Microbiotes

Récupérer un microbiote intestinal sain après une prise d’antibiotiques

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Cet article est basé sur des pages publiées par Lucy Mailing sur son site Substack. Chercheure en science des micro­biomes et docteure en sciences nutri­tion­nelles, elle a publié sur ce sujet un dossier détaillé (Mailing L, 2024N1) acces­sible inté­gra­le­ment aux abon­nés — dont je fais partie. D’autres articles sont cités sur cette page.

Je mentionne, pour l’es­sen­tiel, les conclu­sions qui peuvent aider les patients sous anti­bio­tiques à recons­truire rapi­de­ment et effi­ca­ce­ment leur flore intes­ti­nale après leur traitement.

Lucy Mailing écrit (2025N2) :

Les anti­bio­tiques à large spectre agissent comme un feu de forêt dans votre écosys­tème interne, élimi­nant les bacté­ries béné­fiques et lais­sant l’in­tes­tin vulné­rable à des oppor­tu­nistes moins dési­rables. La commu­nauté de la méde­cine fonc­tion­nelle estime depuis long­temps que la réin­tro­duc­tion de probio­tiques dans l’in­tes­tin pour­rait être une bonne solu­tion pour la récu­pé­ra­tion post-antibiotique.

La pratique la plus connue consiste en effet à consom­mer des probio­tiques — par exemple de l’Ultra-levure — pour se « refaire une santé » après un trai­te­ment anti­bio… Selon Mailing (2024N1) :

Bien qu’il puisse sembler intui­tif de prendre n’im­porte quel probio­tique pour repeu­pler l’in­tes­tin, j’ai déjà expli­qué précé­dem­ment (2020N3) pour­quoi ce n’est pas une bonne idée. Les espèces présentes dans la plupart des complé­ments probio­tiques ne sont pas natives de l’in­tes­tin, et l’étude la plus solide à ce jour sur la récu­pé­ra­tion du micro­biome après un trai­te­ment anti­bio­tique [Suez J et al., 2018N4] a révélé qu’un probio­tique multi-souches retar­dait en fait la récu­pé­ra­tion des bacté­ries intes­ti­nales natives.

Toutefois, cet avis a été nuancé par la suite (Mailing L, 2020N3) :

Je conti­nue à penser que les preuves justi­fient la prudence quant à la prise de probio­tiques pendant ou après un trai­te­ment anti­bio­tique […] Si vous esti­mez devoir prendre un probio­tique avec des anti­bio­tiques, Saccharomyces boular­dii CNCM I‑745 (Florastor) est proba­ble­ment le moins nocif, mais des recherches supplé­men­taires sont néces­saires. Mieux encore, prenez un complé­ment alimen­taire à base de buty­rateN5 pour lutter contre l’hy­poxie intes­ti­nale, ou envi­sa­gez une trans­plan­ta­tion fécale autologue !

Jotham Suez et al. (2018N4) ont aussi montré que la meilleure façon de repeu­pler l’in­tes­tin consis­tait à lui inocu­ler un échan­tillon de matières fécales prélevé avant la prise d’an­ti­bio­tiques, ce qu’on appelle une trans­plan­ta­tion fécale auto­logueN6. Sous condi­tion que, dans la situa­tion anté­rieure, il n’ait pas été le théâtre d’une dysbioseN7. Cette méthode a prouvé son effi­ca­cité, mais sa mise en œuvre est coûteuse et compli­quée : le prélè­ve­ment doit en effet être stocké (pendant tout le trai­te­ment) dans un congé­la­teur à ‑80 °C.

Une étude récente (Kennedy MS et al., 2025N8) a montré que le régime alimen­taire pour­rait exer­cer un rôle déter­mi­nant dans le proces­sus de recons­truc­tion de la flore intes­ti­nale. Il s’agit d’une étude inter­ven­tion­niste en expé­ri­men­ta­tion animale — sur des popu­la­tions de souris. Cette étude révèle que l’ap­port de microbes par trans­plan­ta­tion fécale pour­rait ne pas être suffi­sant si le patient ne suit pas égale­ment un régime alimen­taire adapté, et que l’ali­men­ta­tion en elle-même est un facteur plus puis­sant pour la restau­ra­tion du microbiome.

Précisons que, dans l’ex­pé­ri­men­ta­tion animale, les sujets (des souris) n’ont pas vrai­ment eu droit à une trans­plan­ta­tion fécale auto­logue, car les matières fécales resti­tuées n’étaient pas celles de chaque indi­vidu, mais un mélange de celles du groupe. Il est vrai­sem­blable qu’une trans­plan­ta­tion auto­logue soit plus effi­cace, dimi­nuant donc en propor­tion l’ef­fet du régime alimen­taire. Ce point, ainsi que plusieurs autres limi­ta­tions de l’étude, est discuté dans l’ar­ticle de Lucy Mailing (2025N2).

