Ce sujet est très complexe, et en aucun cas la lecture de cet article ne devrait se substituer à la consultation de professionnels de santé qualifiés. L’objectif est de fournir quelques pistes de réflexion, à partager avec son médecin traitant, afin de mieux comprendre la pertinence d’un diagnostic d’hypertension et l’utilité de son traitement.
La tension artérielle est généralement exprimée par le couple pression systolique / pression diastolique. La première est la force du sang expulsé par le cœur pendant la contraction, et la seconde au repos entre les battements. Une estimation fiable de la tension artérielle s’effectue avec un brassard (voir image), en calculant les moyennes de trois mesures, au repos depuis quelques minutes, trois fois dans la journée. Les autres instruments de mesure (bracelet au poignet, bague…) ne présentent aucune fiabilité.
L’hypertension artérielle est signalée par une pression systolique supérieure à un certain seuil. En médecine de précisionN1, le risque de maladie cardiovasculaire associé à de l’hypertension devrait être évalué par une mesure ambulatoire (MAPA ou enregistrement Holter) sur 24 heures faisant apparaître la différence de pression systolique en moyenne à l’état de veille et pendant le sommeil : si cette pression ne diminue pas dans la période nocturne (profil de dipper), un risque est à envisager (De Lorgeril M, 2022N2 p. 67).
On s’interroge ici sur la nécessité d’un traitement anti-hypertenseur, en l’absence de symptômes perçus, lorsque le diagnostic est prononcé sur la seule base des mesures de tension artérielle.
Quelques liens et commentaires sur cette page ont été empruntés à l’article de A Midwestern Doctor (2025N3).
Sommaire
⇪ Relecture de l’étude de Framingham
Une grande partie de l’hypothèse partagée au sujet de l’hypertension artérielle repose sur une étude de longue durée — Framingham (1948N4) — qui aurait « découvert » une relation linéaire-logarithmique, uniformément croissante, entre la pression artérielle et le risque de décès. Ce qui signifie que tout abaissement de la pression artérielle réduirait le risque de décès. Or, le calculateur de risque de décès par accident cardiovasculaire est basé sur une interprétation simpliste — pour tout dire, erronée — des données de Framingham.
Les mesures sur une période de 18 ans ont été de nouveau analysées par S Port et ses collègues (2000N5 p. 177 ; 2000N6 p. 1636) pour aboutir au graphe comparatif suivant :

Cette figure représente les risques de décès cardiovasculaires dans la période de 18 ans, en fonction de la pression artérielle systolique, pour une population de 56 à 64 ans. La courbe étiquetée ‘logistic’, basée sur une régression linéaire-logarithmique, est celle initialement présentée comme représentative des données de Framingham (Stamler J, 1991N7). La courbe étiquetée ‘new’ est celle résultant de la nouvelle analyse (Port S et al., 2000N6). Elle passe « en dessous » de la courbe ‘logistic’ dans l’intervalle qui nous intéresse : une pression artérielle systolique de 125 à 175 mmHg. (En France, on dirait plus couramment 12.5 à 17.5 centimètres de mercure.)
S Port et ses collègues concluent (2000N5 p. 177) :
Contrairement aux interprétations largement citées, la réanalyse des données de Framingham sur 18 ans a montré que la relation entre la pression artérielle systolique et la mortalité toutes causes confondues et cardiovasculaire n’est pas strictement croissante.
Ce qui veut dire que le risque de décès est moins élevé qu’on le croyait. Sur la figure ci-dessus — pour la tranche d’âge de 56 à 64 ans — on n’observe pas d’augmentation de risque jusqu’à 150 mmHg, et l’hypertension ne serait déclarée qu’aux environs de 160 mmHg. Les auteurs affirment que, dans la zone hachurée, de nombreuses personnes seraient traitées inutilement pour « hypertension » (Port S et al., 2000N6 p. 1636) :
L’invariance du seuil d’hypertension en fonction de l’âge et du sexe, combinée à l’augmentation de la pression artérielle systolique avec l’âge, place automatiquement une part toujours plus importante de la population vieillissante dans la catégorie des hypertendus, qui doivent donc être considérés comme nécessitant une intervention (principalement pharmacologique).
La valeur de 150 mmHg est en réalité un seuil dépendant de l’âge. Les auteurs proposent de calculer ce seuil avec une formule simple (ibid.) :
- 110 + 2/3 âge pour un homme entre 47 et 74 ans
- 104 + 5/6 âge pour une femme entre 47 et 74 ans
La formule donne 150 mmHg pour un homme de 60 ans, et 154 mmHg pour une femme de 60 ans.
