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Comment les États-Unis ont mis hors service le gazoduc Nord Stream

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Cette page est la traduc­tion inté­grale de deux articles en libre accès dont les conte­nus n’en­gagent que leurs auteurs. Ce récit fait l’ob­jet de contro­verses, voir par exemple l’ar­ticle d’Oliver Alexander (sans oublier la discus­sion) et un autre du même auteur. Vous pouvez poster vos remarques et correc­tions dans la partie commentaires.

Explosion d’un gazo­duc Nord Stream (source)

🔵 Article de Seymour Hersh, le 8 février 2023

Source :
https://​seymou​rhersh​.substack​.com/​p​/​h​o​w​-​a​m​e​r​i​c​a​-​t​o​o​k​-​o​u​t​-​t​h​e​-​n​o​r​d​-​s​t​r​eam

⚪️ Le New York Times l’a quali­fié de « mystère », mais les États-Unis ont exécuté une opéra­tion mari­time clan­des­tine, qui a été main­te­nue secrète — jusqu’à maintenant.

Le centre de plon­gée et de sauve­tage de la marine améri­caine se trouve dans un endroit aussi obscur que son nom, sur ce qui était autre­fois un chemin de campagne dans la ville rurale de Panama City, une station balnéaire en plein essor dans le sud-ouest de la Floride, à 70 miles au sud de la fron­tière de l’Alabama. Le complexe du centre est aussi indes­crip­tible que son empla­ce­ment : une struc­ture en béton terne, datant de l’après-guerre, qui ressemble à un lycée profes­sion­nel de la banlieue ouest de Chicago. Une lave­rie auto­ma­tique et une école de danse se trouvent de l’autre côté de ce qui est main­te­nant une route à quatre voies.

Le centre forme depuis des décen­nies des plon­geurs en eaux profondes haute­ment quali­fiés qui, autre­fois affec­tés à des unités mili­taires améri­caines dans le monde entier, sont capables d’ef­fec­tuer des plon­gées tech­niques pour faire le bien — en utili­sant des explo­sifs C4 pour débar­ras­ser les ports et les plages des débris et des muni­tions non explo­sées — et le mal, comme faire sauter des plates-formes pétro­lières étran­gères, obstruer les valves d’ad­mis­sion de centrales élec­triques sous-marines, détruire les écluses de canaux de navi­ga­tion essen­tiels. Le centre de Panama City, qui possède la deuxième plus grande piscine couverte d’Amérique, était l’en­droit idéal pour recru­ter les meilleurs, et les plus taci­turnes, diplô­més de l’école de plon­gée, qui ont réussi l’été dernier à faire ce qu’ils avaient été auto­ri­sés à faire, à 260 pieds sous la surface de la mer Baltique.

En juin dernier, les plon­geurs de la marine, opérant sous le couvert d’un exer­cice de l’OTAN du milieu de l’été large­ment média­tisé, connu sous le nom de BALTOPS 22, ont placé des explo­sifs déclen­chés à distance qui, trois mois plus tard, ont détruit trois des quatre gazo­ducs de Nord Stream, selon une source ayant une connais­sance directe de la plani­fi­ca­tion opérationnelle.

Deux de ces gazo­ducs, connus sous le nom de Nord Stream 1, appro­vi­sion­naient depuis plus de dix ans l’Allemagne et une grande partie de l’Europe occi­den­tale en gaz natu­rel russe bon marché. Une deuxième paire de gazo­ducs, appe­lée Nord Stream 2, avait été construite, mais n’était pas encore opéra­tion­nelle. Aujourd’hui, alors que les troupes russes se massent à la fron­tière ukrai­nienne et que la guerre la plus sanglante en Europe depuis 1945 est immi­nente, le président Joseph Biden a vu dans ces gazo­ducs un moyen pour Vladimir Poutine de mettre le gaz natu­rel au service de ses ambi­tions poli­tiques et territoriales.

Interrogée pour un commen­taire, Adrienne Watson, une porte-parole de la Maison Blanche, a déclaré dans un cour­riel : « This is false and complete fiction. » Tammy Thorp, une porte-parole de la Central Intelligence Agency, a égale­ment écrit : « This claim is comple­tely and utterly false. »

La déci­sion de Biden de sabo­ter les oléo­ducs est inter­ve­nue après plus de neuf mois de débats très secrets au sein de la commu­nauté de sécu­rité natio­nale de Washington, sur la meilleure façon d’at­teindre cet objec­tif. Pendant la majeure partie de cette période, la ques­tion n’était pas de savoir s’il fallait effec­tuer la mission, mais comment l’ef­fec­tuer sans que l’on sache ouver­te­ment qui en était responsable.

Il y avait une raison bureau­cra­tique essen­tielle de s’ap­puyer sur les diplô­més de l’école de plon­gée du centre à Panama City. Ces plon­geurs n’ap­par­te­naient qu’à la marine et n’étaient pas membres du Commandement des opéra­tions spéciales des États-Unis, dont les opéra­tions secrètes doivent être signa­lées au Congrès et faire l’ob­jet d’un compte rendu préa­lable aux diri­geants du Sénat et de la Chambre des repré­sen­tants — le fameux « Gang des Huit ». L’administration Biden faisait tout son possible pour éviter les fuites, alors que la plani­fi­ca­tion se dérou­lait à la fin de 2021 et dans les premiers mois de 2022.

Le président Biden et son équipe de poli­tique étran­gère — le conseiller à la sécu­rité natio­nale Jake Sullivan, le secré­taire d’État Tony Blinken et Victoria Nuland, sous-secrétaire d’État à la poli­tique — avaient exprimé haut et fort leur hosti­lité aux deux oléo­ducs, qui s’éten­daient côte à côte sur 750 miles sous la mer Baltique depuis deux ports diffé­rents dans le nord-est de la Russie, près de la fron­tière esto­nienne, passant près de l’île danoise de Bornholm avant de se termi­ner dans le nord de l’Allemagne.

Cette route directe, qui évitait tout tran­sit par l’Ukraine, avait été une béné­dic­tion pour l’éco­no­mie alle­mande, qui béné­fi­ciait d’une abon­dance de gaz natu­rel russe bon marché — suffi­sam­ment pour faire tour­ner ses usines et chauf­fer ses maisons, tout en permet­tant aux distri­bu­teurs alle­mands de vendre le gaz excé­den­taire, avec un béné­fice, dans toute l’Europe occi­den­tale. Une action qui pour­rait être attri­buée à l’ad­mi­nis­tra­tion viole­rait les promesses améri­caines de mini­mi­ser le conflit direct avec la Russie. Le secret était essentiel.

