50 ans mais tout le monde s’en foutait, les médias aussi.
Pourquoi donc d’un seul coup, cela les intéresse ? Simplement parce que l’agriculture est en train de changer de main : on voit des multinationales prendre des milliers d’hectares de terre ; c’est la même chose pour l’élevage qui n’est plus assez profitable pour ceux qui en profitaient et pour d’autres. Il est donc en train d’être remplacé par des productions alimentaires plus rentables que l’élevage : par exemple des produits substitués à l’alimentation carnée, comme du poulet sans poulet, de la mayonnaise sans oeufs, du « steak » de soja et demain de la viande in vitro puisque des dizaines de chercheurs travaillent sur cela. Ceux qui y investissent le plus sont des multinationales comme Google, Facebook, des fonds d’investissement très puissants, bref ceux qui ont le plus d’argent sur la planète.
Tout cela est une remise en cause de la relation aux animaux domestiques. On est à un point de rupture anthropologique : on est en train de construire une agriculture sans élevage mais aussi une société sans animaux. La question « faut-il cesser de tuer des animaux pour se nourrir ? » renvoie pour moi à la question centrale de « veut-on vivre avec des animaux ou pas ? ». Mon analyse est que les associations comme L214 sont les agents inconscients de cette transformation.
En visant à changer nos comportements, elles font le service avant vente des produits que vont nous proposer les multinationales.
Avec une stratégie, très médiatique : pour démolir l’élevage, on va s’attaquer à ce qui est le plus difficile à comprendre pour tout le monde, c’est la mort des animaux.
Le discours est de dire que élevage et productions animales, c’est la même calamité, parce que l’on tue les animaux. Ils vont chercher le pire du pire et ils le trouvent.
Moi je travaille sur la mort des animaux depuis longtemps. Avec mes collègues, nous essayons de mettre en avant la relation morale des éleveurs avec leurs animaux car la critique de ces associations est supporté par un cadre théorique qui est « l’éthique animale » et qui prétend dire ce qu’est la morale de la relation aux animaux. Nous, on dit que ces gens n’ont pas le monopole de la morale aux animaux et on explique ce qu’elle est pour les éleveurs.
Donner la mort
Par ailleurs, on travaille aussi sur des pratiques de l’abattage des animaux. C’est sûr qu’il y a des problèmes dans les abattoirs, on le dit depuis longtemps, car les abattoirs sont les outils des productions animales et pas ceux de l’élevage.
Il y a bien un gros problème quand on élève bien les animaux : il n’y a pas d’outil cohérent pour bien les tuer. Du coup, je constate que de plus en plus d’éleveurs, surtout ceux qui vendent en direct, arrêtent d’envoyer les animaux à l’abattoir et tuent à la ferme de façon illégale. C’est un gros problème car l’éleveur risque de la prison et 15 à 20 000€ d’amende. C’est anormal que celui qui fait un boulot éthique et moral correspondant à ses valeurs et aux valeurs de ses clients risque la prison, alors que pendant ce temps la filière porcine massacre quotidiennement les cochons et démolit la santé morale des travailleurs en toute impunité. Ceux qui risquent la prison sont ceux qui essayent de faire du mieux du point de vue de la relation aux animaux, de la qualité des produits, de leur santé mentale.
On essaye de développer des abattoirs mobiles, qui sont des outils de reprise en main de la mort des animaux, dans les meilleures conditions possibles. Tuer un animal est de toute façon une violence mais on peut donner la mort de la façon la plus respectueuse possible et faire un fil de sens entre donner la vie et donner la mort. ⚪️
🔵 Jocelyne Porcher, zootechnicienne, sociologue et directrice de recherche à l’INRA
Extrait tiré du site https://www.producteurs-fermiers-pays-basque.fr/fr/actualite/lurrama-debat-sensible/
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Article créé le 4/09/2019 - modifié le 17/02/2023 à 07h46