Malgré cette publication, la mise au point de Port et collègues n’a eu aucun effet sur les directives de prévention de l’hypertension (Kendrick M, 2013N8) :
L’Institut national du cœur, des poumons et du sang (NHLBI) des Instituts nationaux de la santé a publié une déclaration concernant les conclusions de Port, affirmant qu’il les trouvait « stimulantes », mais qu’ « après un examen attentif de cette étude, le NHLBI estime qu’elle ne fournit pas de base suffisante pour modifier les directives actuelles en matière d’hypertension. »
De manière arbitraire, un seuil était annoncé à partir duquel un traitement contre l’hypertension s’imposerait. Pour les personnes âgées, aux États-Unis, il était de 160 mmHg jusqu’en 1988, puis de 140 jusqu’en 2003, et 130 par la suite, avec un rebond inexpliqué à 140 en 2014.
Le tableau (voir PDF) du Clinical Journal of the American Society of Nephrology (CJASN) a été importé de l’article de A Midwestern Doctor (2025N3).
Les valeurs de seuil ont diminué à mesure que de nouveaux médicaments anti-hypertension étaient mis sur le marché — mais c’est un autre sujet de débat.
Quid des essais cliniques sur les médicaments antihypertenseurs ? Port et collègues ont écrit (2000N6 p. 1637) :
Il est largement admis que des essais randomisés ont prouvé que la réduction de la pression artérielle serait bénéfique. En réalité, ce n’est pas vrai. Tous les médicaments antihypertenseurs ont des effets profonds sur le système cardiovasculaire, outre leur effet hémodynamique. Dans quelle mesure, le cas échéant, la réduction observée du risque peut-elle être attribuée à la réduction de la pression, et dans quelle mesure à l’action directe du médicament sur le système cardiovasculaire ? Motivés par la croyance en une relation linéaire entre le risque et la pression, beaucoup attribuent automatiquement la réduction du risque à celle de la pression, ignorant l’action directe des médicaments sur les résultats visés.
Cependant, les résultats d’une multitude d’essais cliniques montrent clairement qu’une vision aussi simpliste ne peut être vraie. En fait, de plus en plus de preuves (provenant notamment des essais les plus récents) montrent que ce sont les effets directs qui produisent la plupart, voire la totalité, des bénéfices, et que la réduction de la pression artérielle qui les accompagne n’est peut-être qu’un effet secondaire sans importance.
S Port et ses collègues ont placé en exergue cette citation judicieuse, en tête de leur article (2000N6 p. 1635) :
« Pour chaque problème complexe, il existe une solution simple, directe, compréhensible et erronée. » — H. L. Mencken
⇪ Jane Masoli et collègues (2020)
Vingt ans plus tard, Jane Masoli et ses collègues ont évalué les associations observationnelles entre la pression artérielle de base et les résultats cardiovasculaires, dans une population de 415 980 personnes âgées de plus de 75 ans suivies en soins primaires, stratifiée selon le degré de fragilité.
L’indice électronique de fragilité (Frailty group) a été développé selon la méthode du déficit cumulatif (Rockwood K & A Mitnitski, 2007N9). Il évalue 36 déficits (signes cliniques, symptômes, maladies, handicaps et déficiences) dans les dossiers électroniques et classe les personnes âgées en trois catégories : en bonne santé (non fragiles, non-frail), fragilité légère (mild), modérée ou sévère (mod/severe).
Cette étude a confirmé qu’un seuil de pression artérielle systolique existait pour l’accroissement du risque de décès, dépendant de l’âge comme le montrent les graphiques ci-dessous.

Source : Jane AH Masoli, Joao Delgado, Luke Pilling, David Strain & David Melzer (2020N10 p. 810)
Dans la tranche d’âge de 75 à 84 ans, le risque de décès est diminué d’un pourcentage jusqu’à 16 % chez des personnes fragiles dont la pression artérielle systolique est de 140 à 169 mmHg, par rapport à la valeur « standard » de 130 à 139 mmHg. Il augmente, comme on pouvait s’y attendre, pour une pression supérieure à 170 mmHg. Dans la tranche d’âge supérieure à 85 ans, relativement au même standard, le risque de décès est diminué d’un pourcentage jusqu’à 39 % chez les personnes fragiles dont la pression artérielle systolique serait de 140 à 179 mmHg.
Par contre, pour des pressions inférieures à 120 mmHg, le risque augmente considérablement, d’un pourcentage jusqu’à 66 % pour la tranche d’âge de 75 à 84 ans, et 50 % pour ceux de plus de 85 ans.
Ces résultats démontrent qu’il est risqué de faire baisser la pression artérielle chez des personnes âgées, en dessous d’un seuil nettement plus élevé que la « norme » de 130 mmHg en vigueur actuellement. L’augmentation de la pression systolique avec l’âge permet d’assurer la circulation sanguine dans des vaisseaux rendus plus rigides par la calcification.