Dès ses premiers jours, Nord Stream 1 a été consi­déré par Washington et ses parte­naires anti-russes de l’OTAN comme une menace pour la domi­na­tion occi­den­tale. La société holding à l’ori­gine du projet, Nord Stream AG, a été consti­tuée en Suisse en 2005 en parte­na­riat avec Gazprom, une société russe cotée en bourse qui génère d’énormes profits pour ses action­naires, et qui est domi­née par des oligarques connus pour être sous l’emprise de Poutine. Gazprom contrô­lait 51 % de la société, quatre entre­prises euro­péennes du secteur de l’éner­gie — une en France, une aux Pays-Bas et deux en Allemagne — se parta­geant les 49 % d’ac­tions restantes, et ayant le droit de contrô­ler les ventes en aval du gaz natu­rel bon marché aux distri­bu­teurs locaux en Allemagne et en Europe occi­den­tale. Les béné­fices de Gazprom étaient parta­gés avec le gouver­ne­ment russe, et les recettes publiques tirées du gaz et du pétrole étaient esti­mées certaines années à 45 % du budget annuel de la Russie.

Les craintes poli­tiques des États-Unis étaient réelles : Poutine dispo­se­rait désor­mais d’une source de reve­nus supplé­men­taire et indis­pen­sable, et l’Allemagne et le reste de l’Europe occi­den­tale devien­draient dépen­dants du gaz natu­rel à faible coût fourni par la Russie — tout en dimi­nuant la dépen­dance euro­péenne vis-à-vis des États-Unis. En fait, c’est exac­te­ment ce qui s’est passé. De nombreux Allemands ont vu Nord Stream 1 comme faisant partie de la déli­vrance de la célèbre théo­rie de l’Ostpolitik de l’an­cien chan­ce­lier Willy Brandt, qui permet­trait à l’Allemagne d’après-guerre de se réha­bi­li­ter, ainsi que d’autres nations euro­péennes détruites pendant la Seconde Guerre mondiale, en utili­sant, entre autres initia­tives, le gaz russe bon marché pour alimen­ter un marché et une écono­mie commer­ciale pros­pères en Europe occidentale.

Nord Stream 1 était suffi­sam­ment dange­reux, selon l’OTAN et Washington, mais Nord Stream 2, dont la construc­tion s’est ache­vée en septembre 2021, double­rait, s’il était approuvé par les régu­la­teurs alle­mands, la quan­tité de gaz bon marché qui serait dispo­nible pour l’Allemagne et l’Europe occi­den­tale. Le deuxième gazo­duc four­ni­rait égale­ment suffi­sam­ment de gaz pour plus de 50 % de la consom­ma­tion annuelle de l’Allemagne. Les tensions ne cessaient de croître entre la Russie et l’OTAN, soute­nues par la poli­tique étran­gère agres­sive de l’ad­mi­nis­tra­tion Biden.

L’opposition à Nord Stream 2 s’est enflam­mée à la veille de l’in­ves­ti­ture de Biden en janvier 2021, lorsque les répu­bli­cains du Sénat, menés par Ted Cruz du Texas, ont soulevé à plusieurs reprises la menace poli­tique du gaz natu­rel russe bon marché, lors de l’au­di­tion de confir­ma­tion de Blinken comme secré­taire d’État. À ce moment-là, un Sénat unifié avait réussi à faire passer une loi qui, comme Cruz l’a dit à Blinken, « a stoppé [le gazo­duc] dans son élan ». Il y avait eu une énorme pres­sion poli­tique et écono­mique de la part du gouver­ne­ment alle­mand, alors dirigé par Angela Merkel, pour que le second gazo­duc soit déployé.

Biden tiendrait-il tête aux Allemands ? Blinken a répondu par l’af­fir­ma­tive, mais a ajouté qu’il n’avait pas discuté des spéci­fi­ci­tés du point de vue du futur président. « Je sais qu’il est ferme­ment convaincu que c’est une mauvaise idée, le Nord Stream 2 », a‑t-il déclaré. « Je sais qu’il voudrait que nous utili­sions tous les outils de persua­sion dont nous dispo­sons pour convaincre nos amis et parte­naires, y compris l’Allemagne, de ne pas aller de l’avant avec ce projet. »

Quelques mois plus tard, alors que la construc­tion du deuxième gazo­duc touchait à sa fin, Biden a cédé. En mai, dans un revi­re­ment éton­nant, l’ad­mi­nis­tra­tion a renoncé aux sanc­tions contre Nord Stream AG, un respon­sable du dépar­te­ment d’État concé­dant que tenter d’ar­rê­ter le gazo­duc par le biais de sanc­tions et de la diplo­ma­tie avait « toujours été un long chemin ». En coulisses, des respon­sables de l’ad­mi­nis­tra­tion auraient exhorté le président ukrai­nien Volodymyr Zelensky, alors menacé d’in­va­sion par la Russie, à ne pas criti­quer cette décision.

Les consé­quences ont été immé­diates. Les Républicains du Sénat, menés par Cruz, ont annoncé un blocage immé­diat de tous les candi­dats de Biden à la poli­tique étran­gère, et ont retardé l’adop­tion du projet de loi annuel sur la défense pendant des mois, jusqu’à l’au­tomne. Politicodécrit plus tard la volte-face de Biden sur le deuxième oléo­duc russe comme « la seule déci­sion, sans doute plus que le retrait mili­taire chao­tique d’Afghanistan, qui a mis en péril l’agenda de Biden ».