Ce qui est impor­tant, pour des humains qui n’ont pas accès à la trans­plan­ta­tion, est la compo­si­tion du régime alimen­taire le mieux adapté. Deux régimes ont été choi­sis pour l’ex­pé­ri­men­ta­tion animale :

  1. « Diète normale » — faible en graisses, faible en sucres, riche en fibres
  2. « Diète occi­den­tale » — riche en graisses, riche en sucres, pauvre en fibres

Sans entrer dans les détails de la procé­dure, le résul­tat, selon MS Kennedy et al. (2025N8) est que dans tous les cas (avec ou sans trans­plan­ta­tion) le premier régime (diète riche en fibres) a donné un excellent résul­tat alors que le second a rela­ti­ve­ment dimi­nué l’ef­fet de la trans­plan­ta­tion. Bien que dési­gné comme une « diète normale », le régime préfé­rable conte­nait une quan­tité de fibres (65 grammes par jour pour des humains) plus de deux fois supé­rieure à la recom­man­da­tion diété­tique aux USA. Il semble donc que l’avan­tage porte prin­ci­pa­le­ment sur la consom­ma­tion de fibres (après le trai­te­ment antibiotique).

Par contre, Lucy Mailing observe, en étudiant les données, que les souris nour­ries avec cette « diète normale » ont présenté une baisse de la diver­sité alpha (réduc­tion de deux tiers) en grande partie compen­sée par la trans­plan­ta­tion fécale prove­nant de souris ayant elles aussi consommé une alimen­ta­tion normale. La diver­sité alpha est mesu­rée par la richesse en variants de séquence d’am­pli­conN9. En clair, il s’agit de la « biodi­ver­sité » de la flore intes­ti­nale, très impor­tante pour le système immu­ni­taire. La trans­plan­ta­tion fécale (auto­logue pour les humains) n’est donc pas à écar­ter, malgré la diffi­culté de sa mise en œuvre.

Toutes ces obser­va­tions sont appli­cables à des sujets ayant un micro­biote sain avant le trai­te­ment anti­bio­tique. Pour les autres, Lucy Mailing ajoute (2025N2) :

Mais qu’en est-il des personnes qui souf­fraient déjà avant la prise d’an­ti­bio­tiques et qui ne tolèrent pas les glucides complexes ? Les anti­bio­tiques pourraient-ils ouvrir une fenêtre permet­tant de réin­tro­duire ces glucides complexes et ces fibres, et de remo­de­ler ou diver­si­fier le micro­biome ? Ou bien un intes­tin déjà fragi­lisé est-il peu suscep­tible de suppor­ter un apport supplé­men­taire en fibres, ce qui entraî­ne­rait une fermen­ta­tion anor­male, une inflam­ma­tion et une aggra­va­tion de la dysbiose ?

Les recherches dans ce domaine sont encore limi­tées. Dans la pratique, je recom­man­de­rais géné­ra­le­ment d’es­sayer de se rappro­cher d’une alimen­ta­tion opti­male et plus variée (en augmen­tant progres­si­ve­ment la quan­tité de fibres de 3 à 5 grammes par jour), mais en résis­tant à la tenta­tion d’aug­men­ter de 20 grammes la consom­ma­tion de fibres fermen­tes­cibles du jour au lende­main. L’alimentation est un facteur puis­sant de guéri­son, mais la tolé­rance indi­vi­duelle joue égale­ment un rôle important.

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  • N1 · l8gz · Mailing, L (2024). How to Protect Your Gut During Antibiotics : An Evidence-based Guide. Site Lucy Mailing, PhD.
  • N2 · c80i · Mailing, L (2025). Does diet beat FMT for anti­bio­tic reco­very ? Site de Lucy Mailing, PhD.
  • N3 · m7ow · Mailing, L (2020). Taking probio­tics with antbio­tics : revi­si­ted. Site de Lucy Mailing, PhD.
  • N4 · y6na · Suez, J et al. (2018). Post-Antibiotic Gut Mucosal Microbiome Reconstitution Is Impaired by Probiotics and Improved by Autologous FMT. Cell 174, 6 : 1406–1423
  • N5 · kc4r · Butanoate (buty­rate) – Wikipedia
  • N6 · g1ck · Bactériothérapie fécale – Wikipedia
  • N7 · fb59 · Dysbiose – Wikipedia
  • N8 · gj8s · Kennedy, MS et al. (2025). Diet outper­forms micro­bial trans­plant to drive micro­biome reco­very in mice. Nature 642 : 747–755.
  • N9 · x2i5 · Variant de séquence d’am­pli­con – Wikipedia

Article créé le 14/08/2025 - modifié le 14/08/2025 à 19h34

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