En plus d’une pression artérielle systolique inférieure à 130 mmHg augmentant le risque de décès, cette étude a révélé qu’une pression artérielle diastolique (au repos entre deux battements) inférieure à 80 mmHg — un effet fréquent des médicaments antihypertenseurs — augmentait de 8 à 19 % le risque de décès.
Les valeurs « normales » affichées sur la plupart des sites « de santé » se situent toutes dans les zones de risque augmenté. Par exemple, pour une femme de 50 ans : « 116 mmHg de pression systolique et 72 mmHg de pression diastolique »… Les médecins français et les autorités sanitaires n’ont pas encore intégré les corrections de l’interprétation des données de l’étude de Framingham (1948N4) publiées il y a plus de vingt-cinq ans !
⇪ Résultats de traitements antihypertenseurs
Un essai clinique couvrant 17 354 patients âgés de 35 à 64 ans a été conduit au Royaume-Uni à partir de 1973 sur une décennie (Sans auteur, 1985N11, voir PDF). L’objectif principal de cet essai était de déterminer si le traitement médicamenteux de l’hypertension légère réduisait les taux d’accidents vasculaires cérébraux et de décès dus à l’hypertension. La moyenne des pressions artérielles systoliques était de 158/98 mmHg chez les hommes et 166/99 mmHg chez les femmes.
L’essai a révélé que le traitement de ces hypertensions artérielles n’avait pas d’incidence réelle sur le risque d’événement coronarien (par exemple, une crise cardiaque), puisque le taux n’a été réduit que de 5.5 à 5.2 pour 1000 patients-années, et qu’il n’y avait également pratiquement aucune différence dans le taux de mortalité : 253 décès contre 248 décès, soit une réduction de 0.06 % du risque de décès. Toutefois, l’étude a montré que la réduction de la pression artérielle diminue un peu le risque d’accident vasculaire cérébral [probablement hémorragique] : 60 accidents vasculaires cérébraux (dont 18 mortels) sont survenus dans le groupe traité et 109 (dont 27 mortels) dans le groupe placebo, soit des taux respectifs de 1.4 et 2.6 pour 1 000 années-patients d’observation.
Par contre, des effets secondaires ont été observés dans le groupe traité, dont environ 25 % des sujets ont quitté l’essai.
Ces résultats ont été confirmés par une revue Cochrane (Arguedas JA et al., 2020N12) qui a de nouveau constaté que les objectifs de réduction de la pression artérielle n’apportaient qu’un bénéfice négligeable, largement contrecarré par les effets indésirables des médicaments.
A Midwestern Doctor remarque malicieusement (2025N3) :
Cela peut aider à expliquer pourquoi l’accent a été mis sur les avantages théoriques de la réduction de la pression artérielle plutôt que sur la preuve de leur existence.
Rappel : Le contenu de ce site ne se substitue pas aux recommandations des professionnels de santé consultés par les lecteurs.
⇪ ▷ Liens
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- On peut aussi consulter le serveur de liens https://leti.lt/liens et la liste des pages cibles https://leti.lt/liste.
- N1 · x7by · Médecine personnalisée – Wikipedia
- N2 · rm72 · de Lorgeril, M (2022). Comment échapper à l’infarctus et l’AVC. Thierry Souccar.
- N3 · fg2q · A Midwestern Doctor (2025). Unmasking The Great Blood Pressure Scam. Site The Forgotten Side of Medicine.
- N4 · 18ym · Étude de Framingham – Wikipedia
- N5 · zw38 · Port, S et al. (2000). Systolic blood pressure and mortality. Lancet 355, 9199 : 75–80.
- N6 · kfm9 · Port, S et al. (2000). There is a non-linear relationship between mortality and blood pressure. European Heart Journal 21, 20 : 1635–1638.
- N7 · vd9d · Stamler, J (1991). Blood pressure and high blood pressure. Aspects of risk. Hypertension 18, 3 Suppl : I95-107.
- N8 · j97l · Kendrick, M (2013). You absolutely cannot be healthy any more – it’s official. Site de Dr Malcolm Kendrick.
- N9 · gu5d · Rockwood, K & A Mitnitski (2007). Frailty in relation to the accumulation of deficits. The Journals of Gerontology : Series A, 62, 7 : 722–727
- N10 · qz9d · Masoli, JAH et al. (2020). Blood pressure in frail older adults : associations with cardiovascular outcomes and all-cause mortality. Age and Ageing 49, 5 : 807–813.
- N11 · xv9s · Sans auteur (1985). MRC trial of treatment of mild hypertension : principal results. Medical Research Council Working Party. British Medical Journal (Clin Res Ed) 291, 6488 : 97–104.
- N12 · fu9r · Arguedas, JA et al. (2020). Cochrane Database of Systematic Reviews 12. Art. No.: CD004349.
Article créé le 3/09/2025 - modifié le 5/09/2025 à 15h56