L’administration était en diffi­culté, malgré un sursis dans la crise à la mi-novembre, lorsque les régu­la­teurs alle­mands de l’éner­gie ont suspendu l’ap­pro­ba­tion du deuxième gazo­duc Nord Stream. Les prix du gaz natu­rel ont grimpé de 8 % en quelques jours, alors que l’Allemagne et l’Europe crai­gnaient de plus en plus que la suspen­sion du gazo­duc et la possi­bi­lité crois­sante d’une guerre entre la Russie et l’Ukraine n’en­traînent un hiver froid très peu souhaité. La posi­tion d’Olaf Scholz, le nouveau chan­ce­lier alle­mand, n’était pas claire pour Washington. Quelques mois plus tôt, après la chute de l’Afghanistan, Scholz avait publi­que­ment soutenu l’ap­pel du président fran­çais Emmanuel Macron en faveur d’une poli­tique étran­gère euro­péenne plus auto­nome dans un discours prononcé à Prague — suggé­rant clai­re­ment une moindre dépen­dance à l’égard de Washington et de ses actions mercu­riales [NdT : carac­té­ri­sées par un chan­ge­ment d’hu­meur rapide et imprévisible].

Pendant tout ce temps, les troupes russes se sont régu­liè­re­ment et sinis­tre­ment renfor­cées aux fron­tières de l’Ukraine et, fin décembre, plus de 100 000 soldats étaient en posi­tion de frap­per depuis le Belarus et la Crimée. L’inquiétude gran­di­sait à Washington, et Blinken esti­mait que ces effec­tifs pour­raient être « doublés en peu de temps ».

L’attention de l’ad­mi­nis­tra­tion s’est à nouveau portée sur Nord Stream. Tant que l’Europe reste­rait dépen­dante de ce gazo­duc pour obte­nir du gaz natu­rel bon marché, Washington crai­gnait que des pays comme l’Allemagne soient réti­cents à four­nir à l’Ukraine l’argent et les armes dont elle avait besoin pour vaincre la Russie.

C’est dans ce moment d’in­cer­ti­tude que Biden a auto­risé Jake Sullivan à réunir un groupe inter­agences pour élabo­rer un plan.

Toutes les options devaient être mises sur la table. Mais une seule allait émerger.

PLANIFICATION

En décembre 2021, deux mois avant que les premiers chars russes n’entrent en Ukraine, Jake Sullivan a convo­qué une réunion d’un groupe de travail nouvel­le­ment formé — des hommes et des femmes des chefs d’état-major inter­ar­mées, de la CIA, du dépar­te­ment d’État et du dépar­te­ment du Trésor — et a demandé des recom­man­da­tions sur la façon de répondre à l’in­va­sion immi­nente de Poutine.

C’était la première d’une série de réunions top secrètes, dans une salle sécu­ri­sée au dernier étage de l’Old Executive Office Building, adja­cent à la Maison-Blanche, qui était égale­ment le siège du President’s Foreign Intelligence Advisory Board (PFIAB). Il y a eu les habi­tuels échanges d’idées qui ont fina­le­ment abouti à une ques­tion préli­mi­naire cruciale : la recom­man­da­tion trans­mise par le groupe au président serait-elle réver­sible — par exemple, une nouvelle série de sanc­tions et de restric­tions moné­taires — ou irré­ver­sible — c’est-à-dire des actes irréversibles ?

Ce qui est devenu clair pour les parti­ci­pants, selon la source ayant une connais­sance directe du proces­sus, c’est que M. Sullivan avait l’in­ten­tion que le groupe élabore un plan pour la destruc­tion des deux gazo­ducs Nord Stream — et qu’il répon­dait aux souhaits du président.

LES ACTEURS. De gauche à droite : Victoria Nuland, Anthony Blinken, et Jake Sullivan.

Au cours des réunions suivantes, les parti­ci­pants ont débattu des options d’at­taque. La marine propo­sait d’uti­li­ser un sous-marin récem­ment mis en service pour atta­quer direc­te­ment l’oléo­duc. L’armée de l’air envi­sa­geait de larguer des bombes à retar­de­ment qui pour­raient être déclen­chées à distance. La CIA a fait valoir que, quelle que soit la solu­tion rete­nue, elle devait être secrète. Toutes les personnes impli­quées comprennent les enjeux. « Ce n’est pas une affaire de gamins », a déclaré la source. Si l’at­taque pouvait être attri­buée aux États-Unis, « c’était un acte de guerre ».

À l’époque, la CIA était diri­gée par William Burns, un ancien ambas­sa­deur en Russie aux manières prudentes qui avait occupé le poste de secré­taire d’État adjoint dans l’ad­mi­nis­tra­tion Obama. Burns a rapi­de­ment auto­risé un groupe de travail de l’Agence, dont les membres ad hoc compre­naient — par hasard — quel­qu’un qui connais­sait les capa­ci­tés des plon­geurs en eaux profondes de la Marine à Panama City. Au cours des semaines suivantes, les membres du groupe de travail de la CIA ont commencé à élabo­rer un plan pour une opéra­tion secrète qui utili­se­rait des plon­geurs en eaux profondes pour déclen­cher une explo­sion le long du gazoduc.

Un tel projet avait déjà été réalisé aupa­ra­vant. En 1971, les services de rensei­gne­ments améri­cains ont appris de sources encore non divul­guées que deux unités impor­tantes de la marine russe commu­ni­quaient par le biais d’un câble sous-marin enfoui dans la mer d’Okhotsk, sur la côte extrême-orientale de la Russie. Le câble reliait un comman­de­ment régio­nal de la marine au quar­tier géné­ral conti­nen­tal de Vladivostok.

Une équipe triée sur le volet, compo­sée d’agents de la Central Intelligence Agency et de la National Security Agency, avait été réunie quelque part dans la région de Washington, à l’abri des regards, et avait élaboré un plan, à l’aide de plon­geurs de la marine, de sous-marins modi­fiés et d’un véhi­cule de sauve­tage en haute mer, qui avait permis, après de nombreux essais et erreurs, de loca­li­ser le câble russe. Les plon­geurs avaient placé un dispo­si­tif d’écoute sophis­ti­qué sur le câble qui avait réussi à inter­cep­ter le trafic russe et à l’en­re­gis­trer sur un système d’enregistrement.

La NSA avait appris que des offi­ciers supé­rieurs de la marine russe, convain­cus de la sécu­rité de leur lien de commu­ni­ca­tion, discu­taient avec leurs pairs sans cryp­tage. Le dispo­si­tif d’en­re­gis­tre­ment et sa bande devaient être rempla­cés tous les mois et le projet s’est pour­suivi allè­gre­ment pendant une décen­nie, jusqu’à ce qu’il soit compro­mis par un tech­ni­cien civil de la NSA âgé de quarante-quatre ans, Ronald Pelton, qui parlait couram­ment le russe. Pelton a été trahi par un trans­fuge russe en 1985, et condamné à la prison. Les Russes ne lui ont versé que 5000 dollars pour ses révé­la­tions sur l’opé­ra­tion, ainsi que 35 000 dollars pour d’autres données opéra­tion­nelles russes qu’il a four­nies et qui n’ont jamais été rendues publiques.

Ce succès sous-marin, dont le nom de code était Ivy Bells, était nova­teur et risqué, et a permis d’ob­te­nir des rensei­gne­ments ines­ti­mables sur les inten­tions et la plani­fi­ca­tion de la marine russe.

Pourtant, le groupe inter-agences était initia­le­ment scep­tique quant à l’en­thou­siasme de la CIA pour une attaque secrète en haute mer. Il y avait trop de ques­tions sans réponse. Les eaux de la mer Baltique étaient forte­ment patrouillées par la marine russe, et il n’y avait aucune plate-forme pétro­lière pouvant servir de couver­ture à une opéra­tion de plon­gée. Les plon­geurs devraient-ils se rendre en Estonie, juste de l’autre côté de la fron­tière avec les quais de char­ge­ment de gaz natu­rel de la Russie, pour s’en­traî­ner en vue de la mission ? « Ce serait un goat­fuck » [NdT : une situa­tion chao­tique dans laquelle un effort a été complè­te­ment raté], a‑t-on dit à l’Agence.

Tout au long de « toutes ces mani­gances », a déclaré la source, certains colla­bo­ra­teurs de la CIA et du dépar­te­ment d’État disaient : « Ne faites pas ça. C’est stupide et ce sera un cauche­mar poli­tique si ça se sait. »

Néanmoins, début 2022, le groupe de travail de la CIA a fait un rapport au groupe inter­agences de Sullivan : « Nous avons un moyen de faire sauter les gazoducs. »

La suite a été stupé­fiante. Le 7 février, moins de trois semaines avant l’in­va­sion appa­rem­ment inévi­table de l’Ukraine par la Russie, Biden a rencon­tré dans son bureau de la Maison Blanche le chan­ce­lier alle­mand Olaf Scholz, qui, après quelques hési­ta­tions, était main­te­nant ferme­ment dans l’équipe améri­caine. Lors du point de presse qui a suivi, M. Biden a déclaré de manière provo­cante : « Si la Russie enva­hit l’Ukraine, il n’y aura plus de Nord Stream 2. Nous y mettrons fin. »

Vingt jours plus tôt, la sous-secrétaire Victoria Nuland avait déli­vré essen­tiel­le­ment le même message, lors d’un point de presse du dépar­te­ment d’État avec une faible couver­ture média­tique : « Je veux être très claire avec vous aujourd’­hui », avait-t-elle déclaré en réponse à une ques­tion. « Si la Russie enva­hit l’Ukraine, d’une manière ou d’une autre, Nord Stream 2 n’ira pas de l’avant. »

Plusieurs des personnes impli­quées dans la plani­fi­ca­tion de la mission du gazo­duc étaient conster­nées par ce qu’elles tenaient pour des réfé­rences indi­rectes à l’attaque.

« C’était comme mettre une bombe atomique au sol à Tokyo et dire aux Japonais que nous allons la faire explo­ser », a déclaré la source. « Le plan prévoyait que les options soient exécu­tées après l’in­va­sion et ne soient pas annon­cées publi­que­ment. Biden ne l’a tout simple­ment pas compris ou l’a ignoré. »

L’indiscrétion de Biden et de Nuland, s’il s’agit bien de cela, a pu frus­trer certains des plani­fi­ca­teurs. Mais elle a égale­ment créé une oppor­tu­nité. Selon la source, certains hauts respon­sables de la CIA ont déter­miné que faire sauter le gazo­duc « ne pouvait plus être consi­déré comme une option secrète, parce que le président venait d’an­non­cer que nous savions comment le faire. »

Le projet de faire sauter Nord Stream 1 et 2 est soudai­ne­ment passé d’une opéra­tion secrète, néces­si­tant que le Congrès soit informé, à une opéra­tion consi­dé­rée comme une opéra­tion de rensei­gne­ment haute­ment clas­si­fiée avec le soutien de l’ar­mée améri­caine. Selon la loi, explique la source, « il n’y avait plus d’obli­ga­tion légale de signa­ler l’opé­ra­tion au Congrès. Ils n’avaient plus qu’à la faire, mais elle devait rester secrète. Les Russes ont une surveillance excep­tion­nelle de la mer Baltique. »

Les membres du groupe de travail de l’Agence n’avaient pas de contact direct avec la Maison Blanche, et ils étaient impa­tients de savoir si le président pensait ce qu’il avait dit — c’est-à-dire si la mission était main­te­nant lancée. La source se souvient : « Bill Burns est revenu et a dit : “Faites-le” ».

« La marine norvé­gienne n’a pas tardé à trou­ver le bon endroit, dans les eaux peu profondes à quelques milles de l’île danoise de Bornholm… »

L’OPÉRATION

La Norvège était l’en­droit idéal pour la mission.

Au cours des dernières années de crise Est-Ouest, l’ar­mée améri­caine a large­ment étendu sa présence à l’in­té­rieur de la Norvège, dont la fron­tière occi­den­tale s’étend sur 1400 miles le long de l’océan Atlantique Nord, et se confond avec la Russie au-dessus du cercle polaire. Le Pentagone a créé des emplois et des contrats bien rému­né­rés, au milieu de quelques contro­verses locales, en inves­tis­sant des centaines de millions de dollars pour moder­ni­ser et agran­dir les instal­la­tions de la marine et de l’ar­mée de l’air améri­caines en Norvège. Les nouveaux travaux compre­naient, surtout, un radar à ouver­ture synthé­tique avancé, situé très au nord, capable de péné­trer profon­dé­ment en Russie, et mis en ligne juste au moment où la commu­nauté du rensei­gne­ment améri­caine perdait l’ac­cès à une série de sites d’écoute à longue portée en Chine.

Une base de sous-marins améri­cains récem­ment remise à neuf, qui était en construc­tion depuis des années, est deve­nue opéra­tion­nelle, et davan­tage de sous-marins améri­cains étaient désor­mais en mesure de travailler en étroite colla­bo­ra­tion avec leurs collègues norvé­giens pour surveiller et espion­ner une impor­tante redoute nucléaire russe située à 250 miles à l’est, sur la pénin­sule de Kola. Les États-Unis ont égale­ment agrandi consi­dé­ra­ble­ment une base aérienne norvé­gienne dans le nord du pays, et livré à l’ar­mée de l’air norvé­gienne une flotte d’avions de patrouille P8 Poseidon construits par Boeing pour renfor­cer son espion­nage à longue portée de tout ce qui concerne la Russie.

En retour, le gouver­ne­ment norvé­gien a suscité la colère des libé­raux et de certains modé­rés de son parle­ment, en novembre dernier, en adop­tant l’ac­cord complé­men­taire de coopé­ra­tion en matière de défense (SDCA). En vertu de ce nouvel accord, le système juri­dique améri­cain sera compé­tent dans certaines « zones conve­nues » du Nord pour les soldats améri­cains accu­sés de crimes en dehors de la base, ainsi que pour les citoyens norvé­giens accu­sés ou soup­çon­nés d’in­ter­fé­rer avec le travail de la base.

La Norvège a été l’un des premiers signa­taires du traité de l’OTAN, en 1949, au début de la guerre froide. Aujourd’hui, le comman­dant suprême de l’OTAN est Jens Stoltenberg, un anti­com­mu­niste convaincu, qui a été premier ministre de Norvège pendant huit ans avant d’ac­cé­der à son haut poste à l’OTAN, avec le soutien des États-Unis, en 2014. C’est un parti­san de la ligne dure sur tout ce qui concerne Poutine et la Russie, qui a coopéré avec les services de rensei­gne­ment améri­cains depuis la guerre du Vietnam. Depuis, on lui fait entiè­re­ment confiance. « Il est le gant qui convient à la main améri­caine », a déclaré la source.

De retour à Washington, les plani­fi­ca­teurs savaient qu’ils devaient aller en Norvège. « Ils détes­taient les Russes, et la marine norvé­gienne regor­geait d’ex­cel­lents marins et plon­geurs qui avaient une expé­rience de plusieurs géné­ra­tions dans l’ex­plo­ra­tion très rentable du pétrole et du gaz en haute mer », a déclaré la source. On pouvait égale­ment leur faire confiance pour garder la mission secrète. (Les Norvégiens peuvent avoir eu d’autres inté­rêts égale­ment. La destruc­tion de Nord Stream — si les Américains y parve­naient — permet­trait à la Norvège de vendre beau­coup plus de son propre gaz natu­rel à l’Europe.)

Au mois de mars, quelques membres de l’équipe se sont rendus en Norvège pour rencon­trer les services secrets et la marine norvé­giens. L’une des ques­tions clés était de savoir où exac­te­ment, dans la mer Baltique, se trou­vait le meilleur endroit pour placer les explo­sifs. Nord Stream 1 et 2, qui comportent chacun deux ensembles de gazo­ducs, étaient sépa­rés d’un peu plus d’un kilo­mètre sur la majeure partie du trajet, alors qu’ils se diri­geaient vers le port de Greifswald, à l’ex­trême nord-est de l’Allemagne.

La marine norvé­gienne a rapi­de­ment trouvé le bon endroit, dans les eaux peu profondes de la mer Baltique, à quelques kilo­mètres de l’île danoise de Bornholm. Les gazo­ducs sont distants de plus d’un kilo­mètre le long d’un plan­cher océa­nique qui n’a que 260 pieds de profon­deur. Les plon­geurs, qui opère­raient à partir d’un chas­seur de mines norvé­gien de classe Alta, plon­ge­raient avec un mélange d’oxy­gène, d’azote et d’hé­lium sortant de leurs bouteilles et place­raient des charges de C4 sur les quatre gazo­ducs avec des couvercles de protec­tion en béton. Ce serait un travail fasti­dieux, long et dange­reux, mais les eaux au large de Bornholm avaient un autre avan­tage : il n’y avait pas de grands courants de marée, qui auraient rendu la tâche de la plon­gée beau­coup plus difficile.

Après quelques recherches, les Américains ont été d’accord.

C’est à ce moment-là que l’obs­cur groupe de plon­gée profonde de la marine à Panama City entre à nouveau en jeu. Les écoles de plon­gée profonde de Panama City, dont les stagiaires ont parti­cipé à l’Ivy Bells, sont consi­dé­rées comme une zone secon­daire indé­si­rable par les diplô­més d’élite de l’Académie navale d’Annapolis, qui recherchent géné­ra­le­ment la gloire d’être affec­tés comme phoques, pilotes de chasse ou sous-mariniers. Si l’on doit deve­nir un « soulier noir » — c’est-à-dire un membre du comman­de­ment moins dési­rable des navires de surface — il y a toujours au moins une affec­ta­tion sur un destroyer, un croi­seur ou un navire amphi­bie. La guerre des mines est la moins glamour de toutes. Ses plon­geurs n’ap­pa­raissent jamais dans les films d’Hollywood, ni sur la couver­ture des maga­zines populaires.

« Les meilleurs plon­geurs quali­fiés pour la plon­gée profonde forment une commu­nauté restreinte, seuls les meilleurs sont recru­tés pour l’opé­ra­tion, et on leur dit de se prépa­rer à être convo­qués à la CIA à Washington », a déclaré la source.

Les Norvégiens et les Américains dispo­saient d’un lieu et d’agents, mais il y avait une autre préoc­cu­pa­tion : toute acti­vité sous-marine inha­bi­tuelle dans les eaux de Bornholm pouvait atti­rer l’at­ten­tion des marines suédoise et danoise, qui pouvaient la signaler.

Le Danemark avait égale­ment été l’un des premiers signa­taires de l’OTAN, et était connu dans la commu­nauté du rensei­gne­ment pour ses liens parti­cu­liers avec le Royaume-Uni. La Suède avait demandé à adhé­rer à l’OTAN et avait fait preuve d’une grande habi­leté dans la gestion de ses systèmes de capteurs sonores et magné­tiques sous-marins permet­tant de repé­rer avec succès les sous-marins russes qui surgis­saient occa­sion­nel­le­ment dans les eaux éloi­gnées de l’ar­chi­pel suédois et étaient forcés de remon­ter à la surface.

Les Norvégiens se sont joints aux Américains pour insis­ter sur le fait que certains hauts fonc­tion­naires du Danemark et de la Suède devaient être infor­més en termes géné­raux des éven­tuelles acti­vi­tés de plon­gée dans la région. De cette façon, quel­qu’un de plus haut placé pouvait inter­ve­nir et empê­cher qu’un rapport ne soit trans­mis à la chaîne de comman­de­ment, isolant ainsi l’ex­ploi­ta­tion du gazo­duc. « Ce qu’on leur disait et ce qu’ils savaient étaient déli­bé­ré­ment diffé­rents », m’a dit la source (l’am­bas­sade de Norvège, invi­tée à commen­ter cette histoire, n’a pas répondu).

Les Norvégiens ont joué un rôle clé dans la réso­lu­tion d’autres obstacles. La marine russe était connue pour possé­der une tech­no­lo­gie de surveillance capable de repé­rer et de déclen­cher des mines sous-marines. Les engins explo­sifs améri­cains devaient être camou­flés de manière à ce que le système russe les perçoive comme faisant partie de l’en­vi­ron­ne­ment natu­rel, ce qui néces­si­tait une adap­ta­tion à la sali­nité spéci­fique de l’eau. Les Norvégiens avaient une solution.

Les Norvégiens avaient égale­ment une solu­tion à la ques­tion cruciale du moment où l’opé­ra­tion devait avoir lieu. Chaque année, au mois de juin, depuis 21 ans, la Sixième flotte améri­caine, dont le navire amiral est basé à Gaeta, en Italie, au sud de Rome, parraine un exer­cice majeur de l’OTAN en mer Baltique, auquel parti­cipent de nombreux navires alliés dans toute la région. L’exercice actuel, qui a lieu en juin, serait connu sous le nom de Baltic Operations 22, ou BALTOPS 22. Les Norvégiens ont proposé que ce soit la couver­ture idéale pour poser les mines.

Les Américains ont apporté un élément essen­tiel : ils ont convaincu les plani­fi­ca­teurs de la Sixième Flotte d’ajou­ter au programme un exer­cice de recherche et déve­lop­pe­ment. L’exercice, tel que rendu public par la Marine, implique la Sixième Flotte en colla­bo­ra­tion avec les « centres de recherche et de guerre » de la Marine. L’événement en mer se dérou­le­rait au large de l’île de Bornholm et impli­que­rait des équipes de plon­geurs de l’OTAN qui pose­raient des mines, les équipes concur­rentes utili­sant les dernières tech­no­lo­gies sous-marines pour les trou­ver et les détruire.

C’était à la fois un exer­cice utile et une couver­ture ingé­nieuse. Les gars de Panama City feraient leur travail et les explo­sifs C4 seraient en place à la fin de BALTOPS22, avec une minu­te­rie de 48 heures. Tous les Américains et les Norvégiens seraient partis depuis long­temps à la première explosion.

Les jours défi­laient. « L’horloge faisait tic-tac, et nous étions proches de la mission accom­plie », a déclaré la source.

Et puis : Washington a changé d’avis. Les bombes seraient toujours placées pendant les BALTOPS, mais la Maison Blanche crai­gnait qu’une fenêtre de deux jours pour leur déto­na­tion soit trop proche de la fin de l’exer­cice, et qu’il soit évident que les États-Unis avaient été impliqués.

Au lieu de cela, la Maison Blanche a formulé une nouvelle demande : « Les gars sur le terrain peuvent-ils trou­ver un moyen de faire explo­ser les gazo­ducs plus tard sur commande ? »

Certains membres de l’équipe de plani­fi­ca­tion étaient furieux et frus­trés par l’in­dé­ci­sion appa­rente du président. Les plon­geurs de Panama City s’étaient exer­cés à plusieurs reprises à placer le C4 sur les gazo­ducs, comme ils l’au­raient fait pendant les BALTOPS, mais l’équipe en Norvège devait main­te­nant trou­ver un moyen de donner à Biden ce qu’il voulait — la possi­bi­lité de donner un ordre d’exé­cu­tion réussi au moment de son choix.

Se voir confier un chan­ge­ment arbi­traire de dernière minute était une chose que la CIA avait l’ha­bi­tude de gérer. Mais cela a égale­ment ravivé les inquié­tudes de certains quant à la néces­sité et à la léga­lité de l’en­semble de l’opération.

Les ordres secrets du Président évoquent égale­ment le dilemme de la CIA à l’époque de la guerre du Viêt Nam, lorsque le Président Johnson, confronté à un senti­ment crois­sant contre la guerre du Viêt Nam, a ordonné à l’agence de violer sa charte — qui lui inter­di­sait expres­sé­ment d’opé­rer à l’in­té­rieur des États-Unis — en espion­nant les leaders anti-guerre pour déter­mi­ner s’ils étaient contrô­lés par la Russie communiste.

L’Agence avait fini par acquies­cer et, tout au long des années 1970, on avait vu clai­re­ment jusqu’où elle était prête à aller. À la suite des scan­dales du Watergate, des jour­naux ont révélé que l’Agence espion­nait des citoyens améri­cains, qu’elle parti­ci­pait à l’as­sas­si­nat de diri­geants étran­gers, et qu’elle sapait le gouver­ne­ment socia­liste de Salvador Allende.

Ces révé­la­tions ont conduit à une série d’au­di­tions drama­tiques au milieu des années 1970 au Sénat, diri­gées par Frank Church de l’Idaho, qui ont clai­re­ment montré que Richard Helms, le direc­teur de l’Agence à l’époque, accep­tait l’obli­ga­tion de faire ce que le président voulait, même si cela signi­fiait violer la loi.

Dans un témoi­gnage à huis clos non publié, Helms a expli­qué avec regret que « vous avez presque une Immaculée Conception lorsque vous faites quelque chose » sous les ordres secrets d’un président. « Que ce soit bien que vous le fassiez, ou mal que vous le fassiez, [la CIA] travaille selon des règles, et des règles de base diffé­rentes de celles de toute autre partie du gouver­ne­ment. » Il disait essen­tiel­le­ment aux séna­teurs que lui, en tant que chef de la CIA, compre­nait qu’il avait travaillé pour la Couronne, et non pour la Constitution.

Les Américains à l’œuvre en Norvège fonc­tion­naient selon la même dyna­mique, et ont conscien­cieu­se­ment commencé à travailler sur le nouveau problème — comment faire déto­ner à distance les explo­sifs C4 sur l’ordre de Biden. Il s’agis­sait d’une mission beau­coup plus exigeante que ce que les gens de Washington avaient compris. L’équipe en Norvège n’avait aucun moyen de savoir quand le président appuie­rait sur le bouton. Serait-ce dans quelques semaines, dans plusieurs mois, dans six mois ou plus ?

Le C4 fixé aux gazo­ducs serait déclen­ché par une bouée sonar larguée par un avion à brève échéance, mais cette procé­dure impli­quait la tech­no­lo­gie la plus avan­cée de trai­te­ment des signaux. Une fois en place, les dispo­si­tifs de tempo­ri­sa­tion fixés à l’un des quatre gazo­ducs risquaient d’être déclen­chés acci­den­tel­le­ment par le mélange complexe de bruits de fond océa­niques dans la mer Baltique, qui connaît un trafic intense : navires proches ou éloi­gnés, forages sous-marins, événe­ments sismiques, vagues, et même créa­tures marines. Pour éviter cela, la bouée sonar, une fois en place, émet­trait une séquence de sons uniques de basse fréquence, un peu comme ceux émis par une flûte ou un piano, qui seraient recon­nus par le dispo­si­tif de chro­no­mé­trage et déclen­che­raient les explo­sifs après un délai prédé­fini. (« Vous voulez un signal qui soit suffi­sam­ment robuste pour qu’au­cun autre signal ne puisse acci­den­tel­le­ment envoyer une impul­sion qui déclenche les explo­sifs », m’a dit le Dr Theodore Postol, profes­seur émérite de science, tech­no­lo­gie et poli­tique de sécu­rité natio­nale au MIT. M. Postol, qui a été conseiller scien­ti­fique du chef des opéra­tions navales du Pentagone, a déclaré que le problème auquel le groupe en Norvège est confronté en raison du retard de Biden est une ques­tion de chance : « Plus les explo­sifs restent long­temps dans l’eau, plus il y a de risques qu’un signal aléa­toire déclenche les bombes. »)

Le 26 septembre 2022, un avion de surveillance P8 de la marine norvé­gienne a effec­tué un vol appa­rem­ment de routine et a largué une bouée sonar. Le signal s’est propagé sous l’eau, d’abord vers Nord Stream 2, puis vers Nord Stream 1. Quelques heures plus tard, les explo­sifs C4 de forte puis­sance ont été déclen­chés, et trois des quatre gazo­ducs ont été mis hors service. En l’es­pace de quelques minutes, on a pu voir les mares de méthane qui restaient dans les gazo­ducs fermés se répandre à la surface de l’eau, et le monde a appris que quelque chose d’ir­ré­ver­sible avait eu lieu.

RETOMBÉES

Immédiatement après l’ex­plo­sion de l’oléo­duc, les médias améri­cains l’ont trai­tée comme un mystère non résolu. La Russie a été citée à plusieurs reprises comme un coupable probable, encou­ra­gée par des fuites calcu­lées en prove­nance de la Maison Blanche, mais sans jamais établir un motif clair pour un tel acte d’au­to­sa­bo­tage, au-delà de la simple vengeance. Quelques mois plus tard, lors­qu’il est apparu que les auto­ri­tés russes avaient discrè­te­ment obtenu des esti­ma­tions du coût de la répa­ra­tion des oléo­ducs, le New York Times a décrit cette nouvelle comme « compli­quant les théo­ries sur l’iden­tité des auteurs » de l’at­taque. Aucun grand jour­nal améri­cain n’a creusé les menaces anté­rieures de Biden et de la sous-secrétaire d’État Nuland contre les oléoducs.

Si la raison pour laquelle la Russie cher­che­rait à détruire son propre oléo­duc lucra­tif n’a jamais été claire, une justi­fi­ca­tion plus révé­la­trice de l’ac­tion du président est venue du secré­taire d’État Blinken.

Interrogé lors d’une confé­rence de presse, en septembre dernier, sur les consé­quences de l’ag­gra­va­tion de la crise éner­gé­tique en Europe occi­den­tale, Blinken a décrit le moment comme poten­tiel­le­ment bon :

It’s a tremen­dous oppor­tu­nity to once and for all remove the depen­dence on Russian energy and thus to take away from Vladimir Putin the weapo­ni­za­tion of energy as a means of advan­cing his impe­rial desi­gns. That’s very signi­fi­cant and that offers tremen­dous stra­te­gic oppor­tu­nity for the years to come, but meanw­hile, we’re deter­mi­ned to do every­thing we possi­bly can to make sure that the conse­quences of all of this are not borne by citi­zens in our coun­tries or, for that matter, around the world.

Traduction : C’est une occa­sion formi­dable de suppri­mer une fois pour toutes la dépen­dance à l’égard de l’éner­gie russe et donc de priver Vladimir Poutine de l’ar­me­ment de l’éner­gie comme moyen de faire avan­cer ses desseins impé­riaux. C’est très signi­fi­ca­tif, et cela offre une formi­dable oppor­tu­nité stra­té­gique pour les années à venir, mais en atten­dant, nous sommes déter­mi­nés à faire tout ce qui est en notre pouvoir pour nous assu­rer que les consé­quences de tout cela ne soient pas suppor­tées par les citoyens de nos pays ou, d’ailleurs, du monde entier.

Plus récem­ment, Victoria Nuland a exprimé sa satis­fac­tion quant à la dispa­ri­tion du plus récent des gazo­ducs. Témoignant lors d’une audi­tion de la commis­sion des affaires étran­gères du Sénat fin janvier, elle a déclaré au séna­teur Ted Cruz : « Comme vous, je suis, et je pense que l’ad­mi­nis­tra­tion est, très satis­faite de savoir que Nord Stream 2 est main­te­nant, comme vous aimez le dire, un morceau de métal au fond de la mer. »

La source avait une vision beau­coup plus proche de la réalité de la déci­sion de Biden de sabo­ter plus de 1500 miles de gazo­duc Gazprom à l’ap­proche de l’hi­ver. « Eh bien », a‑t-il dit en parlant du président, « Je dois admettre que ce type a une paire de couilles. Il a dit qu’il allait le faire, et il l’a fait. »

Interrogé sur les raisons pour lesquelles il pense que les Russes n’ont pas réagi, il a répondu cyni­que­ment : « Peut-être veulent-ils avoir la capa­cité de faire les mêmes choses que les États-Unis. »

« C’était une belle histoire de couver­ture », a‑t-il pour­suivi. « Derrière cela, il y avait une opéra­tion secrète qui plaçait des experts sur le terrain et des équi­pe­ments qui fonc­tion­naient sur un signal secret. »

« Le seul point déli­cat a été la déci­sion de le faire. » ⚪️

➡ Lecture critique de cet article : Media ignore Seymour Hersh bomb­shell report of U.S. destroying Nord Stream II, par Alan MacLeod.


Les lignes rouges du Nord Stream prennent une forme réelle

🔵 Article de Lydia Krylova, 27 avril 2023
Traduit du russe à l’aide de DeepL

Source : https://​octa​gon​.media/​n​o​v​o​s​t​i​/​k​r​a​s​n​y​e​_​l​i​n​i​i​_​s​e​v​e​r​n​y​x​_​p​o​t​o​k​o​v​_​p​r​i​o​b​r​e​t​a​y​u​t​_​r​e​a​l​n​y​e​_​o​c​h​e​r​t​a​n​i​y​a​.​h​tml

⚪️ La chaîne de télé­vi­sion chinoise CGTN, qui diffuse des docu­ments du portail poli­tique chinois Yuyuan Tantian, a recons­ti­tué la chro­no­lo­gie des événe­ments avant et après les explo­sions des gazo­ducs Nord Stream qui, selon les jour­na­listes chinois et ceux qui en sont à l’ori­gine, en l’oc­cur­rence à Pékin, dési­gnent le seul client et exécu­tant de l’acte terro­riste — les États-Unis.

Le sabo­tage des infra­struc­tures critiques de la Russie en septembre dernier était-il la ligne rouge ? Passons aux « miettes » épar­pillées sur le web, qui indiquent que l’at­taque terro­riste de l’Occident n’est pas du tout relé­guée aux oubliettes.

Source : CGTN – Comment Nord Stream a explosé

« Tout le monde devrait se rappe­ler que personne dans le monde ne se sentira en sécu­rité tant qu’une enquête complète sur l’at­taque terro­riste n’aura pas été menée et ache­vée et que la justice n’aura pas été réta­blie. Le bombar­de­ment de Nord Stream est une attaque directe contre la Russie, qui inflige des milliards de dollars de dommages à notre pays », a écrit l’ana­lyste poli­tique Alexei Martynov sur sa chaîne Telegram. L’Occident est bien conscient que ses actifs — des satel­lites aux gazo­ducs — sont désor­mais « dans le colli­ma­teur » pour « tout et partout », affirme-t-il.

L’Américain Bloomberg admet que sept mois après les événe­ments en mer Baltique, « il ne reste qu’une seule certi­tude : les infra­struc­tures sont une cible facile ».

« Les navires espions russes menacent de détruire l’ap­pro­vi­sion­ne­ment en élec­tri­cité de la Grande-Bretagne », titrait en première page le quoti­dien britan­nique The Daily Telegraph, repre­nant presque le refrain alar­mant de ses confrères du Telegraph online, convain­cus que « les navires espions russes carto­gra­phient les parcs éoliens et les prin­ci­paux câbles au large des côtes britan­niques ». Ces extraits de la presse occi­den­tale sont cités dans son télé­gramme par le poli­to­logue améri­cain Sergei Sudakov.

« Les Britanniques ont main­te­nant peur parce que leurs instal­la­tions stra­té­giques, qui garan­tissent la souve­rai­neté du pays en matière d’éner­gie, de commerce et de défense, sont deve­nues des cibles mili­taires pour la Russie. Les satel­lites spatiaux et les bases de l’OTAN, l’oléo­duc Baltic Pipe qui relie la Norvège à la Pologne et les champs pétro­liers et gaziers de Statfjord, les stations de gaz natu­rel liqué­fié et les pétro­liers seront des cibles. Nous réflé­chi­rons à la manière de réagir », commente-t-il.

Œil pour œil
Toutes les acti­vi­tés les plus impor­tantes, même s’il s’agit d’un théâtre de guerre, se déroulent toujours en coulisses. Par le biais de leurs canaux de commu­ni­ca­tion internes, les services de rensei­gne­ment et la direc­tion des états-majors entre­tiennent un dialogue quoti­dien, dont la toile de fond et le fonde­ment sont souvent des projets média­tiques et divers types de « mesures actives », par lesquels les infor­ma­tions qui ne peuvent être trans­mises par les canaux de commu­ni­ca­tion offi­ciels sont commu­ni­quées aux homo­logues. Nous sommes peut-être en train d’as­sis­ter à un tel dialogue.

Aller à la page

Le 26 avril, l’agence Reuters a signalé une défaillance majeure dans le système élec­trique des pays nordiques (Danemark, Norvège, Finlande, Suède). À 8h40, deux unités de la centrale nucléaire de Forsmark se sont arrê­tées de manière synchro­ni­sée. À Stockholm, une panne de courant s’est produite à 6h40, entraî­nant l’ar­rêt du trafic souter­rain, écrit SVT. Les réac­teurs nucléaires Forsmark 1 et 2 à Östhammar ont égale­ment été arrê­tés. Une panne de télé­vi­sion s’en est suivie.

« Que puis-je vous dire, chers collègues ? Je ne sais même pas quoi vous conseiller. Vous pour­riez mettre en place un groupe de travail d’ex­perts pour enquê­ter sur la situa­tion d’ur­gence (n’ou­bliez pas d’in­clure les gays et les trans­genres pour l’équi­libre), et égale­ment mettre en place une commis­sion indé­pen­dante à l’ONU qui se réuni­rait pendant six mois sur Skype et ferait une pause café à Central Park. Vous pouvez égale­ment rédi­ger une note diplo­ma­tique et ne pas oublier d’écrire quelque chose sur Twitter », déclare l’écri­vain et anima­teur de télé­vi­sion et de radio Armen Gasparyan sur sa chaîne Telegram, à la suite des événe­ments scan­di­naves décrits ci-dessus. ⚪️

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Article créé le 13/02/2023 - modifié le 6/03/2024 à 10h05

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